Un travailleur de l'ombre
En France on manque d'entrepreneurs mais il travaillait dur, penché sur sa poubelle, devant la voiture bar. Précis et minutieux, il extrayait les canettes au fond clapotant, les morceaux de sandwichs auréolés de gras, les trognons de pommes roussis et les bouts de mégots remâchés, qu'il entassait dans son sac de plastique. Il faisait sa cueillette, en somme, gratis et sans vergogne, avec la compétence et le coup d'oeil des chasseurs-cueilleurs d'autrefois, raclant les fonds des petits trésors sales d'un monde dur aux hommes.
Cela vous dégoûte peut-être ?
Pourtant, il travaillait très proprement, avec ordre et méthode. Triant et vérifiant, choisissant et stockant, en ménagère soigneuse. Assurant ses arrières, et sa poire pour la soif, en remplissant son sac des déchets de nos vies. Satisfait finalement de se trouver prospère, dans sa petite épargne.
C'est qu'il s'y était fait, semaine après semaine, mois après mois, année après année, et toute honte bue aux litrons de hasard, à siffler les fonds de canettes, à sucer les mégots, à se régaler des trognons, à picorer les miettes, en oiseau de misère, en pilier de trottoir.
Un travail comme un autre. Puisqu'on vous dit qu'un apprenti sur deux doit devenir patron... C'était un vrai patron, l'apprenti de la cloche passé vieillard clochard.
On s'habitue à tout, paraît-il.
Et je ne sais vraiment pas si cela doit nous consoler, ou s'il faut en pleurer.
Mais je crois bien que j'ai failli pleurer.