Rentrer
En ce temps-là, ce vieux temps-là toujours neuf et naïf de la lointaine enfance, il fallait bien un jour un clair jour de septembre, le quitter l'oublier, pour un an pour toujours, le pays de soleil et d'ennui des si longues vacances.
Quand le matin venait, on entrait avec crainte et désir dans le monde inconnu de la nouvelle année scolaire.
Il y avait l'attente un peu anxieuse devant la porte close, dans la fraîcheur de huit heures. L'appel des noms qui paraissaient tous étrangers. La marche en file derrière le nouveau maître. Le grand tableau repeint s'étirant sur le mur comme un vaste horizon. La table étroite et bien cirée, barque luisante où était déjà posé le cahier.
On s'installait en marin sur le banc, on ouvrait prudemment la trousse de cuir fauve emplie de munitions colorées, et on tournait lentement la première page, en se penchant pour respirer l'odeur du large sur le papier tout neuf et gorgé de promesses.
Puis on plongeait la plume dans l'encrier plus blanc que coquillage où tremblait une eau lourde, d'un violet profond remué de courants souterrains.
Un instant la main restait suspendue au-dessus de la première ligne de la première page du premier cahier de l'année. Une ombre mince palpitait sur la feuille, s'allongeant comme un mât vers des rivages inexplorés. L'encre luisait en perle sombre au bout de la plume envolée.
Puis la main retombait. Le porte-plume encore sans tache traçait fidèlement les lignes du modèle. Et les lignes suivaient les lignes, lents bataillons dociles et déjà las, sur les chemins bien balisés qu'avait tracés le maître, de toute éternité.
Il n'y avait plus qu'à poursuivre ainsi, pour un an pour toujours, puisqu'on était rentré.