Café vendéen
C'était au carrefour d'un jour de pluie, dans une rue inconnue du vieux Rezé. D'un seul coup ils ont été là, devant moi, en technicolor, sur l'écran déployé par la rue, les jours de soleil dans le claquement des lessives, les draps où les enfants se glissaient en fantômes rieurs, les habits qui dansaient comme des pantins sur leur corde, les grands sous-vêtements funambules qui se prenaient pour des drapeaux, le seau galvanisé posé dans l'herbe, les épingles à ressort qui rouilleraient la nuit sur le linge oublié à la lune. Et aussi les petites boutiques de village à devanture de faïence, les ouvriers en maillots de corps accoudés au comptoir, les femmes en tablier, le grand "filet" des courses posé sur la table de formica, près des épluchures de pommes de terre pelées à l'"économe", sous le papier tue-mouches.
A cette époque on économisait pour s'acheter des caméras super 8. On filmait trois minutes sur la pellicule toujours trop brève. Ensuite on coupait, on recollait, on montait bout à bout les images.
C'est comme cela qu'elle travaille, la mémoire. Aux ciseaux et à la colle. Qu'elle nous fabrique avec quelques images ces vieux morceaux de films qui ont l'air d'avoir été vrais, et de n'avoir parlé que du bonheur.
Dire qu'elle trouve toujours quelque part un écran, cette obstinée monteuse, un bout de mur, un drap tendu, n'importe où peu importe, pour projeter encore, sous nos yeux d'enfants fascinés, ses bobines entassées.