Les joueurs de cartes
Une reproduction des Joueurs de cartes de Cézanne trônait chez mes grands-parents, au-dessus du piano droit et de la petite table de marqueterie qui jouait "La donna e mobile" lorsqu'on en soulevait le couvercle.
Ce grand tableau sombre me fascinait. Il me semblait toujours en le regardant que, si je pouvais en approfondir le sens, je connaîtrais le secret. Le secret de la vie, celui que les adultes me cachaient. Mais jamais je n'y parvenais.
Je les ai revus tout à l'heure dans la rue, mes Joueurs de cartes, encadrés dans la vitre d'un bar. Deux hommes luttant avec les cartes truquées du destin, près de la bouteille aux illusions. Perdus dans les ombres qui passent et les reflets qui fuient. Déjà presque effacés. Mais oublieux de tout, absorbés dans leur jeu, comme s'ils ne savaient pas qu'ils avaient déjà perdu la partie tous les deux.
Cela n'avait aucun sens. Et pourtant c'était beau, fascinant, bien digne d'être peint.
Il n'y avait pas, il n'y avait jamais eu d'autre secret.