Le feu et le puits
"Manquer à la rêverie devant le feu, c'est perdre l'usage vraiment humain et premier du feu"
(Gaston Bachelard - La Psychanalyse du feu, 1949)
Je fais partie de ces "ruraux", certainement très arriérés, consternés qu'on ait pu décider, au nom de la raison et du progrès, d'interdire les feux de bois.
— Mais voyons : combustion, particules, rendement thermique, ne comprenez-vous pas ? Oh, oui, je vous comprends, mais de très loin, de si loin...
Devant ma vieille cheminée de granit, face à cette belle Samaritaine, lourde plaque de fonte venue d'une ferme de Creuse depuis longtemps démolie, je regardais danser sur ses pieds de cendre une flamme mélancolique et bien près de s'éteindre.
Le feu, le puits. La civilisation a commencé là. Entre les braises encloses du foyer et l'eau domestiquée des puits et des fontaines, est née et a vécu l'humanité que nous avons connue.
Mais voilà que commence une autre civilisation. Qui déjà ne connaît plus le puits. Et qui bientôt ne connaîtra plus la cheminée. Sans puits. Sans feu. Une autre humanité. Une autre façon d'être humain en ce monde.
Et moi devant la flamme à méditer, tombant tout doucement, avec tous mes semblables, de l'autre côté du temps, dans les grandes ténèbres assoiffées des mondes qui s'éteignent.