Intermittences
J'ai assisté hier au Lieu Unique à une représentation vraiment mémorable du Misanthrope. La mise en scène précise, réfléchie, et en même temps si amusante de Jean-François Sivadier redonnait toute son actualité et toute son intensité au combat impossible du pauvre Alceste, en lutte contre le mal - contre l'humanité, et contre lui-même.
J'ai surtout admiré la fin, où l'homme aux rubans verts, après s'être dégagé un chemin "propre" dans l'amoncellement de paillettes qui depuis le début du spectacle figuraient sur la scène l'éclat factice et la saleté du monde, se mettait à courir et à tourner en rond dans son enfer - comme jadis le Dom Juan de Marcel Bluwal.
Après les salutations et les applaudissements, Alceste, redevenu l'acteur, a lu au public un manifeste contre la révision en cours du fameux "statut des intermittents du spectacle".
Intermittents, intermittence. En entendant ces mots je les ai revus...
... C'était, tout à l'heure, sur les marches de l'opéra Graslin, à l'écart de la braderie géante qui avait envahi le centre, loin des étals et de la cohue des badauds, une troupe de musiciens. Ils étaient habillés en clowns comme les comédiens de Jean-François Sivadier, et régalaient la rue sans rien vendre à personne. J'ai goûté là quelques instants de joie fraîche, inattendue, jaillie comme une eau pure dans le soir grisonnant, l'intermittence de la fête brusquement offerte aux passants, sous les yeux ronronnants des Muses de gouttière qui somnolent là-haut.
Intermittents, les artistes, oui. Comme les spectateurs. Comme le rire et le bonheur. Comme les larmes aussi. Comme le battement fugace des pauvres coeurs humains.
Comme l'art lui-même, cette intermittence de liberté, de réflexion, de rêve et d'illusion, de pure joie, jaillie brièvement dans nos existences condamnées - seul remède pourtant à l'ennui dévorant de toutes les Célimène, aussi bien qu'aux tourments éternels de tous les Alceste délirants courant sans rémission après la vérité.
Intermittence, intermittents.... Pourquoi s'en prendre à vous ?
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