Migrateurs

Publié le par Carole

Nantes, square Daviais, août 2018

Nantes, square Daviais, août 2018

Je les vois chaque fois que je vais à la médiathèque Jacques Demy. A l'ombre chiche des arbres de ce petit square. En plein centre-ville. Sous les fenêtres ornées de mascarons des anciens armateurs. Juste à l'endroit où se trouvait autrefois le port. Juste au bord des voies du tramway. Juste devant les terrasses des cafés du quai.
 
Des tentes, aussi fragiles et serrées que passagers tremblants sur leurs canots. Et des gens qui attendent, sans bruit, au milieu des ordures, debout, assis, couchés - parfois lisant aussi, dans les rayons de la médiathèque toute proche. Qui attendent. Qui attendent  - mais quoi ?
 
Plus personne ne les regarde, on s'est habitué à eux aussi bien qu'à ces mendiants qu'on enjambe partout sur les trottoirs. Et puis, pourquoi regarder ce qu'il serait préférable de ne pas avoir vu ?
 
Je vous entends d'ici...  Alors, non, je n'ai pas la solution. Non, je ne donnerai pas de leçon. Ni à ceux qui regardent, ni à ceux qui ne regardent pas, ni à ceux qui passent, ni à ceux qui attendent.
 
Mais, tandis que, juste au-dessus des tentes, les avions d'août grondent et vrombissent sans répit, rasant la ville de leur ventre de fer tout rempli de touristes, je m'interroge sur ce monde étrange où nous vivons, où certains migrent à grands frais d'un bout du monde à l'autre, réalisant leurs rêves aussitôt convertis en photos instagram et messages facebook - tandis que d'autres s'en vont sans rien vers leurs rêves insensés, poussés par le vent de misère - pour n'être plus à la fin du voyage que des "migrants" démunis et passifs, restés à quai dans leurs ballots de toile colorée. 
Ce monde étrange où il est de bon ton d'être un acharné du nomadisme, si on court où on veut avec passeport et bagages, tandis qu'il est honteux et punissable d'être un nomade aux mains vides, un sans papiers sans valises, errant aux chemins de hasard que l'espérance dessine dans l'écume et la boue avec son doigt mouillé d'eau de naufrage.
Ce monde où les oiseaux migrateurs, peu à peu vaincus par les réacteurs et par le changement climatique,
au-dessus de tant d'étrangetés,
agonisent en silence.
 
 
 
 

Publié dans Nantes

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
M
onjour Carole c'est Jill Bill qui m'a prévenue de ton article, j'en avais fait un hier sur mon blog à ce sujet.J'étais allée les soutenir devant le Tribunal Administratif mais ce matin(jeudi 20) à 8H15 ma dernière qui habite quartier Graslin et travaille à la manu m'appelait pour me dire que çà y est ils sont déplacés...çà me fend le coeur...certes ils seront mieux mais temporairement, hors vue,et si c'était si simple de leur trpouver des gymnases, pourquoi pas plus tôt?de toute façon c'est du provisoire...les pauvres!merci pour c ebel article-Evelyne de La Montagne, où les migrants sont chouchoutés par une belle asso montée par des gens qui ont du coeur et des idées!
Répondre
C
Merci de ce message, Mamazerty-Evelyne. J'ai lu moi aussi qu'on les avait emmenés ce matin vers des gymnases. Petit progrès pour l'hygiène, heureusement, mais pas pour la promiscuité. <br /> Comme je l'ai écrit, je ne veux pas donner de leçons sur ce problème particulièrement compliqué, mais il y avait au moins trois mois que des êtres humains s'entassaient sur deux petites places, en plein centre-ville, à la vue de tous, dans une odeur indigne. Et avec la fermeture de la médiathèque ils avaient perdu leur dernier lieu de (sur)vie ces jours-ci. <br /> Je voulais aussi souligner à quel point le contraste est choquant, entre les déplacements touristiques "positifs", et les déplacements "négatifs" de populations en difficulté, Les avions survolant continuellement à grand bruit le campement Daviais soulignaient fortement cette idée.
J
On dit que l'espoir fait vivre, c'est tout ce qu'il leur reste, pouvoir être comme l'autre, qui a un toit, un boulot, une famille et part en vacances plusieurs fois dans l'année, un monsieur tout l'monde, ici ou là, dès l'instant que plus en bête curieuse sur le trottoir, le trottoir qui voit d'autres mendiants à l'année, les nôtres, et pas mieux côté regard, une société du marche ou crève… chacun pour soi et dieu pour tous !
Répondre
J
Oui, ma chère Carole, je suis impuissant, car je ne suis pas des puissants de ce monde. Néanmoins ce monde est ce qu'il et ne change pas. Les flux migratoires sont l''HIstoire en marche et je nous plains chaque jour de ne pouvoir l'admettre.Alors les vagues qui parfois nous submergent s'imposent doucement comme les saisons qui passent. Et l'unité se fera demain, un jour au soleil cuisant. Voilà la destinée de l'Humanité ; le brassage. D'ici là, douleur et malheur règnent.
Répondre
F
Serait-il dans l'ordre des choses humaines que de faire des constats si pessimistes dans "l'après-midi de sa vie" ? Constater et poser les questions, c'est déjà un pas vers des réponses...
Répondre
Q
Ce sont des questions auxquelles je n'ai pas de réponse non plus... Hélas !
Répondre
L
Merci pour cette description si intense, poignante, et pour ces interrogations "sans réponses".
Répondre
A
Sinistre histoire des hommes, tu évoques les anciens armateurs, qui se poursuit et ce sont toujours les mêmes qui se trouvent du mauvais côté de la mer. Ni leçon ni jugement mais c'est bien rageant de savoir que tous, migrants et touristes pourraient se déplacer librement si quelques uns le voulaient, que ce que l'on permettrait aux uns n'entamerait en rien le confort des autres!
Répondre