Gilles (réédition)

Publié le par Carole

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Jardin - quartier de la Balinière - Rezé
 
"Qui est né à Nantes comme tout le monde ? Qui est né à Nantes ?" (Louis Aragon)
 
 
A Rezé, où est né Benjamin Péret, qui venait de Nantes comme tout le monde, on peut très bien vivre dehors, en hiver.
On peut très bien mourir aussi. Comme Gilles, qu'on a déjà oublié et dont je voudrais raconter l'histoire.
 
C'était il y a un ou deux ans, ç'aurait pu aussi bien être aujourd'hui, ou demain.
Il dormait à Rezé, dans les toilettes publiques de la place du marché, tout près de la Cité radieuse de Le Corbusier. On l'a trouvé un matin tout raide et gelé, en poussant la porte qui résistait un peu.

On a raconté sa mort dans les journaux, des gens qui l'avaient connu avant ont dit qui il était - un homme presque comme tout le monde, qui avait perdu sa femme, qui avait perdu son emploi, qui avait perdu son logement, qui était malade, qui ne voulait déranger personne et qui aurait bien voulu être à nouveau tout à fait comme tout le monde...

C'est alors qu'on a su qu'il s'appelait Gilles. Il portait le nom du grand solitaire de Watteau, et ce nom lui allait bien.

Des Gilles, il y en a tant. En paquets gris sur les trottoirs, sur les escaliers, dans les passages et les halls de gare, sous les arches des ponts, sur les sièges du tramway, sur les rares bancs qu'on leur a laissés, bavards ou silencieux, suppliants ou résignés, ils sont partout. Posés comme des bornes au coin des rues, ils nous font marcher droit, et, mieux que les leçons de morale sur les tableaux noirs de l'école, ils enseignent la loi aux enfants.

Ils font partie de la ville comme les publicités sur les abris Decaux, l'interdiction de fumer dans les cafés, les décorations de Noël, les vélos en libre-service, les jardins associatifs, les banques du centre hérissées de grilles et les cafés des faubourgs en liquidation judiciaire.

On ne peut pas parler de la ville sans parler de Gilles, et vous le savez bien.
 

Publié dans Nantes

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C
"Avant "... Et lui comme nous croyons qu'avant ne peut être qu'une fin écrasée. Vous avez raison; Gilles le modeste est une grande leçon. C'est très beau.
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M
Triste et touchant ton texte ... la vie n'est pas facile de nos jours on se demande ce qui se passe aujourd'hui dans notre monde en 2017
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Z
oui et pourtant...pour faire le parallèle avec le post suivant, même en ayant sué et peiné comme l'exige sa naissance, on n'est pas sur être récompensé ni même épargné
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C
Et pendant que des hommes meurent de froid, les Champs-Elysées sont éclairés a giorno !
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M
Etre comme tout le monde , se couler dans le moule et faire partie d'un groupe, c'est le souhait de chacun. Etre l'exception c'est soit être VIP soit être transparent malgré soi, hélas et combien le sont! Merci Carole de les rendre visibles.
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Q
Il y en a plein... et nous n'arrivons pas à faire en sorte qu'il y ait des solutions viables pour tous, hélas !<br /> <br /> Ton récit est magnifique, Carole, il m'a beaucoup émue.<br /> Passe une douce journée.
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A
Patience, nos candidats à la présidentielle vont remédier à tout cela, comme d'habitude.
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C
Emotion et révolte m'étreignent à la lecture de ton texte, comme je suis profondément émue et écoeurée lorsque je vois ces corps jetés à la vue de tous sur un bout de trottoir qui devient maison de fortune...<br /> Très touchée également par l'évocation du Gilles/Pierrot de Watteau, l'un de mes tableaux préférés depuis que je suis enfant. Grande silhouette blanche empêtrée dans un silence lourd, homme enfant sur lequel rient les larrons de la Commedia dell'arte... Face de Carême qui nous met en garde contre les égoïsmes...<br /> Très poignant ton texte Carole et magnifiquement écrit<br /> Cendrine
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A
Nous avons nos Gilles ici aussi, venus de partout. On ne peut pas dire qu'ils restent ignorés de la population, beaucoup les approchent, les aident, un bonjour de loin, on papote un peu, ils font partie de nos vies de façon naturelle. Ils dorment devant le terminal maritime sur des lits pliants qu'une jeune femme leur a procurés, mais à l'extérieur, alors que la salle d'attente est vide. Pourtant ils sont propres et ne font pas de bruit... L'été est beaucoup plus dur, on les parque hors de la vue des touristes. La chaleur, la poussière, l'alcool et la coupure des liens avec les habitants qui les connaissent. On les aime bien, on les a intégrés dans le paysage urbain en effet ce qui est une bonne chose mais en même temps ils sont si bien acceptés tels qu'ils sont, c'est un peu le revers de la médaille: nul ne songe à véritablement améliorer leur sort...
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R
Intemporel, votre article, Carole.<br /> Le pire, c'est qu'il a 5 ans et qu'il relatait déjà un ancien "fait d'hiver" parmi d'autres "faits divers" et que dans cinq ans je crains que rien n'aura vraiment changé ...
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J
Que dire de plus... l'enfer sur terre, cette terre plus dut tout accueillante quand on perd tout... chez nous hier un homme encore jeune retrouvé mort de froid dans un jardin qu'il squattait de nuit...
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P
Très bel article Carole qui attire l'attention sur ces "laissés pour compte" qui nous ressemblent, et qui, au détour d'une rue, d'un regard, nous rappellent que ce pourrait être toi, moi, un autre<br /> à leur place... Qui nous rappelle aussi combien l'humanité est inhumaine...parfois !<br /> à te lire,
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C
<br /> <br /> Le fait-divers m'avait frappée, car c'est un endroit que je connais. J'avais écrit le texte depuis longtemps, et l'ai mis sur le blog au cours d'une période de froid qui m'y a fait repenser.<br /> <br /> <br /> <br />
C
Pas de souci je ne l'avais absolument pas mal interprété... mais c'est vrai que ton article nous renvoie une réalité que quelques fois, dans notre confort, nous occultons. J'avais bien compris ton<br /> propos... très bonne soirée
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C
<br /> <br /> Très bonne soirée à toi aussi, Amaryllis que je n'ai jamais vue mais dont la bonté traverse les distances,<br /> <br /> <br /> A bientôt,<br /> <br /> <br /> Carole<br /> <br /> <br /> <br />
C
C'esty toi qui as raison.. merci pour cette leçon ! Puis je maintenant te dire bonne nuit... à nous qui serons bien au chaud ???
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C
<br /> <br /> Le "tout de même" n'était bien sûr pas pour te donner tort (je ne crois pas non plus au paradis sur terre), mais pour rappeler la tristesse de ces nuits froides, pour les pauvres "Gilles".<br /> <br /> <br /> Je ne voulais pas te donner de leçon, tu sais. Si nous pouvons "bloguer", c'est que nous sommes bien au chaud, et bien pourvus, forcément.<br /> <br /> <br /> En me relisant j'ai vu que je m'étais maladroitement exprimée.<br /> Alors jem'en excuse et te souhaite une bonne nuit et une bonne journée aussi demain, Amaryllis,<br /> <br /> <br /> Carole (qui se remettra bientôt à photographier des "têtes et visages sculptés", mais qui pour l'instant se consacre à l'hiver...)<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> <br />
A
Voilà un "élément" que la ville devrait pouvoir integrer... utopie ??? mais tu as raison il faut sans arret en parler pour donner une chance à l'utopie de se "presque" réaliser.. car<br /> malheureusement le paradis n'est pas de se monde !!!!
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C
<br /> <br /> J'ai vu tellement de gens couchés dans la rue aujourd'hui... le paradis n'est pas de ce monde, c'est sûr, alors il n'y a aucune raison pour que l'enfer, lui, soit de ce monde. Non ?<br /> <br /> <br /> Bonne soirée tout de même,<br /> <br /> <br /> Carole<br /> <br /> <br /> <br />