Gilles (réédition)
Jardin - quartier de la Balinière - Rezé
"Qui est né à Nantes comme tout le monde ? Qui est né à Nantes ?" (Louis Aragon)
A Rezé, où est né Benjamin Péret, qui venait de Nantes comme tout le monde, on peut très bien vivre dehors, en hiver.
On peut très bien mourir aussi. Comme Gilles, qu'on a déjà oublié et dont je voudrais raconter l'histoire.
On peut très bien mourir aussi. Comme Gilles, qu'on a déjà oublié et dont je voudrais raconter l'histoire.
C'était il y a un ou deux ans, ç'aurait pu aussi bien être aujourd'hui, ou demain.
Il dormait à Rezé, dans les toilettes publiques de la place du marché, tout près de la Cité radieuse de Le Corbusier. On l'a trouvé un matin tout raide et gelé, en poussant la porte qui résistait un peu.
On a raconté sa mort dans les journaux, des gens qui l'avaient connu avant ont dit qui il était - un homme presque comme tout le monde, qui avait perdu sa femme, qui avait perdu son emploi, qui avait perdu son logement, qui était malade, qui ne voulait déranger personne et qui aurait bien voulu être à nouveau tout à fait comme tout le monde...
C'est alors qu'on a su qu'il s'appelait Gilles. Il portait le nom du grand solitaire de Watteau, et ce nom lui allait bien.
Des Gilles, il y en a tant. En paquets gris sur les trottoirs, sur les escaliers, dans les passages et les halls de gare, sous les arches des ponts, sur les sièges du tramway, sur les rares bancs qu'on leur a laissés, bavards ou silencieux, suppliants ou résignés, ils sont partout. Posés comme des bornes au coin des rues, ils nous font marcher droit, et, mieux que les leçons de morale sur les tableaux noirs de l'école, ils enseignent la loi aux enfants.
Ils font partie de la ville comme les publicités sur les abris Decaux, l'interdiction de fumer dans les cafés, les décorations de Noël, les vélos en libre-service, les jardins associatifs, les banques du centre hérissées de grilles et les cafés des faubourgs en liquidation judiciaire.
On ne peut pas parler de la ville sans parler de Gilles, et vous le savez bien.
On a raconté sa mort dans les journaux, des gens qui l'avaient connu avant ont dit qui il était - un homme presque comme tout le monde, qui avait perdu sa femme, qui avait perdu son emploi, qui avait perdu son logement, qui était malade, qui ne voulait déranger personne et qui aurait bien voulu être à nouveau tout à fait comme tout le monde...
C'est alors qu'on a su qu'il s'appelait Gilles. Il portait le nom du grand solitaire de Watteau, et ce nom lui allait bien.
Des Gilles, il y en a tant. En paquets gris sur les trottoirs, sur les escaliers, dans les passages et les halls de gare, sous les arches des ponts, sur les sièges du tramway, sur les rares bancs qu'on leur a laissés, bavards ou silencieux, suppliants ou résignés, ils sont partout. Posés comme des bornes au coin des rues, ils nous font marcher droit, et, mieux que les leçons de morale sur les tableaux noirs de l'école, ils enseignent la loi aux enfants.
Ils font partie de la ville comme les publicités sur les abris Decaux, l'interdiction de fumer dans les cafés, les décorations de Noël, les vélos en libre-service, les jardins associatifs, les banques du centre hérissées de grilles et les cafés des faubourgs en liquidation judiciaire.
On ne peut pas parler de la ville sans parler de Gilles, et vous le savez bien.