Fissures
Nantes - ruelle des Tanneurs
Sur le flanc fatigué de cette vieille maison j'ai vu tant de fissures, tant de fractures, tant de blessures...
Dans ces brèches béantes on aurait pu serrer le poing, glisser la lame du couteau, affûter le fil de l'épée, faire avancer des tanks, faire marcher des armées, des désastres et des épouvantes, des incendies, des bulldozers, de longs écroulements.
Mais on les avait toutes, l'une après l'autre, soigneusement pansées, rejointes, réparées, cimentées, rassemblées,
pour qu'elles tiennent encore un moment ensemble, ces pierres usées, désunies, désolidarisées, prêtes à se séparer, à éclater en sanglots gris, et à s'abattre en ruines comme de longs malheurs.
Sur le flanc fourbu de la vieille bâtisse l'écorce de crépi sale se crénelait de blanc. Et c'était comme si un lierre avait fait courir sur un tronc mourant ses racines vivantes.
La maison revenue des tempêtes s'était peu à peu redressée vers le ciel où, lentement, dans la paix retrouvée, bleuissaient les nuages.
Il en faut de la patience, et de l'envie d'aimer, et de l'amour de vivre,
et du travail lent, et des mains d'artisans,
pour que cela tienne debout,
un édifice humain,
même un peu de travers, même pas bien joli, même pas pour toujours.
juste debout
un moment
pour que cela grandisse, pour que cela s'élève au lieu de s'effondrer
dans les beaux jours et dans le mauvais temps.