Autoportrait à la boule de lumière
Encore une fois j'étais rue Kervégan, sur cette île Feydeau posée longue et sombre dans la ville, beau navire ensablé, avec ses mascarons baroques en figures de proue, et ses portes de vieux bois gris fermées comme des cales.
On avait installé déjà les décorations de décembre, et des boules luisantes, pendues aux filets des guirlandes électriques, se balançaient au vent, bulles légères, emportant dans leurs cercles les reflets de la ville. Je marchais, regardant au-dessus de moi la rue multipliée grimacer et danser sous le soleil glacé comme un équipage en joie. Au revers de l'année, le temps flambait, souffle de rhum ardent, les derniers ors du monde ; les boules oscillaient dans le ciel, miroirs infimes et pourtant si profonds de l'éternelle lumière.
Quand je me suis vue là-haut moi aussi, insecte noir au coeur d'une bulle dansante, infime passager, atome tournoyant dans la poussière des heures, je n'ai pas pu m'empêcher de me tirer le portrait.
Nous sommes si légers... le vent nous pousse chaque jour un peu plus loin, c'est un sombre destin. Mais le voyage est somptueux, sur la nef des fous, des illusions et des reflets tremblants, dans la poussière d'étoiles de nos vies minuscules, paillettes d'infini dansant sur le néant.