Autoportrait au labyrinthe de miroirs
Je suis allée tout à l'heure me tirer le portrait dans le labyrinthe de miroirs que le plasticien Leandro Erlich vient d'installer dans le hall de l'Hôtel de Région pour distraire - mais de quoi ou de qui donc ? - les passants du Voyage à Nantes.
Je suis entrée hésitante, éblouie par la lumière crue des lampes, dans une étrange demeure sans fenêtres, mais aux portes innombrables et toujours ouvertes appelant à chercher, à continuer, à avancer un peu plus loin. J'ai parcouru une succession de chambres, ornées de miroirs profonds qui me parlaient de moi, et de rideaux d'épais velours qui m'invitaient à me cacher en eux. J'ai longé des couloirs étroits où de hauts tabourets me proposaient de m'asseoir face à mon reflet, pour être, en paix, enfin, quelque part face à moi-même. J'ai suivi une enfilade de cabines d'essayage où l'on pouvait en effet essayer son être à de multiples glaces, mais où nul crochet n'était prévu, aux murs de carton peint, pour déposer ses vieux habits avant d'enfiler sa peau neuve. Fantôme passager qu'entraînait mon image fuyante, j'ai hanté une maison de cinéma où tout n'était qu'illusion, pour un scénario qu'effaçait et que recommençait chaque pas, chaque geste.
J'ai pris plusieurs photos, et j'ai gardé celle-ci. En la vérifiant sur le petit écran de mon appareil, je me suis demandée laquelle de mois j'avais réussi à saisir ou à éviter. Et dans laquelle des chambres du palais des mirages je l'avais capturée - ou perdue.
A la sortie du labyrinthe, une jeune femme m'attendait pour m'expliquer le projet de l'artiste. Elle était si bavarde... Je lui ai raconté alors à mon tour qu'il y a, entre les boutiques du Passage Pommeraye, au pied de l'escalier de Lola où bifurquent les allées, de vieux miroirs qui murmurent, depuis bientôt deux siècles, de reflet en reflet, à ceux qui s'y regardent et s'y égarent, l'histoire réinventée par Leandro Erlich, et qu'ainsi il m'avait semblé avoir déjà parcouru bien des fois - Passage Pommeraye, ailleurs encore peut-être - l'étrange dispositif de l'artiste argentin.
La jeune femme a paru surprise et désappointée. J'avais cru faire l'éloge du plasticien, et j'avais, apparemment, commis une erreur, peut-être même une sorte de crime de lèse-avant-garde. Aimable Ariane, elle a voulu que je revienne avec elle au labyrinthe où, bavardant, dissertant, posant des mots savants sur les miroirs et les reflets, elle a refait avec moi un parcours qui avait perdu tout mystère.
En sortant je me suis sentie seule et mal à l'aise, dans le silence de l'immense esplanade où le soleil étirait mon ombre sur la pierre avec la même netteté que sur les tableaux de Chirico.
"Connais-toi toi-même", ordonnait l'oracle de Delphes qui ne parlait que par énigmes.
"Deviens ce que tu es", m'avait intimé Nietzsche.
"Essaie-toi", m'avait plus prudemment conseillé Montaigne.
"Ne crains pas d'être seule", m'avait expliqué quelqu'un d'autre, qui après tout était peut-être moi.