Vieilles marches
Je l'emprunte souvent, ce vieil escalier aux marches usées par des pas séculaires, ce grand chemin de pierre qui va de l'ombre à la lumière.
Dans la ville d'où je viens, on appelait degrés, comme en très vieux français, ces escaliers anciens, solides constructions qu'ajustèrent jadis des maçons très savants.
Ici, sur les marches obscurcies et luisantes, des passants disparus, appuyés à la rampe, ont creusé, de leurs pas effacés, la place de mes pas vivants. La pierre se ploie pour me laisser monter, j'avance avec confiance, suivant comme des vagues ces traces douces dont l'arrondi facile allège mon effort.
Pourtant les pierres sont si usées, si abîmées de trous, si polies, si glissantes et pentues, que j'y trébuche quelquefois. Même il m'est arrivé de tomber tout à fait. De très haut. Et la rampe de fer ne m'a pas retenue.
Alors, chaque fois que je prends le vieil escalier, je médite un moment. Je me dis que, sur les pas des anciens, on s'élève plus aisément, plus calmement, qu'on va en paix vers la lumière d'en haut, mais qu'il faut se garder de ce qu'ils ont trop frotté, trop creusé, trop usé. Savoir marcher dans leurs pas et savoir marcher un peu à côté aussi, à l'écart de la rampe, sur la pierre encore neuve.
J'aime bien passer là, c'est un escalier qui fait aller plus loin, plus haut qu'on ne croirait. Un escalier qui fait penser.
Un de ces lieux familiers et sages qui, sans en avoir l'air, murmurent à nos corps qui les écoutent des leçons que, sans eux, nos esprits n'entendraient peut-être pas.