L'île aux mouettes
C'est une péniche au rebut, un rafiot oublié. La cambuse béante montre ses boyaux noirs, et sa porte trop blanche bat seule sous le vent comme l'aile vivante d'un papillon tombé.
C'est une baleine à l'échouage qui pourrit dans sa rouille. Les mouettes folles se sont posées rêveuses sur son dos encore bleu. Et la mousse grandit sur son corps ballottant avec ce bruit très doux que fait la sève lente lorsqu'elle remonte aux doigts des vieux arbres défunts.
Quelqu'un vit là, je crois, dans ce ventre de fer où galopent les rats.
Quelqu'un qui descend chaque soir l'escalier frissonnant pour se coucher dans l'ombre sur des cordages humides. Un naufragé qui rêve, quand les vagues balancent, de s'en aller plus loin. Un Jonas affalé au fumier du vieux Job, que la misère digère et ne recrache pas.
C'est un bateau qui dort, tranquille comme un mort. Les mouettes s'y reposent au soleil de midi comme aux branches du jour. Le fleuve qui le berce lui fait de ses bras gris un nid d'éternité boueuse et miroitante.
C'est une île immobile qui attend sous le ciel de rejoindre la terre.