L'île aux mouettes

Publié le par Carole

L'île aux mouettes
C'est une péniche au rebut, un rafiot oublié. La cambuse béante montre ses boyaux noirs, et sa porte trop blanche bat seule sous le vent comme l'aile vivante d'un papillon tombé.
C'est une baleine à l'échouage qui pourrit dans sa rouille. Les mouettes folles se sont posées rêveuses sur son dos encore bleu. Et la mousse grandit sur son corps ballottant avec ce bruit très doux que fait la sève lente lorsqu'elle remonte aux doigts des vieux arbres défunts.
 
Quelqu'un vit là, je crois, dans ce ventre de fer où galopent les rats.
Quelqu'un qui descend chaque soir l'escalier frissonnant pour se coucher dans l'ombre sur des cordages humides. Un naufragé qui rêve, quand les vagues balancent, de s'en aller plus loin. Un Jonas affalé au fumier du vieux Job, que la misère digère et ne recrache pas.
 
C'est un bateau qui dort, tranquille comme un mort. Les mouettes s'y reposent au soleil de midi comme aux branches du jour. Le fleuve qui le berce lui fait de ses bras gris un nid d'éternité boueuse et miroitante.
C'est une île immobile qui attend sous le ciel de rejoindre la terre.

Publié dans Fables

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T
Juste la touche de tristesse pour raviver notre âme et nous prendre par la main.
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G
Tout le monde dort,...mouettes et bateau.
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F
qq qui a une bien triste vie
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F
"Un Jonas affalé au fumier du vieux Job, que la misère digère et ne recrache pas." Il fallait tout ton talent pour l'écrire!! la cambuse est surréaliste sur ce rafiot qui ne ressemble plus à rien sauf à un passé révolu!<br /> Mais elle est un signe de vie et cela rassure!!BISOUS FAN
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L
Qu'il nous emmène loin, ton billet, Carole! Il fait un peu mal tant il est juste; mal pour cet abandon, mal pour l'inconnu qui y loge, mal pour tout ce qu'on peut imaginer de sa vie, de sa faim, de son froid. Seul l'appel des mouettes réchauffe un peu ce vieux rafiot. Et nous-mêmes.<br /> Lorraine
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Z
je me demande si elle a été un jour plus belle, cette péniche, que ce jour ou tu lui rends hommage
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M
Tout passe, tout lasse, tout se transforme. C'est le grand cycle de la vie, de la mort et de la mutation. Ce qui était hier en sera plus demain, ou alors autre chose et tu le dis de ces mots qui donnent des ailes aux rêves.
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P
Arche de Noé<br /> pour les oubliés de la vie<br /> à tire d'aile<br /> les entrainement dans leurs rêves
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A
Il a, je ne saurais dire pourquoi, un petit quelque chose qui chavire du côté du "Dormeur du Val", ce doux et terrible poème de l'île aux mouettes...
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A
J'en avais l'intuition sans savoir le dire et je me doute bien que tu l'as fait exprès;)
C
On peut savoir pourquoi, en fait : à cause du présentatif "c'est", et du motif du sommeil / mort. Et je l'ai fait exprès. Je voulais dire que les "soldats morts", victimes de notre étrange époque, sont peut-être ces misérables qui dorment la nuit dans des abris de fortune, morts à la vie sociale.
L
Ta photo est très belle, mais même avec des mouettes, je n'aimerai pas me poser là. BRRR... comme dit Jonas
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J
Brrrrr... Jonas
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A
Merci, Carole, pour ce très beau poème que tu nous offres, qui chante dans ses mots et rayonne dans ses images.
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Q
C'est un très beau poème en prose, Carole. Le rythme est là, on pourrait chanter ce texte, et, si j'étais troubadour, si j'avais le talent de Ferré, je le ferais, je crois.<br /> Peut-être sans chanter, juste en le disant sur une musique un peu triste, mais pas trop...<br /> Juste parce que celui qui vit là me touche profondément.<br /> <br /> Merci pour les mots justes que tu écris, merci pour les pensées qui jaillissent quand on te lit.
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R
"C'est un bateau qui dort, tranquille comme un mort." : quel bel alexandrin, Carole ...
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M
Bonjour Carole,<br /> <br /> Ce vieux bateau sait encore se rendre utile. Petitement, certes, mais c'est importnat pour celui qui dort dans son ventre, pour les mouettes qui rêvent sur son dos....<br /> Merci Carole pour cette évasion iodée<br /> ;)
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J
Il y a tjs quelqu'un pour quelqu'un... brave rafiot va !
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