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L'oeuf brisé

Publié le par Carole

L'oeuf brisé
Il gisait sur le sol. 
Tombé du nid ou jeté sous son arbre par un coucou du bois, il ne verrait jamais le ciel.
De son désir de vivre ne restait que le bec entrouvert - béjaune de merle noir sous sa peau de caillou - , et ce fin duvet gris qu'on distinguait très doux aux fentes bleues de la coquille.
Il s'en irait nourrir les petits du corbeau, ou bien l'éplucheraient de leurs pinces rapides les nécrophores pansus.
Cent coquilles brisées pour un seul oisillon jeté vers l'avenir, une vie sacrifiée rassasiant le jardin : c'est la Loi, c'est ainsi, et le total est toujours bon pour ce comptable fou qu'on appelle Nature.
Mais nous, mais nous humains, qui ne voulons pas de la Loi, nous qui devons, pour être humains, obstinément dire non.
 

Publié dans Fables

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Café vendéen

Publié le par Carole

Café vendéen
C'était au carrefour d'un jour de pluie, dans une rue inconnue du vieux Rezé.  D'un seul coup ils ont été là, devant moi, en technicolor, sur l'écran déployé par la rue, les jours de soleil dans le claquement des lessives, les draps où les enfants se glissaient en fantômes rieurs, les habits qui dansaient comme des pantins sur leur corde, les grands sous-vêtements funambules qui se prenaient pour des drapeaux, le seau galvanisé posé dans l'herbe, les épingles à ressort qui rouilleraient la nuit sur le linge oublié à la lune. Et aussi les petites boutiques de village à devanture de faïence, les ouvriers en maillots de corps accoudés au comptoir, les femmes en tablier, le grand "filet" des courses posé sur la table de formica, près des épluchures de pommes de terre pelées à l'"économe", sous le papier tue-mouches.
A cette époque on économisait pour s'acheter des caméras super 8. On filmait trois minutes sur la pellicule toujours trop brève. Ensuite on coupait, on recollait, on montait bout à bout les images.
C'est comme cela qu'elle travaille, la mémoire. Aux ciseaux et à la colle. Qu'elle nous fabrique avec quelques images ces vieux morceaux de films qui ont l'air d'avoir été vrais, et de n'avoir parlé que du bonheur.
Dire qu'elle trouve toujours quelque part un écran, cette obstinée monteuse, un bout de mur, un drap tendu, n'importe où peu importe, pour projeter encore, sous nos yeux d'enfants fascinés, ses bobines entassées.

Publié dans Fables

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Muguet (réédition)

Publié le par Carole

Muguet (réédition)
C'était un sombre mai
La pluie battait sur le jardin
La mesure morne de l'hiver.
 
Je n'ai trouvé dans l'herbe haute
Qu'un seul brin de muguet
Qui croyait au printemps.
 
Je ne fêterai pas le mai
De ceux qui rient de ceux qui croient
A l'avenir radieux aux matins de triomphe.
 
Je fêterai le mai 
De ceux qui pleurent de ceux qui doutent
Et désespèrent dans l'ombre.
 
A ceux-là il est vrai
Je n'ai que peu à dire
Et bien peu à donner.
 
Rien qu'un peu de muguet
S'efforçant de fleurir
Sous la pluie qui le glace.
 
Vous qui souffrez vous qui pleurez
Prenez ce brin de mai
En larmes et en fleurs.
 
Souvenez-vous de la patience
Du jardin sous la pluie,
Souvenez-vous de l'espérance.

Publié dans Fables

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