Peau de pierre
Eglise de Selommes - Loir-et-Cher
L'église est toute simple et n'a qu'un chevet plat, admirable pourtant par l'appareillage très rare de ses pierres. Haute et rude bâtisse fortifiée, elle porte ce mur avec une élégance calme qui surprend tous les visiteurs - comme une large paysanne porterait avec grâce un fichu de soie pure sous sa cape de bure.
Il paraît que cet étrange ornement lui vient d'une ancienne villa gallo-romaine, d'un sol de mosaïque peut-être, qu'on aurait posé là pour marcher jusqu'au ciel. Des savants se sont savamment penchés, avec leurs yeux cerclés d'or et de lettres, pour en déchiffrer le mystère, sur ce dallage aussi beau que naïf - mais jamais on n'a pu en savoir davantage.
Enfant, souvent je me perdais à compter les rangées de losanges, les alignements de rectangles, les champs d'épis couchés et les cercles vibrants de fleurs. Je me plaisais à étudier le sens de ce damier changeant et capricieux comme un labyrinthe, dense et serré comme une cotte de mailles.
Aujourd'hui, il me semble seulement voir une vieille à la peau de pierre écailleuse et usée, tendant le dos à l'est, pour se chauffer en lézard au soleil du matin.
C'est que je ne suis plus un enfant, et que jamais je n'ai su me faire savante. C'est surtout qu'il m'est indifférent désormais que les choses aient un sens. Je me contente de regarder - c'est ma façon d'aimer.