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fables

A Villequier

Publié le par Carole

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A Villequier, où l'on montre la maison de Léopoldine, il y avait ce bouquet, face à la Seine qui se ferma comme une tombe. Ce n'était que l'une de ces compositions banales que les municipalités font poser à intervalles réguliers dans de grandes jardinières sans grâce, au bord des routes. Mais les fleurs éclataient dans l'air bleu, de toutes leurs vives couleurs elles vibraient et tremblaient dans le soir qui tombait, comme la douleur quand elle ne veut jamais mourir. 
Il avait l'air d'être là pour Elle. Pour Lui aussi.

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Le perroquet de Flaubert

Publié le par Carole

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Pont-L'Evêque, maison à colombages
 
"Il s'appelait Loulou. Son corps était vert, le bout de ses ailes roses, son front bleu et sa gorge dorée."
(Flaubert, Un coeur simple)
 
     "Puis j'ai vu le perroquet. Il était installé dans une petite niche, vert brillant et l'oeil éveillé, la tête penchée dans un angle interrogateur. "Psittacus", dit l'inscription sur le bout de son bâton : "Perroquet emprunté par G. Flaubert au musée de Rouen pour être mis sur sa table de travail pendant la rédaction d'Un coeur simple, où il s'appelle "Loulou", le perroquet de Félicité."
 
      "Où est le perroquet ? Nous entendons encore sa voix ; mais tout ce que nous pouvons voir, c'est un perchoir en bois, vide. L'oiseau s'est envolé."
 
  "On ne sait pas ce qu'est devenue la vérité."
 
(Julian Barnes, Le perroquet de Flaubert)
 
 
 
    Dans un récit paru il y a quelques années, Julian Barnes racontait le parcours d'un admirateur de Flaubert qui, cherchant sa trace dans les musées de Normandie, y dénichait non pas le mais les perroquets de Flaubert, ce qui l'amenait, après une longue enquête, à la seule découverte réellement valable qu'il pouvait faire : qu'il n'y a en littérature aucune place pour la vérité et la certitude.
     A mon tour, j'ai cru découvrir un matin, à Pont-L'Evêque où vécut Félicité, sur la poutre d'une vieille maison qui aurait pu être celle de Madame Aubain, l'ancêtre de "Loulou" : cet oiseau de bois rouge flanqué d'un cou humain, bavard comme un perroquet, gracieux comme une colombe, griffu comme un vautour, chimère bizarre que le sculpteur avait posée sur la branche d'un rêve où les arbres ressemblaient à des fleurs d'Amérique... J'ai imaginé Flaubert à Pont-L'Evêque, se promenant du côté de la Touques, rencontrant soudain sur un colombage cet oiseau fabuleux, l'observant, s'en amusant, puis l'oubliant tout à fait, et le retrouvant enfin, des années plus tard, sans le reconnaître sans doute, au fond lentement distillé de ses souvenirs, pour en faire, dans son bureau de Croisset, au terme d'une série de métamorphoses, cet étrange compagnon de sa Félicité... 
   Mon histoire était fausse ?... Et alors ? Ce n'était pas plus faux, c'était plus juste peut-être, que de reconnaître le merveilleux Loulou dans ces ternes perroquets empaillés du musée de Rouen ou du pavillon de Croisset qu'on a montrés à Julian Barnes.
   Les vraies "sources" d'une oeuvre ne peuvent être saisies ni dans les musées, ni sur les façades des maisons, ni dans les lettres des écrivains - et moins encore dans les notes minuscules des éditions Pléiade. Elles ne sont nulle part et elles sont partout. Car ce qu'on appelle improprement création, et qu'on devrait bien plutôt appeler re-création, est un travail mystérieux de l'esprit, dont le cheminement ne se retrouve jamais, qui fait grandir les pensées des artistes, comme des oiseaux bizarres et merveilleux, sur la branche étroite des expériences les plus communes, des plus humbles rencontres, des hasards les plus minces. La vie, mesquine et généreuse, les leur propose, comme à nous tous, mais leur imagination, souveraine alchimiste, elle seule, en dispose.

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Le Phare

Publié le par Carole

phare de Goury
Phare de Goury - Cap de La Hague
 
 
    Vu de la terre, ce n'est pas grand chose, un phare, juste une tige de pierre posée sur l'air brumeux, un arbre nu défeuillé par le vent, un clocher gris trop mince égaré dans le bleu.
    Pourtant, quand nous allons sur les chemins de la côte, c'est toujours à lui que nos regards reviennent. Vers lui que nous marchons. A lui que nous pensons.
    Comme s'il ne veillait pas seulement, là-bas, sur les navires qui vont en mer, mais aussi sur nous tous, les hommes de la terre. 
    Nous qui avons ce besoin de croire à la patience du gardien, au cri de la vigie, au mugissement rauque de la corne de brume.
    A ce qui veille, à ce qui garde, à ce qui aide.

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La maison dans l'eau

Publié le par Carole

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On la croyait si ordinaire, si laide même, cette sombre maison du bord de l'eau, vraiment on aurait désespéré d'elle - et, soudain, au rayon d'un soleil qui passe, la voilà qui s'étire, toute trempée d'au-delà, dans le reflet du ciel.
Comme si la beauté se tenait toujours, partout, en embuscade, sous les pierres les plus grises et les vies les plus ternes, attendant le regard qui la prendra dans son reflet comme au filet d'éternité. Comme si toute chose ne valait que par son envers. Comme si on ne savait jamais rien de ce qu'on n'a pas vu hésiter et trembler.

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Tout l'or du monde

Publié le par Carole

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Pénestin, plage de la Mine d'or    
 
 
       En ce jour de rentrée, dans la tiédeur de l'été qui s'attarde, une dernière pensée de vacances, qui me revient sous l'or du soir...
      C'était en août, à Pénestin, sur la plage de la "Mine d'or".
     Il était si étrange de se souvenir qu'on avait vraiment creusé là, au XIXème siècle, au temps de ces grandes ruées qui scandèrent l'élan de l'Occident vorace, une mine d'or à ciel ouvert. Là, vraiment là, tout au bord de la mer, dans l'extraordinaire falaise rousse, coteau fossile d'un fleuve ancien avalé par la mer, trésor géologique de sédiments empoussiérés de pépites, presque un siècle durant, on avait pioché et détruit, saignant la roche. Puis la mine s'était éteinte, abandonnée, l'or ainsi extrait n'étant pas assez rentable pour répondre aux désirs d'un XXème siècle plus fiévreux et cupide encore que son prédécesseur.
 
 
    De tant d'efforts absurdes, il ne reste plus rien, que cette longue plage aux couleurs fauves, luisant dans l'or du soir au miroir des marées.
    Et ces libellules innombrables dansant sur la corniche, demoiselles très blondes dans leurs ailes de tulle à coins dorés.
    Tout l'or du monde. Celui qui ne s'achète pas. 
 
      libellule-Penestin-2-copie-2.jpg

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Un navire

Publié le par Carole

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      Omonville-La-Rogue, église Saint-Jean-Baptiste
ex-voto à la mémoire du navire "Le Superbe", que la mer engloutit en 1795
 
 
 
On est souvent ému, lorsqu'on entre dans une église, en bord de mer, par les exvotos qu'y ont laissés les marins.
Il avançait, ce navire, tout là-haut, suspendu à son fil et noué de cordages, et si étrangement solitaire, dans le souffle noir des tempêtes et le cri grinçant des naufrages, vers ce peu de lumière que lui faisait le jour à travers le vitrail.
On le regardait s'en aller immobile, dentelé, fuselé, et captif, pris dans la toile d'ombre par les ailes inutiles de son gréement superbe, comme un insecte absurde et merveilleux, et l'on pensait à la détresse et à la foi des marins d'autrefois.
Et aussi à ce long tremblement des vivants, sur la mer de misères.
A la fragilité toujours du grand voyage humain, à bord du navire espérance.

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Monsieur L'Ange

Publié le par Carole

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"N'y va pas
Tout est combiné  d'avance  
Le match est truqué"
Jacques Prévert, Le Combat avec l'ange
 
 
Et, avant de quitter Prévert, je voulais encore vous montrer son ange : la tendre figure de proue, le naïf cupidon d'église, le putto en costume d'Icare cloué aux poutres de vieux bois qui, au-dessus de la table de travail, courait dans un bruissement d'ailes son petit chemin d'ange, tandis que le poète, en bas, dessinait sur ses pages la trace de ses pas.
 
 
-Un ange, chez ce Prévert, chez l'anticlérical qui voulait leur "voler dans les plumes", à ces volatiles du bon Dieu ? Un ange après le combat ?
-Un ange... Pourquoi pas ?
 
Il y a toujours un ange quelque part dans la maison d'un poète. 
Sinon comment saurait-il faire aller dans son ciel les mots qu'il emprunte à la terre ?

 

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Offrandes

Publié le par Carole

tombe prévert omonville
 
A Omonville-la-Petite où Jacques Prévert s'était installé pour mourir, je suis allée rendre visite à l'autre maison du poète, à la calme demeure qu'il s'était choisie, dans le petit cimetière que veille, en bergère grise, une ancienne chapelle à cape de granit.
Rien d'autre sur la tombe que cette pierre plantée comme un menhir dans un parterre de fleurs, ornée de grandes lettres vertes et sveltes qui ont l'air de chanter en marchant d'un bon pas.
- Ce n'est pas la tombe d'un mort, me suis-je dit, c'est la borne fleurie d'un chemin de vivant.
 
En m'approchant j'ai vu sur la pierre le grand chapeau d'offrandes dont l'ont coiffé jour après jour les pèlerins de poésie - pétales d'hortensias, grands coeurs de marguerites, coquilles de La Hague et galets de la Manche, grains bleuis de nuages, petits cailloux de la vague.
- Ceux qui sont venus là, ai-je pensé, ont bien lu le poète.
 
Des passants pitoyables avaient aussi orné de quelques présents plus menus la tombe voisine et bien moins haute de Janine, la compagne si souvent décriée.
- Ceux-là, ai-je pensé, ajoutant un pétale, l'ont encore bien mieux lu.
Ils n'ont pas oublié l'amour dur et qui dure, la tendresse longtemps gardée. Ils l'ont deviné, sous la terre, le noeud ligneux des vieilles mains qui se joignent et se serrent, quand il fait froid, quand il fait noir, quand il fait détresse et souffrance, quand il fait presque mort. Ils l'ont compris, l'amour "têtu comme une bourrique", qui fait grandir comme les fleurs, comme la mer et comme les falaises, ces paroles humaines qu'on nomme poésie.

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Les lunettes de Jacques Prévert

Publié le par Carole

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Lunettes de Jacques Prévert - Maison-musée d'Omonville-La-Petite
 
 
Il est parti, mais il nous a laissé ses lunettes.
Des lunettes pour voir de près, de bien plus près.
Des lunettes pour voir de loin, de vraiment loin.
Des lunettes pour voir de haut, et puis d'en bas aussi.
Il nous a laissé ses lunettes
comme d'autres avant lui
comme les pré-impressionnistes
les beaux impressionnistes
les grands expressionnistes
les vrais surréalistes
et tous les fantaisistes
accordéonistes
alchimistes
illusionnistes
accessoiristes
excursionnistes
ascensionnistes
entomologistes
sécessionnistes
inventaristes
insolitistes
anarchoristes
cymbalistes
pointillistes
ou cubistes
qu'on appelle les artistes.
 
 
Et maintenant qu'il est parti
nous regardons autour de nous
tout simplement sans y penser
Et nous voyons le monde
à travers ses lunettes
qui l'ont rendu 
un peu plus rose
un peu plus chose
un peu plus jaune
un peu plus faune
un peu plus rouge
un peu plus fou
un peu plus noir
sans désespoir
un peu plus bleu
si mystérieux
beaucoup plus vert
vraiment prévert
beaucoup plus vaste
tout à fait proche.

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Une fresque

Publié le par Carole

sainte mere église
 
    Dans l'église de Sainte-Mère, en Cotentin, un beau vitrail moderne commémore l'héroïsme des parachutistes de la nuit du 6 juin 44.
     Je l'ai admiré distraitement, comme tous les touristes qui m'entouraient.
    Quand je me suis retournée, j'ai vu grandir, sur les piliers nervurés, cette fresque ardente aux longs plis de nuit, semée de coeurs vivants et d'oiseaux de lumière, qui palpitait comme un drapeau hissant haut ses couleurs, et que personne ne semblait remarquer.
    C'étaient, je crois, les vieux morts de la guerre qui repeignaient ainsi l'église, avec des pinceaux de soleil, des pastels d'harmonie et des crayons d'espérance, qu'ils trempaient de leurs larmes et lavaient de leur sang.

 

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