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fables

Peluches et mandarine

Publié le par Carole

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Je n'aurais pas dû prendre la photo. Je ne voulais pas la prendre. C'était comme d'entrer chez quelqu'un par effraction, comme de lui voler son petit chez-soi, au mendiant qui s'était posé là pour un soir, et qui était sorti, juste un instant, laissant à la garde des passants son sac, sa couverture et son duvet.
Je n'aurais pas dû. Mais voilà : il y avait sur la marche, comme au bord de son lit, ces deux peluches toutes aplaties d'usure et de caresses, grises d'âge et tendres d'enfance. Et cette mandarine couchée entre elles deux, luisante comme une petite orange de Noël.
J'ai pensé à un père - ou une mère - à qui on aurait retiré ses enfants, et qui aurait placé là, en effigie, leurs deux poupées. 
J'ai pensé à un être encore jeune, se souvenant de son enfance et lui offrant son pauvre Noël à l'orange.
Je ne savais pas.
Mais je voulais vous dire : celui qui a aimé un enfant, peut-on oublier de l'aimer ? Celui a pleuré pour son enfant, peut-on le laisser pleurer ? Celui qui se souvient d'avoir été petit, peut-on le laisser dormir seul dans le froid ? Celui qu'une mère a bercé, peut-on l'oublier dans la rue ?

Publié dans Fables

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Regarde le ciel

Publié le par Carole

 
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    Tant de messages autour de nous, sur les affiches ou sur les murs, tant de conseils, sages ou fous, sournois appels de commerçants, traces oubliées par les jours, injonctions de passants anonymes... 
— Regarde le ciel..., me disait ce mur gris.
— Oui, lui ai-je répondu, oui, regarde le ciel... Regarde le ciel quand tu traverses le chantier, parce qu'il faut toujours regarder un peu plus loin, un peu plus beau. Regarde le soleil, quand tu prends l'escalier de ciment. Regarde l'arbre, quand tu grimpes à l'échafaudage. Et regarde la mer, quand il fait gris sur le trottoir. Mais regarde aussi le chantier, regarde l'escalier, regarde le trottoir, regarde la poussière.
    Regarde celui qui te dis de regarder le ciel. Et regarde celui qui ne voit plus le ciel.
   Regarde tout ce que tu vois, ciel, objets ou passants, toujours, comme s'ils étaient toujours tout près de toi. Comme s'ils avaient toujours quelque chose à te dire. Ou plutôt, comme s'ils étaient, toujours, eux-mêmes le message.
    Regarde.
 

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L'instant qui passe

Publié le par Carole

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     "C'est une façon de vivre." (Henri Cartier-Bresson)
 
 
   Il y a l'instant décisif, celui de Cartier-Bresson, l'instant du grand photographe, celui qui s'enfoncera comme un clou dans la grande muraille d'éternité, pour y suspendre à jamais l'image en gloire.
   Et puis il y a l'instant qui passe. Et ces photos qu'on prend, sans réfléchir, rapidement, tout en marchant. Comme ça. Pour rien. Juste parce que ce passant qui s'efface, ces livres irradiant dans la nuit, ce photographe qui nous vise, ce soir glacé d'automne, ce vent poussant les feuilles jusqu'au seuil des boutiques, et ces lumières qui veillent avant qu'on éteigne les lampes, tout cela, forcément, dans un instant, va disparaître. Et qu'on le comprend brusquement, à l'instant où l'on passe.
 

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Impression d'hiver

Publié le par Carole

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Papillon des beaux jours écrasé par l'hiver, tu étais sous mes pas le mégot du bonheur, promis au caniveau.
Je n'ai pas voulu marcher sur ton corps, j'ai pris entre mes doigts ton cadavre léger, j'ai voulu le lancer, cerf-volant de l'été, au vent gris qui passait.
Mais tu es retombé, obstiné comme un mort.
Et la pluie de novembre a sangloté longtemps, vieille louve pleureuse, sur la ville glacée.
 

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Les murs ont des oreilles

Publié le par Carole

les murs ont des oreilles
 
 
C'est quand les humains ont des oreilles pour ne pas entendre et des yeux pour ne pas voir, que les murs ont des oreilles pour épier les humains, et des yeux pour les percer à jour.
Mais parfois quelqu'un passe, un rêveur, un idiot, qui recouvre les murs de dessins maladroits, charbonne sur les briques quelques mots insensés. Rien qu'un prénom souvent, ou bien quelques bribes de phrases. Juste un message obscur, qui veut dire "Attention !" Et voilà qu'un autre passant – un rêveur, un idiot lui aussi – s'arrête pour regarder, commence à écouter. Et qu'une porte se met à battre comme un coeur, sur la paroi qui s'effrite. Et que l'idiot y cogne. Et que la porte s'ouvre – celle qui donnait sur la liberté, dont on avait perdu la clé.
 

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Ginkgo

Publié le par Carole

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J'ai aperçu dans la nuit cette feuille d'automne poussée sur la branche naissante d'un jeune tronc de ginkgo – le plus vieil arbre connu en ce monde.
Il m'a semblé qu'elle rayonnait comme la terre, cette vieillarde toujours enfant qui tournoie dans le temps.
Une autre branche, en face, commençait lentement à former son bourgeon, et perçait les ténèbres d'un petit trait de vie.
Et puis j'ai vu, plus haut, cette cicatrice noueuse, sur le tronc amputé d'une branche. J'ai cru entendre le fracas triomphant de la tronçonneuse, façonnant l'arbre, impatiemment, à la volonté des humains.
J'ai refermé les yeux. Il m'a semblé distinguer l'arbre devenu vieux, immense et somptueux sous sa forêt de branches, tout recouvert de l'or du temps, secouant comme un insecte, dans la nuit éternelle, le jardinier présomptueux.

 

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La vie est belle...

Publié le par Carole

la vie est belle
 
 
Je sortais d'un hôpital, il faisait gris, il faisait triste, il faisait froid, il faisait pluie. Alors, quand dans la rue étroite et longue comme un jour sans soleil, j'ai lu : "LA VIE EST BELLE", je me suis dit que cela valait bien qu'on s'arrête un instant. Ce n'est pas si souvent que quelqu'un prend la peine de coller à sa fenêtre, soigneusement, un petit message d'encouragement au passant déprimé.
En rouge, en lutte, lancés bien droit, sans qu'aucun point ne les arrête, quatre mots minuscules en lettres majuscules.
Evidemment qu'elle est grise, qu'elle est triste, qu'elle est froide, et qu'elle pleure comme il pleut, quand le coeur nous fait mal - mais qu'elle est donc belle, la vie, dès que quelqu'un prend le temps de le dire...
 

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Le perron vert

Publié le par Carole

l'escalier vert
 
 
J'ai toujours aimé les perrons. Ces grandes volées de marches plantées en plein trottoir pour nous faire trébucher, ou pour nous inviter, me fascinent et m'arrêtent, quand passante je passe. 
Ce perron-là, avouez-le, était exceptionnel. Immense – et vert. D'un vert un peu turquoise de ciel tendre, d'un vert doux de mer calme, de ce vert presque bleu qui veut dire espérance. Quelques herbes poussaient à ses pieds, retenant le printemps.
On se disait, en voyant les marches si vertes, qu'elles avaient été grises, évidemment. Qu'il y avait encore des gens pour repeindre le monde en beau. Et qu'alors on pouvait y croire, après tout, à ce vert presque bleu qui grimpait vers le ciel en ondulant comme une vague. Qu'on aurait pu vivre là-haut mieux qu'ailleurs.
Peut-être.

 

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Coup d'escarpin

Publié le par Carole

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Pourquoi cette impression, devant cet escarpin verni, que chacun de ses pas stiletto est un grand coup de pied lancé à l'insignifiance des passants ? Du rouge Ferrari reteintant de grisaille nos silhouettes d'occasion...
Pourquoi ceux qui se juchent nous font-ils nous sentir si petits ?
Pourquoi ceux qui rutilent nous couvrent-ils d'une ombre épaisse ?
Pourquoi les insolents s'ouvrent-ils des boulevards, quand nous marchons serrés tout au bord des trottoirs ?
Sinon parce que nous courbons le dos, fuyant vers le néant pour leur laisser passage.

 

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Architecte des ombres

Publié le par Carole

 ombre réverbère
 
 
    L'ombre souple, inclinée comme une fleur au bras du jour, posait tant de lumière sur le mur que je me suis arrêtée, éblouie. Le réverbère s'était uni au ciment lisse et nu, au bois grossièrement cloué, et, ensemble, par la grâce de l'ombre, ils étaient devenus cette épure - cette fleur dans ce vase, cette souple aiguille de cadran solaire emportée dans sa ronde. Le bâtiment banal en avait été transfiguré.
   Et j'ai rêvé d'un architecte nouveau, qui saurait bâtir avec les ombres. Qui non seulement penserait le bâtiment, mais penserait aussi le jeu compliqué des ombres se posant sur ce bâtiment. Qui songerait à disposer les poteaux et les arbres, le flot des voitures et celui des passants, chaque grille, chaque banc, chaque haie, chaque fleur, et jusqu'à chaque brin d'herbe de la rue, assez habilement pour que chaque muraille, à chaque instant redessinée de silhouettes mouvantes, soit enfin cet écran où s'inscrirait le monde en jeu d'ombres chinoises.

 

Publié dans Fables

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