Compagnon
Une histoire de misère, d'amitié et de réveillon, à lire sur mon blog cheminderonde.wordpress.com
Une histoire de misère, d'amitié et de réveillon, à lire sur mon blog cheminderonde.wordpress.com
Franchir le seuil du vieil hiver, passer la porte de lumière,
Laisser sortir l'année fanée pour faire entrer l'an qui renaît.
La pendule s'essouffle et le coeur toque un peu,
Mais on tourne quand même la poignée du temps neuf
Et l'on saisit la main de janvier compagnon
Pour marcher vers demain d'un bon pas d'illusions.
Dire qu'on y croit toujours, aux recommencements,
Dire qu'il les jette encore, ses grands feux d'artifices,
Ce monde en plein minuit
Qui voudrait être enfant.
Il y avait eu tempête au panneau d'affichage. Tout s'était retourné, découpé, recollé. On aurait vraiment cru un collage de Prévert, faisant son cirque dans la rue sur un air de Chagall.
Avec ce mot, Opéra, comme un mégot farceur, comme un sourire aux lèvres, sous le nez en pirouette... C'était peut-être l'opéra du vent et de la pluie, de la terre inondée sous la lune obscurcie. Ou bien l'opérette en goguette du hasard qui nous guette.
Le temps change sans fin les têtes d'affiches, on le sait bien. Visages après visages claquent au vent de renommée dans les voiles des jours.
Mais l'artiste, c'est celui qui toujours continue. Le clown se meurt, le clown est mort? Qu'importe, il s'en revient toujours. Comment donc pourrait-il mourir, puisque nous conservons son beau brin de sourire au nid de nos chansons ? Puisque nous emportons un peu de son regard dans nos yeux de passants,
nos yeux lavés au bleu de son esprit de fantaisie,
nos yeux semés au grain de sa douce folie,
nos yeux multipliés comme le pain de poésie.
C'était, sur le mur d'un immeuble très neuf, à l'entrée du local à poubelles, un bonhomme au pochoir, un picthomme dérisoire, qui ne tenait plus sur ses jambes que par les angles usés de ses moignons.
Géométrique et sûr de lui, il jetait aux ordures, dédaigneux, méthodique, une Terre boursouflée de continents irréguliers, d'océans dentelés, de forêts sous le vent, d'animaux galopants, et de tant d'étranges richesses aux contours d'infini qu'il avait mesurées, gaspillées, dépecées, méprisées.
Il se croyait plus fort qu'Elle. Il n'avait pas l'air de comprendre qu'Elle allait rebondir comme un ballon, comme un remords, comme un coeur tout vivant, comme sa propre tête. Et réduire en morceaux le petit géomètre. Qui n'aurait plus qu'à se jeter lui-même, pièce à pièce, défait, dans le traître filet de son piège à ordures.
C'est drôle comme chaque année quand l'année se finit, on pense à tout cela qui pourrait se finir en ce monde infini.
Sur ses deux arêtes émoussées, sur ses moignons d'échasses, jusqu'où s'en ira-t-il encore, l'égaré qui croyait marcher droit, le petit homme qui voulut être grand ?
Voilà, c'est fini, et l'on va retirer la boîte. Peut-être même qu'on l'a déjà déshabillée de ses guirlandes, décrochée et rangée.
Je suppose que certaines lettres sont arrivées, et qu'on a envoyé en retour des colis bien garnis.
Mais les autres, celles qui se sont perdues dans les ombres du deuil, dans les scories de la douleur, dans les soutes de la misère, les autres, qu'est-ce qu'on en a fait, là-bas ?
Et celles qu'on envoie tous les jours, dans ces bouteilles sales qu'on rejette à la mer, dans ces grands cris muets qu'on lance au vent hurleur, qu'est-ce qu'on en fait, de celles-là, dans les coins sombres où elles s'égarent, lasses et froissées, effacées, résignées ?
Peut-être qu'on les entasse, après tout, quelque part, petits tas de feuilles sèches, pétales de coeurs fanés, et qu'on les garde, pour plus tard. Pour que l'on se souvienne. Larmes à conviction. Que l'on sache pourquoi il faudra bien le faire exister, un jour, ce Père Noël.
Je vous souhaite à tous un heureux Noël
Doux comme un arbre bleu aux forêts de la terre
Gai comme un arbre vert au revers de l'hiver
Beau comme un arbre rouge aux chemins de demain
Serein comme une ville irradiant dans sa nuit
Paisible comme une ombre de vieille cathédrale
Tendre comme l'enfance aux ailes d'espérance.
Le trottoir s'amusait à parler de mystère...
Mais le seul vrai mystère, c'était, sur son chemin, ces feuilles d'or vivant du ginkgo millénaire.
Et la branche de l'arbre tenant la main des jours pour faire le tour du temps.
Et l'année au solstice faisant tourner sa barque sur la rivière hiver.
Cet éternel retour des saisons de l'espoir qu'on appelle Noël.
Sur le panneau où tant d'espoirs s'affichent, où tant de mots aguichent, le malicieux monsieur Dimanche (clic), celui qui écrit et dessine, inlassable, sur les murs de la ville, avait eu un moment le dernier mot :
"JE NE DIS JAMAIS RIEN."
Ne rien dire pour parler : voilà vraiment le comble du bavard. Mais un autre bavard était passé par là, recouvrant ce bon mot du Dimanche d'un petit Papillon, déjà trempé de pluie et fatigué de braire...
C'est toujours si curieux, si joyeux et si triste, au fond, ces panneaux d'"affichage libre", palimpsestes de nos rues, naïves vanités où chacun s'en vient dire son désir d'échapper au silence, avant de se taire aussitôt, bâillonné par l'affiche plus fraîche qu'un autre vient poser pour parler à son tour.
Je crois bien que le temps est un colleur d'affiches, un monsieur Dimanche en habit de tous les jours, qui marche dans la ville avec ses rouleaux de papier et son grand seau de colle, et travaille, inlassable, tandis que nous courons derrière lui, de spectacle évanoui en fête disparue.
Passant à Blois, non loin de la rue Triboulet, je me suis arrêtée devant cette plaque, qui peine tant à contenir le nom à double fond de "Jean Eugène Robert-Houdin" qu'elle doit en tasser les dernières lettres comme un magicien tasserait le dernier foulard dans sa manche, avant de faire sortir les colombes.
J'ai admiré ce très bel attelage : "horloger-prestidigitateur".
Qu'on puisse être à la fois un simple horloger et un vrai prestidigitateur. Le même et l'autre. Ici-bas et ailleurs. Que la magie soit à portée de chaque artisan de sa propre vie, je n'en ai jamais douté depuis cet après-midi d'été...
...mes grands-parents de Blois, comme nous disions, nous avaient conduits, mes petits frères et moi, à un spectacle de magie, dans le vieux musée Robert-Houdin d'alors. J'étais déjà trop grande, pensais-je, pour m'amuser de si peu, et je m'ennuyais ostensiblement.
Nous avions traversé des salles sombres et poussiéreuses emplies d'étranges instruments, on nous avait fait asseoir devant la scène.