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fables

Art (et jeunesse)

Publié le par Carole

La-jeunesse-est-un-art.jpg
 
 
"La jeunesse est un art", avait écrit quelqu'un dans l'escalier. Signée de trois traits – ceux de l'initiale W ? – la maxime semblait forte et bien boulonnée. Fraîchement peinte ou repeinte, tout à fait juvénile.
Je n'étais peut-être déjà plus vraiment jeune, mais je grimpais encore d'un bon pas. Et cela m'avait plu de lire à mon passage ces quelques mots flatteurs. Oui, oui, je pourrais la prolonger longtemps, très longtemps, certainement, cette jeunesse qui était avant tout un art, le grand art de ne pas vieillir... Et même, en la cultivant savamment, cette belle jeunesse, peut-être je pourrais, dans mon arrière-saison, cueillir des fruits bien doux, sur l'arbre précieux de ma vie toujours neuve...
Voilà ce que je m'étais dit en montant l'escalier.
 
Et puis... et puis, je l'ai redescendu. La maxime était toujours là, toujours aussi nettement tracée. Mais l'escalier était devenu bien raide, et moi, essoufflée, fatiguée du voyage, j'avais sans doute beaucoup vieilli, car cette fois je me suis arrêtée pour reprendre haleine, et j'ai lu les mots tout à rebours : "L'art est une jeunesse".
En effet... me suis-je dit, j'avais dû mal lire autrefois... j'avais dû lire trop vite. Ce n'est pas la jeunesse qui est un art, c'est l'art, bien sûr, qui est une jeunesse. L'art est notre jeunesse, l'art est la seule jeunesse. N'en espérons pas d'autre. Mais celle-là du moins saura sans faiblir nous accompagner jusqu'en bas des marches, et nous aider à vivre, avant de nous tendre la main, quand il faudra enfin traverser la vieillesse et accepter la mort.
 
Quand j'ai repris ma route, j'avais la curieuse impression de n'être plus tout à fait seule, dans l'escalier étroit où la nuit s'installait pour dormir, comme un vieux vagabond.

 

Publié dans Fables

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Sourire

Publié le par Carole

sourire.jpg
île de Versailles - 2 avril 2014
 
 
Nous donnons sens à tout. Nous sommes nés pour la fable et créés pour les signes.
Pourtant... Un cube sur un plateau, est-ce bien un chapeau ? Deux points au-dessus de deux traits, est-ce bien un visage ? Un demi-cercle sur la pierre, est-ce bien un sourire ?
 
Je l'ai trouvé malin, ce petit bonhomme charbonné en Diogène, qui posait à tous les passants sa grande énigme :
— Le savez-vous, mes chers humains, pourquoi vous le cherchez partout, votre visage humain ?
Et qui leur répondait, soulevant son chapeau, les yeux brillants, le sourire malicieux :
— Mais, chers humains, c'est, justement, parce que vous êtes humains... 
 
N'allez pas m'en demander plus. Je n'ai fait que transcrire ce que, passant par là, j'ai vu et entendu. Et voilà qu'une fable m'est venue par hasard. Une très brève histoire sans yeux ni tête, juste un brin de .
 

Publié dans Fables

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Joie

Publié le par Carole

joie.jpg
 
 
Prendre le temps de découper des lettres et des étoiles, pour venir les coller dans les lieux les plus sales et les plus délaissés de la ville. S'accroupir sans dégoût dans la boue et l'urine, s'appliquer lentement à faire éclore ces pauvres fleurs de papier, qu'emportera la première pluie, que sèchera le premier soleil. Dans le bouquet fragile qu'on avait préparé, choisir de tous les mots celui qui fane le plus vite. L'accrocher tout en JOIE, au fond de la forêt des graffitis et des débris d'affiches, sur sa tige d'étoiles. Puis le laisser jongler, dans son habit de clown, sur son mur de misère, avec la laideur et la crasse.
Pourquoi, mais pourquoi donc se donner tout ce mal ?
Mais pour rien, presque rien. Juste pour ça :
J
O
I
E
.

 

Publié dans Fables

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Le poisson

Publié le par Carole

poisson-arbres-1.jpg
"La maman des poissons,
Elle a l'oeil tout rond."
(Bobby Lapointe)
 
 
   Un poisson dans les arbres ? J'ai eu un moment d'hésitation... peut-être étions-nous déjà le premier avril, peut-être le temps avait-il sauté de quelques pas en avant, fatigué d'un mars glacial qui n'avait pas apporté le printemps, pour s'en aller un peu plus loin... ? 
   Puis je me suis souvenue de l'avoir vu, ce petit Nemo, ce poisson rouge aux yeux vifs, samedi dernier, pendant la braderie, à l'étal flottant d'un marchand de ballons, près d'une petite sirène. Sans doute un enfant l'avait-il laissé s'envoler, et il était venu s'accrocher là, dans les platanes encore défeuillés. Souvent, ainsi, dans l'eau des étangs, on voit des poissons traverser le reflet des arbres, des nuages et du ciel. Le monde s'inverse, et une grande sérénité, une douceur d'enfance nous gagne à contempler cela.
   A vrai dire il y avait même deux poissons..., car un petit drôle à l'oeil curieux se tenait pressé contre le flanc du plus gros des poissons, celui que j'avais d'abord distingué. La maman des poissons de Bobby Lapointe... J'ai pris la photo au passage... une de ces photos qu'on prend en un instant, et qu'on efface bientôt après...
   Dans la foule fatiguée qui attendait le tram de six heures, personne ne semblait avoir remarqué mon poisson volant... Les gens lèvent si rarement les yeux vers le ciel. Et puis l'esprit de liberté, l'esprit de fantaisie nous a quittés, je crois, dans ce monde glacé de crises et de désillusions.
   Le tram est arrivé finalement. Debout dans la foule serrée, j'ai sorti l'appareil, pour regarder encore mon poisson aérien, avant de le détruire... Et brusquement j'ai entendu quelqu'un me dire, avec un fort accent sénégalais : "C'est beau, ce que vous photographiez..."
   C'était un jeune garçon qui se tenait à côté de moi. Il a dit encore : "C'est beau, cette photo..." J'étais surprise, car à une telle photo je n'avais pas de raison d'accorder la moindre importance... Je l'ai regardée encore et le jeune garçon a continué à me parler. Il aurait aimé, lui aussi, avoir un appareil-photo, mais c'était trop cher apparemment... Nous avons parlé quelque temps. Avant de descendre, il a voulu savoir mon nom. Il m'a dit qu'il s'appelait Olivier, et, marque suprême de confiance, il a tenu à me laisser son numéro de téléphone. Peut-être avait-il quinze ou seize ans, et si je n'avais pas photographié mon poisson-clown, jamais je ne l'aurais même aperçu, cet enfant de l'Afrique, qui a disparu sur le quai dans la foule, et que sans doute je ne reverrai jamais.
   Esprit de fantaisie, esprit de liberté, esprit d'enfance et de jeunesse, toi seul peux nous rapprocher des autres, de toi seul pourra naître enfin le printemps - ce printemps du bonheur et de la fraternité qui tarde tant à venir.
   Je n'effacerai pas ma photo de la maman des poissons.
 29 mars 2013
 

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Bois flotté

Publié le par Carole

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Il descendait le fleuve comme un vieux canoé. Il traversait la ville en sauvage muet, ne luttant qu'avec l'eau, obstiné à durer. Arraché quelque part aux forêts frémissantes qui se trempent et se penchent, ou aux montagnes à glace que brise le printemps, il roulait dans le flot, droit devant, sans détour, sans retour. Ebranché, écorcé, dépouillé, démoussé, il partait seul et nu affronter l'océan. 
Je n'aurais pas su dire, tant il s'en allait vite, porté par le courant vers tous les infinis, s'il était à l'image de la vie ou à l'image de la mort.

 

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Tourner en rond

Publié le par Carole

tourner en rond 2
 
 
Quelquefois – mais pourquoi ? – ça prend mauvaise tournure.
On tourne à vide, on routine, on patine, ça ne tourne plus rond.
Ça nous tourne la tête et ça nous tourneboule.
Ça nous tourmente et ça nous tournaille.
Ça tangue et ça tournique, on en a le tournis, le roulis.
On a beau retourner le problème en tous sens, se mettre en boule et se tourner les sangs, 
ou au contraire tourner autour du pot, tourner casaque et contourner l'obstacle,
rien à faire, c'est comme ça.
Ça ne tourne pas bien, ça tourne même très mal.
Ça vire à l'aigre et au vinaigre.
Ça se retourne contre nous.
 
Pas moyen de tourner les talons.
Pas moyen de tourner la page.
Rien à faire pour se mettre en roue libre.
De quelque côté qu'on se tourne qu'on se retourne,
tout au bout du rouleau,
 
on tourne en rond on tourne en rond on tourne en rond !

 

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Une larme de sèvesang

Publié le par Carole

arbre sève 1
 
 
Ils venaient de passer. Avec leurs instructions, leurs tronçonneuses, leurs certitudes.
Ils avaient scié tranché sectionné éradiqué la branche. Puisqu'elle gênait qu'elle dépassait qu'ils le savaient et que c'était si simple avec la tronçonneuse.
Ils étaient repartis aussitôt tronçonner taillader débiter la forêt rectifier la planète façonner l'univers à la mesure des hommes.
 
Il y avait eu d'abord ce silence qui succède toujours aux crimes.
Puis lentement sur la blessure ouverte avait roulé cette goutte.
Une goutte de sèvesang, échappée à ce dieu qui vivait dans cet arbre.
Une larme de sèvesang, versée sur la nature vaincue, 
et peut-être aussi sur les hommes.
Parce qu'ils sont si seuls.

 

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Printemps

Publié le par Carole

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Aujourd'hui jour sans pluie,
le printemps ressemé
jetait tous ses bouquets
comme des chants d'oiseaux.
 
Et la joie accrochait
aux arbres et aux épines
ses haillons parfumés.
 
On marchait dans l'air bleu
sur le chemin qui va
tout autour du bonheur.
 
Et c'était si léger
d'être libre et de vivre
qu'on ne savait plus bien
ce qui faisait pleurer. 
 
 
A chaque fleur son ombre était 
un soleil sur la terre
qui tournait avec elle.

 

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Bonhomme Sisyphe

Publié le par Carole

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On le croise tant de fois chaque jour, ce petit pictogramme qui de panneau en panneau traverse sur les clous, grimpe dans l'ascenseur, s'enfuit par les issues de secours, trie sélectivement ses déchets, évite de nourrir les pigeons, file à l'école en vélo, ou s'évertue à pelleter des cailloux...
Il est curieux, du reste, si l'on y réfléchit, que toute notre humanité si vaste et si variée se résume aujourd'hui partout à cette silhouette noire et disciplinée, toujours la même, de plus en plus stylisée seulement, à mesure que les années passent et que les panneaux se modernisent - si bien qu'on en viendra peut-être bientôt à la réduire à deux traits, , comme en japonais, achevant en idéogramme son destin de pictogramme.
Mais à quoi bon insister ? Qui donc perdrait son temps à réfléchir à ce banal chef-d'oeuvre d'humanité banale, partout répandu dans nos rues ?
 
Seulement voilà, c'était la nuit, et je passais, une fois de plus, devant le bonhomme pictogramme. Vous avez sans doute remarqué à quel point la nuit, en ville, avec ses lumières et ses couleurs inattendues, parvient souvent à conférer la vie aux objets les plus simples, aux images les plus rebattues. Si bien que devant moi, soudain, sur son panneau usé et cabossé, le pictogramme était devenu vivant.
Il travaillait si dur. A l'ancienne. A la pelle. Peinant à remuer ses cailloux pour en tracer sa route.
On ne travaille presque plus de cette façon, pourtant. Et sur les chantiers de nos villes, il y a longtemps qu'on a posé les pelles pour conduire des machines, piloter des grues, programmer des robots.
Qu'importe ? Dans l'imaginaire obstiné des humains, le travail ne saurait être que cela, la vieille lutte du bonhomme Sisyphe contre la matière, contre la motte de glaise, le tas de cailloux ou le rocher. Le combat infini du petit homme qui n'a d'autre alliées que sa pelle et sa peine.
Ainsi, c'était bien lui qui dans la nuit se tenait devant moi : le bonhomme Sisyphe. Humble, anonyme, courageux, acharné. Usé, lacéré, cabossé, fatigué.
Volontaire et si las. Indifférent au monde des machines et des idées en marche. Pour l'éternité seul avec sa tâche, sa pelle, et son tas de cailloux qui ne diminue pas.
 

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Presque rien

Publié le par Carole

arbre fleur jaune
 
 
—Hier nous étions le 27 février...
—A quoi bon le rappeler ?
—Je marchais dans la rue... 
—Certes...
—Il y a eu dans le vent froid un souffle de soleil. Soudain je me suis arrêtée. J'avais vu ces deux fleurs, qu'en photo j'ai cueillies... 
—Vous n'aviez rien de mieux à faire ?
—... ces deux fleurs de l'été surgies en plein hiver...
— C'est que le climat change, que les saisons s'effacent. Et puis il a tant plu.
—... ces deux fleurs du trottoir, venues au pied d'un arbre maigre, tout près d'un hôpital...
—Nous l'avons assez vu, votre triste quartier... Montrez-nous les merveilles, les monuments et les musées, les jardins et les magasins, les beaux quartiers, au moins !
—... c'était comme un bouquet de joie, qui aurait poussé ses pétales dans le sombre et le sale.
—Un bien maigre bouquet. Devant ces grilles d'hôpital, sur votre trottoir sale, vous avez dû en voir, dites-moi, des malades, des mendiants et des misérables ? Si vous ne voulez pas parler des beautés de la ville, parlez-nous d'eux, alors. Soyez utile à ceux qui souffrent. Oubliez donc vos fleurs.
—Elles leur étaient si librement offertes...
—Deux fleurs toutes petites !
—Il est si grand, le tout petit bonheur que l'on n'attendait pas.
 
 
rudbeckia
 

Publié dans Fables

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