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Promenade

Publié le par Carole

aiguille départ 5
        Nantes - Site des Fonderies de l'Atlantique - 18 juin 2014
 
 
On a rhabillé en jardin exotique la fonderie fermée. Agaves et cactus étirent dans la limaille leurs lames et leurs pointes. Des badauds se promènent, admirant les yuccas, parmi les machines muettes, pensives comme des dieux éteints. On a logé sous les piliers des jeux pour les enfants, une piste de skate, quelques bancs d'amourettes
Il n'y a pas si longtemps, pourtant, qu'ici le fer coulait comme la lave, dans un fracas d'éruption. 
Que des ouvriers transpirants versaient le métal en feu dans des moules en forme d'hélices de navires.
En l'an 2000 encore.
 
Sous les hauts plafonds de métal ajourés de palmiers, les skateurs vont et viennent. Mais la vieille aiguille arrêtée dans sa rouille ne reviendra plus jamais sur l'encoche du départ.
 
Devant la vieille halle éventrée relookée réhabilitée, sur le mur de graff officiel et municipal, un peintre a signé crûment sa fresque :
 
chômeur sans expérience
 
Un jeune sans doute, un sans X-périence, un anonyme, un X, vie rayée par les statistiques. Peut-être le fils d'un ouvrier d'ici qui n'aurait pas coché les bonnes cases à l'école, et qu'on aurait laissé pourrir avec le Clemenceau.
 
Au rez-de-chaussée du grand immeuble neuf qui ombrage la halle d'un profil de Babel, un restaurant s'est installé. A la terrasse on boit et on bavarde dans le soleil de juin, sans prendre garde à la poulie très noire paralysée au-dessus d'une fosse enherbée.
 
Soudain un homme dit, très fort : "Et hop ! voilà, d'un coup, comme ça !"
 

Publié dans Nantes

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Terreur

Publié le par Carole

Carrier.jpg
 
Je n'avais jamais aperçu ce poteau, au bout du quai de la Fosse où s'affairaient autrefois les portefaix et les matelots retour des îles. Je me suis approchée... on l'avait planté là pour commémorer les noyades de 93, les noyades de masse ordonnées par Carrier pour vider les prisons surpeuplées de Nantes.  
L'eau a passé sous les ponts pendant plus de deux siècles. Pourtant, ici, quand on se penche vers la Loire, on ne peut pas s'empêcher de penser à ces gabares d'alors, construites exprès, avec leurs panneaux astucieusement coulissants, pour noyer des humains vite et bien. Souvent, il m'a semblé les voir, couchés dans la boue des marées descendantes, les milliers de cadavres. Souvent, j'ai cru les entendre appeler dans un souffle du vent, dans un long cri de mouette.
Il y a dans les grands crimes, comme dans les grandes vertus, quelque chose d'irréductible, qui traverse le temps, qui ne peut pas vieillir. Ils s'incrustent dans le passé indistinct comme dans un cadre de poussière où ils sont toujours vivants. Et que les siècles passent comme les fleuves ne peut rien y changer : c'est toujours au présent qu'on s'en souvient. 
Il faut aller plus loin encore. Tout meurtre inspire la peur. Mais le crime de masse planifié, les cargaisons d'esclaves, les gabares à noyés, les camps d'extermination, les baraques à gégène, tout cela qui s'allie comme une ombre démoniaque, dans notre histoire, avec la recherche du progrès et de l'efficacité, tout cela qui témoigne d'une raison dévoyée s'appliquant à calculer le mal aussi froidement que tout le reste, recherchant dans la destruction des humains cette efficience maximale qui convient à la gestion optimisée des sacs de marchandises et des stocks de rebut, inspire une peur d'une nature différente, une horreur particulière, un de ces tremblements qui font vaciller nos vies sur leurs bases, ce qu'on a justement appelé la Terreur.
Le panonceau de la Fosse est bien petit, et bien isolé dans la ville, sur son bout de quai peu fréquenté. Il est marqué du coeur vendéen et des hermines de Bretagne. Je trouve étrange qu'on laisse un groupuscule régionaliste s'approprier un tel souvenir. Car il me semble, à moi, que lorsqu'on dit "noyades de Nantes", que lorsqu'on dit "Carrier", c'est toute notre civilisation qui frissonne, devant son ombre hideuse, avec l'eau de la Loire.

 

Publié dans Nantes

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Au confort moderne

Publié le par Carole

au-confort-moderne.jpg
Viens m'embrasser
Et je te donnerai
Un frigidaire
Un joli scooter
Un atomixer
Et du Dunlopillo
(Boris Vian, Complainte du progrès)
 
 
A Trentemoult, c'est l'une des maisons les plus filmées, l'une des plus photographiées. Une star. Une reine bleue.Vieillotte et limpide comme un rêve de bord de l'eau, elle attire le regard quand on arrive par le fleuve, sur la petite navette. Si on s'approche, à pied, on découvre sans surprise que la boutique close donnait rue du Passage. On en devient un peu mélancolique, un brin méditatif.
Que pouvait-on bien vendre ici ? Des presse-légumes et des écrase-citrons ? des ouvre-boîtes et des perce-paniers ? des frigidaires et des atomixers ? des cuit-magix et des croque-badauds ?
Au confort moderne, dit l'enseigne désuète.
Nous rappelant ainsi que, de tout ce qu'aujourd'hui nous croyons désirer, de tout ce que nous pensons admirer, ce qui vieillira le plus vite, ce qui demain se fanera sans rémission dans sa poussière de temps, ce sera, à coup sûr, ce qui nous semblait justement le plus actuel, le plus branché, le plus in, le plus top, le plus contemporain, enfin le plus moderne - comme on disait encore, en ce temps-là.
 

Publié dans Nantes

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Gigantomachie

Publié le par Carole

royal-de-luxe---grand-mere-des-geants.jpg
   7 juin 2014 - Parade de Royal de luxe
 
 
Hier, à Nantes, c'était jour de sortie des géants.
Comme tout le monde, j'ai photographié la grand-mère, Gargamelle à chignon qui parcourait les rues sur son fauteuil roulant comme d'autres font aller la Terre depuis leur trône doré.
 
La photographiant j'ai photographié toute une grappe de photographes au balcon.
Et, comme à chaque fois que je fais face à d'autres photographes en foule – ce qui ne m'arrive après tout pas si souvent –, j'ai eu cette drôle d'impression de culpabilité... l'impression bizarre... d'être... oui, d'être un tueur parmi une bande de tueurs.
C'est que c'est très dangereux, en fait, un appareil-photo, c'est même une arme mortelle.
On vise, on appuie sur le déclencheur, et, clic, on assassine le présent qui retombe vaincu dans un coin de machine. Clac : "je vois" est devenu "j'ai vu"... Il ne reste plus ensuite qu'à ranger les images dans leur boîte à mémoire, comme un chasseur de papillons cloue au fond d'un casier à poussière les beaux insectes morts cueillis dans un frisson d'été sur les branches du jour.
Pourtant, je vous le demande, qui, aujourd'hui, se fatiguerait à construire une marionnette géante, s'il n'était pas certain qu'on la photographiera des centaines et des milliers de fois, sous toutes les lumières et sous tous les angles ? Et qui sortirait de chez soi pour regarder une simple marionnette, fût-elle géante, s'il n'était pas assuré de pouvoir la photographier ?
Ce n'est pas la grand-mère des géants qui est la reine de ce monde. C'est l'image. Et nous, que sommes-nous, nous qui chassons les photos comme nous conjuguerions le temps, au passé et au plus-que-passé ?
Tous vieillards.
Tous marionnettes.
 

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Boom

Publié le par Carole

ange-pochoir-3.jpg
 
 
Au détour d'une rue je l'ai enfin trouvé, mon petit ange de la ville, celui qui dépose partout, pour guider nos pas spleenétiques, ses pochoirs découpés dans des bouts de nuages.
Caché dans l'ombre d'un vieux mur, léger comme l'insolence, menu comme l'espoir, noir comme l'encre où l'on met à tremper les fleurs de poésie.
Oiseau de feu, ange sorcier, Icare ou Cupidon, impossible gamin, souverain versatile en son pays de Fantaisie, 
il brandissait sa bombe à malices comme un sourire dégoupillé, menaçant les murs gris de les repeindre en vie.

 

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Une virgule

Publié le par Carole

papillon-virgule.jpg
    Jardin des Plantes de Nantes - 3 juin 2014
 
 
On venait de planter au Jardin quelques panneaux papillonnants. 
Je me suis approchée, butineuse, curieuse de savoir ce qui fleurissait là... C'étaient de courtes notices, aériennes et savantes, sur les papillons du département. Sur les vivants, et sur les morts aussi, ceux qui gisent oubliés dans les tiroirs funéraires de notre Muséum.
Je suis tombée en arrêt devant cette épitaphe au papillon Virgule, pris au filet, une dernière fois, "dans le dernier quart du XIXe siècle", et depuis introuvable. Probablement jeté, comme tant d'autres, à la grande décharge des espèces éteintes.
 
Papillon Virgule, je ne t'ai pas connu et pourtant tu me manques comme tu manques à tout ce qui t'ignore.
C'est si peu de chose, allez-vous dire, une virgule effacée dans cette longue phrase que nous écrit le monde, depuis tant de millénaires qu'il est monde. Une virgule raturée, cela ne se remarque vraiment plus, quand le livre a commencé à jaunir et à perdre ses pages. Une pauvre virgule gommée aux pesticides sur un vieux parchemin... allons ! il y a tellement, tellement plus grave !
Pourtant, qu'il manque une virgule, une simple virgule... C'était un poème, cette phrase, tout était si parfait, tout si bien à sa place... Qu'il y manque une virgule, une simple virgule qui dansait au soleil dans son coin de prairie, il semble que tous les mots s'en trouveront boiteux.
 

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Un bouquet

Publié le par Carole

bouquet passage à niveau
 
Contre le grillage de la voie ferrée, derrière le passage à niveau, dans cette rue que j'emprunte depuis peu, ce bouquet, hier soir. Exprès acheté et posé là précisément par quelqu'un qui savait et qui se souvenait.
Quelle tragédie, accident ou suicide, commémorait-il solitaire ?
Et celui qui en fut la victime, était-il jeune, était-il vieux ? Souriait-il ou pleurait-il, à l'instant du malheur ?
Les fleurs me regardaient mais elles restaient muettes. Je n'ai rien pu savoir.
 
Nous étions le 3 juin, c'était à Bouguenais. Âme inconnue, légère comme pétale, qui repose dans l'herbe et la poussière des voies, reçois ce mince bouquet de mots que je t'offre à mon tour. 
 

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Présentement

Publié le par Carole

magasin-a-louer-presentement.jpg
    Passage Pommeraye - Nantes, 2 juin 2014
 
 
Au Passage, les hasards de la restauration avaient fait ressurgir hier cette affiche, sous un vieux miroir déposé. En quelle année l'avait-on collée là ? En 1843, quand on avait ouvert les premières boutiques, ou en 1848, quand la crise avait tout englouti ? Fantôme déchiré sur sa croix de bois sale, elle était aussi émouvante qu'une enseigne de Pompéi :
 
MAGASIN
A
LOUER
 
PRÉSENTEMENT
 
Présentement présentement présentement, le vieux mot palpitait sur le bois comme un coeur encore vivant dans les plis du papier presque intact.
Présentement présentement présentement...
C'est si peu de chose, le présent, on le gaspille, on le dissipe, on l'imprime, on l'oublie, on le voue sans remords au commerce, aux efforts qui s'effacent, au néant agité des affaires humaines.
Pourtant, que le plus humble lambeau de ce présent disparu parvienne intact jusqu'à ce nouveau présent dérisoire qu'on appelle aujourd'hui, il en devient si précieux qu'on pourrait en pleurer. C'est qu'il a traversé le temps, ce mystère des mystères.
Et que présentement présentement présentement, ils sont moins que poussière, ceux qui croyaient au présent comme on croit en soi-même.
 

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Au passage

Publié le par Carole

passage pommeraye bois vermoulu
    Nantes - Passage Pommeraye en travaux
 
 
Vous savez qu'on restaure le Passage. On le nettoie, on le dépouille, on le désosse et on l'abrase. Il se tient devant nous, nu comme jamais il ne l'a été, rouillé et vermoulu, aussi décrépit et flétri qu'un vieux beau sur une table d'opération.
Bientôt il n'y paraîtra plus : peintures fraîches, replâtrages et dorures auront relancé le commerce et refardé ses rides de dandy aux miroirs. Dans l'escalier du fondeur Voruz, près des enfants de plâtre badigeonnés de frais, on pourra de nouveau faire rêver Lola, et photographier sous leurs voiles les belles mariées de Nantes. 
Il est comme ça, notre Passage, un peu facile un peu vénal, capricorne et caméléon, toujours à changer de visage à se remaquiller.
 
En attendant, c'est bouleversant d'avancer sur les poutres amincies et rongées, comme sur la corde usée du temps, parmi tant de lézards grisâtres qu'on n'avait jamais remarqués, aussi longs et pointus que ces aiguilles aiguës qu'on plante au coeur lourd et battant des horloges.

 

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Scotch encore

Publié le par Carole

main---scotch.jpg
 
Ils sont là de nouveau, les bonshommes "scotch", ces épouvantails de carton ficelés d'adhésifs qui viennent aux beaux jours rhabiller bornes, poubelles ou boîtes aux lettres, prêtant aux objets les plus ternes leurs grandes silhouettes dégingandées, pour nous inviter à jeter dans la ronde des métamorphoses et des rêves enfantins nos regards qui s'éteignent, mouchés par l'habitude.
Celui-ci avait des mains brunes et ridées de paysan, accrochées à la pierre. Des mains nues sous la pluie, crevées d'ampoules et de plis. De larges mains de bûcheron, des mains de forgeron. Des mains de mousse et de carton, pianotant leur grand air sur les tambours du monde. Des mains de trois fois rien, qui faisaient illusion. Des mains de géant vacillant, qui se tenaient aux murs. Des mains de conquérant, des mains de mendiant. Des mains pour se serrer, des mains pour caresser. Des mains comme des troncs, pour franchir les ravins. Des mains de pauvre gars, à prendre par la main. Des mains pour les fardeaux, à ouvrir patiemment. Des mains pour les prières, à déplier dans l'ombre. Des mains comme des poings, des mains comme des coups. Des mains de bandelettes à tomber en poussière, des mains de sciure blonde à disperser au vent. Des mains aux lignes entremêlées qu'on ne savait plus lire, brouillées comme des cartes qu'on aurait trop battues. 
Des mains vraiment humaines.
 
Scotch en 2012, c'est ici : http://carole.chollet.over-blog.com/article-scotch-106684512.html

 

 

 

 

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