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En passant

Publié le par Carole

croix-charrette-viarme.jpg
 
 
Je passais place Viarme, un jour de pluie comme un autre. J'ai vu soudain s'arrêter tout un groupe de cyclistes encapuchonnés. L'un d'eux montrait aux autres cette croix, expliquant quelque chose, à grands renforts de gestes passionnés. Quand ils sont repartis, je me suis approchée.
C'était en fait la croix fleurdelisée du fameux Charette, le capitaine des Vendéens. Ici, disait la plaque de fonte, ici a été fusillé pour Dieu et pour son roi le général vendéen Charette de la Contrie.
C'est étrange... je le savais bien, que Charette était mort sur la place Viarme, mais je n'avais jamais pensé à aller voir cette croix. Je ne me doutais pas, pas du tout... 
J'avais lu quelque part que ce fameux Charette avait été fusillé devant une porte de bois. J'avais imaginé de vieux murs pittoresques plantés de lys et de vigne vierge, portant comme un blason leur porte antique percée de trous rouillés. Mais voilà que j'avais devant moi ce calvaire de granit disgracieux, entouré de ces ridicules petits menhirs de cimetière que vénèrent tous les chiens de trottoir. Et, en fait de porte de bois pittoresque et fossilisée par l'histoire, je pouvais admirer, en arrière-plan, la moderne façade d'une banque.
Il est loin, le temps des révolutions et des guerres de Vendée. Il est loin, ce dix-huitième siècle enchanteur et violent où tout se finissait par des chansons ou des exécutions. Aujourd'hui tout se finit, toujours, devant le guichet d'un banquier.
 
 

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La lézarde

Publié le par Carole

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Nantes - Chantenay - février 2014
 
 
Pour cacher le vieux mur on a peint un village, un vrai village faux, avec ses rues, ses murs, ses chats, ses escaliers et ses boutiques.
C'est si bien fait, on s'y croirait.
Un trompe-l'oeil, n'est-ce pas, c'est si joliment fabriqué pour tromper, qu'on prend à se tromper un vrai plaisir d'artiste.
 
Mais le mur a continué à vivre, à se rider, à se creuser, se lézarder. A se verdir, à s'emmousser, à se noircir, à se pissenliser.
Et la réalité, aveugle et obstinée, a refait son chemin zigzaguant sur l'image.
Maintenant, la fresque est toujours virtuose, le chat est toujours de gouttière. Seulement voilà : on n'y croit plus.
Dire qu'il a suffi de filer comme un bas le crépi mince, et d'y jeter deux grains de pissenlit en façon d'hellébore, pour semer le doute au village. Mettre à bas d'un éclair le décor impeccable.
 
C'est si souvent – n'est-ce pas ? – qu'une mince lézarde suffit à secouer tout l'édifice d'une belle illusion. 

 

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Je m'étais juré de ne pas en parler...

Publié le par Carole

Je ne parlerai ni de la manifestation d'aujourd'hui contre l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes, ni des librairies qui ferment.
Promis juré. Je n'en parlerai pas. Non non non.
De la manifestation, je ne parlerai pas, parce que je n'y étais pas, et que tout le monde vous en parlera, à coups de twitts, de communiqués, de condamnations, d'images-chocs et de déplorations...
Des librairies qui ferment, je ne parlerai pas non plus, parce que j'en ai déjà tellement parlé, et que cela me désespère d'y revenir encore.
Pourtant... Non non non, c'est plus fort que moi.
J'étais en ville ce matin, me dépêchant parce qu'on allait interrompre le trafic des tramways. Comme mon trajet m'amenait nécessairement tout près de la rue de Feltre, j'ai pris quelques minutes pour aller voir les pauvres employés de la librairie Chapitre qu'on a longtemps connue ici sous l'enseigne Forum Privat, et qui vient de fermer, faute de repreneur. 
J'ai dû passer par le portillon d'une grande herse de métal, cernée de cars de CRS et de camions de gendarmerie - de ma vie je n'en avais jamais vu autant ni d'aussi imposants, jamais non plus je n'avais vu le centre ainsi hérissé de grilles
J'ai croisé des groupes bavards de Robins des bois, qui attendaient, fixant tout étonnés les grilles et les camions, que le cortège démarre.
 
 
manifestation-NDDL.jpg
 
Enfin, là-haut, devant la boutique désertée, j'ai vu les employés de la librairie, tout seuls et silencieux au milieu de tristes affiches demandant un peu d'aide et un peu d'intérêt.
Quand je suis sortie, j'ai retrouvé les cars de police, la foule, les herses qu'on ne franchissait qu'en montrant patte blanche. Une rumeur encore calme où la tension montait.
 
Forum-privat-2.jpg
 
Et en partant, j'ai pris cette photo. Je me suis dit que c'était peut-être la dernière photo que je prendrais de la librairie, puisqu'elle allait tout à fait disparaître. Je me suis dit aussi qu'il y avait dans l'air une électricité d'émeute, et que c'était un drôle de monde, ce monde où pour construire un aéroport on pouvait mobiliser tant de forces et tant d'argent, susciter tant de colères et de violences, tandis qu'une librairie de plus venait de fermer en silence, sans que qui que ce fût d'important eût daigné s'en soucier. Et que de cela, je pouvais bien parler, puisque après tout ce ne serait demain ni sur Twitter ni au journal télévisé.
 

 

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Les pieds du général Lamoricière

Publié le par Carole

tombeau général lamoricière
      Nantes - Cathédrale - Cénotaphe du général Lamoricière
 
 
    Je n'aime pas que nos villes soient encombrées de généraux. Je n'aime pas les voir défiler sur les plaques des rues. Je n'aime pas qu'ils fassent la circulation aux carrefours. Je n'aime pas que tous ces généraux paradant et pétaradant prennent à jamais la place des généreux... 
   Mais bien sûr, comme les autres et malgré mon avis, cette ville regorge de généraux. Morts, embaumés et sculptés, ils sont partout. 
     Le Lamoricière de la cathédrale, par exemple, encore un général.
    Le tombeur d'Abd-el-Kader, le chouchou de Pie IX, celui-là, un de ces sabre et goupillon qui infectent l'histoire des peuples. On l'aurait tout à fait oublié, s'il ne faisait pas mine de dormir en pleine cathédrale, s'il n'avait pas arrangé là son petit coin de Westminster.
    Et juste en face du merveilleux tombeau du duc François II et de son épouse Marguerite de Foix sculpté par Michel Colombe.
    Avec ses noires allégories de charité et de vertu, ses coquilles, ses colonnes et son masque serein, essayant sottement d'imiter l'autre, s'appliquant à faire mieux. Mieux que Michel Colombe, un Lamoricière, allons bon ! Regardez donc ses pieds.
    Les pieds du général Lamoricière pointent lugubrement, triangulaires comme le sale commerce, sous le drap bien tendu de son épais linceul.
    Ce ne sont ni les pieds délicats, aériens, de François et de Marguerite, caressés par les anges, foulant déjà, sans peine et sans ostentation, la douce soie des brumes de l'au-delà.
    Ni les pieds nus glacés aux orteils écartés des rois couchés transis à Saint-Denis, offrant à la méditation leur pitoyable vanité de vieux morts couronnés.
    Ce sont les pieds d'un cavalier toujours botté, éperonné pour la chasse à l'Arabe.
   Ce sont les pieds d'un mondain élégant et correct, qui pour rien au monde ne se montrerait nu.
    Ce sont les pieds d'un bourgeois raisonnable, qui sait bien qu'on n'avance pas loin dans les airs, et que d'ailleurs les anges ne gardent pas les comptes en banque.
    Ce sont les pieds d'un homme de foi, qui sut faire son chemin sur la terre.
 
    De vrais pieds de général Lamoricière. Très laids.
 
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Centralia

Publié le par Carole

fumée 6
 
 
    Cela m'intrigue chaque semaine, quand je passe sur le quai de la Côte-Saint-Sébastien : car la fumée sort vraiment du sol... sans qu'aucun foyer puisse être décelé. Et sans répit elle monte, étouffant l'arbre, le fleuve et le ciel. Cela ne cesse d'augmenter, oui, de semaine en semaine le nuage s'étend. Un soir, j'ai vu des ouvriers s'affairer, soulever la plaque, fouiller au dedans, la refermer. Quand ils sont repartis, ils ont noué au tronc de l'arbre ce ruban qui nous dit de ne pas approcher, et qui va jusqu'au pont. Mais cela n'a pas empêché la fumée d'augmenter encore. Elle est même si abondante maintenant qu'on la voit s'échapper par des issues nouvelles, par d'autres trous dallés, eux-aussi enrubannés de blanc et rouge...
    Qu'est-ce que c'est ? Fumée ou simple vapeur d'eau ? D'où cela provient-il ? Quelle machine, tout en bas, ignorée, crache vers la surface son souffle épais et chaud ? Chaque semaine, quand je passe, je m'interroge, et puis bien sûr, poursuivant mon chemin, j'oublie aussitôt mes questions : c'est ainsi, la ville est pleine de mystères, et nul ne sait vraiment - ne ne veut vraiment savoir - sur quels secrets rouages se repose sa vie, ni quels sombres moteurs animent l'incessant mouvement de ses rues, de ses places, de ses tours de Babel.
    Mais, toujours, quand je passe, je pense à ce bateau que décrit Joseph Conrad dans Jeunesse, qui vogue en se consumant lentement, comme une vie.
    Et puis à Centralia, cette ville dont j'ai un jour lu l'histoire - vraie, celle-là, si ce mot a un sens - dans un journal
   C'est, quelque part en Pennsylvanie, une ville bâtie sur d'anciennes mines de charbon qui se sont enflammées, et dont le sous-sol brûle depuis 1962, sans qu'on puisse l'éteindre. Elle brûlera encore ainsi deux cents, trois cents ou cinq cents ans, mille ans peut-être. Il n'y a rien à faire. On l'appelle Centralia - ce ne peut pas être un hasard.
    Centralia se consume lentement, sans gloire et sans bruit, comme le bateau de Joseph Conrad sur ses cales enfumées. Assoupie sur son coeur brûlant, lovée sur ses poumons ronflants, couchée sur ses veines de charbon allumées, elle brûle en-dedans, doucement,  sans douleur. On continue d'y vivre, comme ailleurs, en s'efforçant de trouver banal que les rues se fondent et se fissurent, que les maisons se noircissent et vacillent, que les enfants pleurent d'angoisse, et que, parfois, des oiseaux qui volaient tombent morts sur le sol. Les habitants s'asphyxient lentement, et n'y prennent plus garde - leurs journaux les rassurent, je suppose, puisqu'il paraît que la situation est sous contrôle.
     Je sais qu'il y a, ailleurs, d'autres villes semblables à Centralia, qui se consument indolentes, sur leurs richesses en feu, sur leurs entrailles rougies de flammes, sur ce vide intérieur où passe le souffle ronflant d'une respiration mortelle.
    Je me demande même, au fond s'il y a d'autres villes que celle-là, si Centralia n'est pas, tout simplement, la métaphore de tout, le centre obscur, la cale enfumée et brûlante où se meurt en silence notre existence flottante de modernes, notre bateau depuis si longtemps égaré, si Centralia n'est pas, tout simplement, le monde. Le monde d'aujourd'hui, comme on dit - probablement parce que ses lendemains sont aussi incertains et brouillés que la photo que j'ai tenté de faire, la semaine passée, et que je referai demain, peut-être, de cet étrange quai des brumes que chaque mardi je longe.

 

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Alimentation café

Publié le par Carole

alimentation café chantenay
 
 
    C'était encore à Chantenay, au coin de cette impasse de la Conserverie, où rouille le passé près des usines mortes.
    Blottie dans l'ombre et dans la mousse comme un spectre très las, elle faisait signe encore, de son bout de rideau secoué en mouchoir, la boutique d'avant. Elle aurait tant voulu qu'on tende un peu l'oreille, maintenant qu'on allait la repeindre et la refaire à neuf.
    S'adressant dans le vent à la pluie et aux chiens, aux passants, au néant, elle répétait tout bas :
    " Ici on faisait halte après l'ouvrage, pour boire un coup de rouge et un verre de courage. 
    Ici on pesait lentement le beurre et la farine, et trois sous de persil, et dix sous de café. 
   Ici on buvait sec, à la santé des ouvriers, à l'avenir radieux, et au présent pas bien fameux.
    Ici on débitait les jours par tranches épaisses et dures, et le bonheur en petits dés comme lardons à frire. 
    Ici on médisait et on compatissait, on pleurait la misère et on faisait crédit. 
    Ici, disait le spectre de sa voix de mémoire, non ce n'était pas mieux, c'était même un peu triste et toujours un peu sale, ça sentait le charbon, le houblon, la ferraille, et aussi la sardine, mais c'était l'existence. Avant. "
    Et sans répondre je me suis arrêtée pour regarder passer, par le grand oeil crevé de la vitre brisée, les ombres oubliées de la vie qu'on vivait. Avant.

 

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Le présent n'est pas une ardoise magique

Publié le par Carole

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    J'étais allée voir le ravissant pavillon chinois de Chantenay - il faudra que je vous le montre, un jour, ce rêve de capitaine retour de Chine, fiché sur les ruines d'un moulin de village... En redescendant vers l'arrêt du tramway par un lacis de rues ouvrières et charmantes, près de l'impasse de la Conserverie, j'ai rencontré le visage cabossé de ce panneau...
    Il en avait soutenu, des luttes, il en avait pris, des coups, pour être aussi froissé, tuméfié et suant qu'une face de boxeur... Je l'ai respectueusement salué...
    Le Globe... le journal parisien des jeunesses romantiques, l'éphémère apôtre du saint-simonisme... Le croiser là, dans cet ancien quartier de Chantenay, que l'on traverse par les grands boulevards de la Liberté, de l'Egalité et de la Fraternité, où l'on peut flâner rue Danton, en passant par la rue des Girondins ou la rue du 4 Août - à moins qu'on ne préfère la rue Blanqui...-, dans ce petit îlot de République où passent avec la Loire le souffle haletant des révoltes et l'haleine rougie des enthousiasmes en lutte, ce n'est qu'à moitié surprenant.
     Tout de même tout de même tout de même c'est bien curieux...
    Vraiment, je ne sais pas quel adjoint au maire a eu un jour l'idée extraordinaire de planter, comme un arbre bleu de liberté, ce totem à face de lutteur, pour rappeler le souvenir presque effacé du Globe, mais cela me ravit.
    Et qui donc a eu cette autre idée extraordinaire, de coller au-dessous ce papier, minuscule affiche qui proclame à la pluie, au vent, et aux passants hâtifs, que LE PRESENT N'EST PAS UNE ARDOISE MAGIQUE ?
     Non, le présent n'est pas une ardoise magique qu'on efface d'un geste, ce n'est qu'une vieille éponge lourde et mal égouttée, et le passé transpire par tous ses pores...

 

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Le piano rouge

Publié le par Carole

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     Je suis allée voir le piano rouge.

    On l'a posé dans le grand hall de cet hôtel de luxe qu'on a installé récemment dans l'ancien Palais de justice de la ville. Dans ce qui fut la salle des pas perdus, devant la salle des Affiches, tout près de l'entrée de la Cour d'Assises...

    Il y a d'abord eu cette impression d'extrême étrangeté, à voir se superposer le vieux pavé de marbre battu par les pas des prisonniers et la moquette feutrée du grand palace, la touffeur amollie des fauteuils et les hauts murs solennels et raides comme la justice, l'appel clinquant du bar et la pénombre du vestibule sévère comme une robe de juge.

    Puis je suis allée caresser le piano rouge : il est venu de loin, exprès pour la Folle Journée, et il est l'un des seuls au monde à être ainsi laqué de rouge. Presque tous les pianos sont noirs, aujourd'hui. Il y en a encore qu'on fabrique en bois brun, et, assez souvent, on rencontre des pianos blancs. Mais on ne fabrique presque jamais de pianos rouges, parce que chacun sait que lorsqu'on joue, il ne faut penser qu'à la musique, surtout ne pas se laisser distraire par l'éclat de l'instrument, seulement s'absorber dans la rigueur austère de la partition.

    Pourtant, quand les pianistes jouent sur le piano rouge que l'on vient d'apporter ici, ils oublient aussitôt qu'il est rouge, ils oublient aussitôt qu'ils se trouvent dans le hall d'un palace, ils oublient aussitôt qu'il y avait jadis une cour d'assises où l'on condamnait à mort et aux travaux forcés. Ils oublient tout, pour ne penser qu'à la musique. 

 

    C'est beau d'avoir fait venir à Nantes ce piano rouge. C'est un symbole qui me convient. Car il me semble que la Folle Journée ressemble tout à fait à ce piano rouge.

    L'événement est ici si important et si brillant, que tout nous détourne d'abord de la musique. Le bavardage médiatique, les affiches posées sur la façade des banques, la difficulté de se procurer des places, le dépit de n'avoir pu prendre celles qu'on aurait souhaitées, la rancoeur de savoir que des passants fortunés logés dans des hôtels de grand luxe se sont vu réserver des billets pour les spectacles auxquels on aurait tant voulu assister, mais qui affichent déjà complet. La joie enfantine et la petite fierté d'être de ceux qui tout de même "en seront", et le doux, le long plaisir de l'attente. La mauvaise conscience, ensuite, d'avoir tant dépensé pour des concerts, alors qu'il y aurait d'autres choses, bien sûr, tant d'autres choses qu'il fallait, qu'on devait acheter... La vague honte aussi d'être heureux et futile alors que tout souffre et meurt et pleure, sur cette Terre si rude. La foule enfin, les vigiles, l'immensité labyrinthique du Palais des congrès, les files d'attente interminables, les stupides chaises de bois dans les salles sans gradins, les imbéciles qui s'entraînent à tousser, et qui, à coup sûr, vont tout gâcher... Avant que "ça" ne commence, c'est tout un éclat rouge et nerveux qui nous distrait et nous agite.

    Puis les musiciens entrent. Et soudain il n'y a plus rien d'autre que la musique. La musique. La musique. La musique.

 

 

 

 

 

folle journée 2014

Nantes, Palais des congrès, Folle Journée 2014

 

 

 


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Désir de bleu

Publié le par Carole

bleu.jpg
"Moi qui tremblais, sentant geindre à cinquante lieues
Le rut des Béhémots et les Maelstroms épais,
Fileur éternel des immobilités bleues,
Je regrette l'Europe aux anciens parapets ! "  
Arthur Rimbaud
 
 
 
Il s'était accoudé sur le quai. Et il s'était penché vers ce bateau là-bas qu'on avait découpé dans un ciel de printemps. De ses moignons vivants comme des ailes il avait battu sous la pluie la mesure de ce bleu. 
Dans tout ce gris il avait été pris d'un désir de couleur.
Prisonnier de l'hiver il avait voulu fuir avec l'eau qui passait.
A l'étroit sur la terre il avait essayé de s'en aller plus loin.
Il s'était élancé,
comme un humain.
 
Mais il avait senti s'enfoncer dans la boue ses racines immobiles.
Et tout le gris du monde était tombé sur son désir de bleu.
La terre l'avait gardé dans ses griffes usées, sphinx fatigué.
Alors il s'était couché, résigné, sur l'ancien parapet. Sans y croire il faisait encore signe à l'autre rive,
faisait semblant,
comme un humain.

 

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Rouge jaune bleu

Publié le par Carole

rouge-jaune-bleu.jpg
 
 
Il avait plu si obstinément, le monde s'était si longtemps trempé de gris, la vie s'était si lourdement enfoncée dans la boue de l'hiver, qu'un voile en tissu d'araignée semblait s'être posé sur nos pensées comme une cataracte.
Alors, quand le rideau du ciel s'est levé brusquement, dans le bleu du décor, sur le jaune fraîchement lavé, quand il a fait éclater le rouge sous les feux de midi, quand le vieux quai de Loire claquant comme un drapeau m'a fait signe là-bas de m'approcher dans la lumière, j'ai compris à quel point elle était juste, l'ancienne théorie qui ne reconnaît dans le monde que trois couleurs. Qui vous repeint en rouge, en jaune, en bleu, tout le sombre univers, et vous broie dans son pot à couleurs les idées noires comme poussière du temps.
Le gris qui nous cernait, on ne le savait plus, mais c'était de ce rouge, de ce jaune, de ce bleu qu'il avait toujours été pétri. Il avait suffi d'un rayon pour libérer ses couleurs et révéler son âme - étincelante, intacte.
 
C'est si simple parfois sur un vieux quai de Loire, l'espoir. Une couleur primaire.

 

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