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L'oiseau-fleur (réédition)

Publié le par Carole

oiseau-fleurs.jpg
Jardin des Plantes de Nantes, 12 octobre 2012
 
 
L'oiseau était posé parmi les fleurs. Oiseau d'automne à tête rouge de bruyère, à gorge de feuille brune, à dos de champ fraîchement labouré. Faisan peut-être, ou bien tétras, je ne saurais le dire.
Il était de l'exacte couleur des fleurs et des feuilles, on l'aurait cru brodé à fil de soie sur la grande tapisserie des Métamorphoses. Il marchait à pas lents dans son parterre d'Eden, semblant rêveusement y suivre son reflet, se balançant sur ses pattes comme sur une tige. Et je ne savais plus si l'oiseau était fleur, ou si les fleurs étaient oiseaux. Non, vraiment je ne savais si le jardinier avait semé sur la terre comme une fleur ce bel oiseau d'automne, ou si le vent, d'une caresse colorée, avait offert aux fleurs un plumage d'oiseau, pour les mêler au ciel.
 
Il arrive parfois, au Jardin ou ailleurs, que l'harmonie triomphe de toutes différences, que l'unité l'emporte, comme une promesse d'éternité.
Et c'est beau comme le monde à son tout premier jour, avant que les noms ne le partagent.

 

Publié dans Nantes

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Envol

Publié le par Carole

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Voilà. C'est fini. L'exposition est terminée. On démonte aujourd'hui les beaux livres volants que Claude Ponti avait lancés dans le ciel du jardin des Plantes comme des albatros. On couche à terre les grands mâts qui les emportaient dans les airs. Voilà qu'elles gisent dans la boue, les vastes ailes chargées de mots, avant d'être embarquées dans ces lourdes caisses aveugles où l'on enferme pour toujours les expositions mortes.
Tant pis...
Sur les chemins qu'ont ouverts les oiseaux, toujours d'autres oiseaux repassent. Et lorsqu'un livre est allé une fois dans le ciel, toujours un lecteur y revient, tournant les pages qui s'en vont comme des nuages au voyage de la vie.

 

Publié dans Nantes

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L'art des mélancoliques

Publié le par Carole

pommeraye-travaux.jpg

 

Le Passage est en travaux, et l'on brosse la peau décrépite des statues immobiles, avant de la rajeunir au lait de chaux. C'est bien étrange à voir, toutes ces allégories qu'on met à nu, ce petit peuple de dieux muets dont on déboulonne patiemment les mystères. 

Tiens, celui-ci, l'enfant-Navigation, je l'avais déjà photographié plusieurs fois.

Couronné d'étoiles, par exemple :

 pommeraye étoiles 2


Ou mordu d'araignées obscures :


enfant- araignée version 2


Demain, plus tard, je vous le montrerai encore sans doute, blanchi de neuf, et déjà se couvrant de poussière.

La photographie est l'art des mélancoliques, acharnés à saisir ce qui fuit. Petits Poucets ramassant les instants, et semant leurs images pour tracer le Passage.

Mais cette statue, pourquoi vous ai-je dit qu'elle représente la Navigation ? je crois qu'elle est plutôt l'allégorie du Temps. C'est lui qui tient la barre. Toujours.

 


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Beauté

Publié le par Carole

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      Passage Pommeraye - Nantes - mercredi 8 octobre 2013
 
   Dans le Passage en travaux qu'on gratte et qu'on nettoie, dans le labyrinthe en déroute où le passé ensommeillé cède sans résistance aux assauts de l'avenir rutilant, j'ai capturé ce mot presque éteint et perdu dans la toile d'une ancienne araignée.
    Beauté au fard craquelé et fané, accrochée là jadis par quelque Birotteau de la Reine des roses.
    Beauté peinte et déteinte, battant comme un vieux coeur sous la peau du vieux bois.
  Beauté patiente qu'on couvrira de peinture neuve, qu'on croira effacer, et qui, lentement, doucement, retaillera son nom toujours vivant - comme un graffiti obstiné sur la paroi du prisonnier. 
   

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Une rencontre au soleil du soir

Publié le par Carole

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    Un rayon du couchant avait posé sur l'oeil vide l'étincelle de vie. L'ombre bleue dévorait le front creux de rides ardentes et de soucis profonds, remodelait les tempes jusqu'à l'os et emplissait les lèvres lourdes d'une plainte enfin pure, vraiment humaine.
    Le mascaron des rues s'était animé, il était devenu visage, il avait atteint ce soir-là cette perfection qui l'avait toujours habité, mais que le quotidien recouvrait jusqu'alors pour moi de sa patine d'indifférence et de banalité. C'était comme si le soleil du soir, fouinant négligemment, avait trouvé le rêve enfoui par l'artiste au coeur de la pierre inerte et me l'avait rendu enfin visible. 
 
    C'est ainsi. Pour qu'une oeuvre révèle sa vérité cachée, sa perfection secrète, il faut que le soleil le veuille. Il faut qu'y coure la lumière juste, que s'y penche l'ombre favorable, que passe au bon moment dans le soir ébloui le badaud qui regarde.
    Il n'y a pas de chefs-d'oeuvre, il n'y a que des rencontres. Certaines passent, légères et séduisantes, mais si vite oubliées, vrais déjeuners de soleil. D'autres, tardives, se poursuivent au-delà de la nuit, longues et nécessaires, comme un dialogue avec l'ami.
    Qui peut savoir pourquoi ?

 

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Une fleur de géranium

Publié le par Carole

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    Je n'étais jamais entrée à l'intérieur du "Temple du goût", le fameux hôtel bâti sur l'Ile Feydeau par ce Guillaume Grou qui fut au XVIIIe siècle le plus riche armateur négrier de la ville. 
    Or, hier, vers midi, alors que je remontais la rue, j'ai vu que la porte du vieux porche était restée ouverte. On faisait des travaux dans l'un des appartements, la porte avait été laissée ouverte pour les peintres. Je me suis aussitôt glissée dans la cour.
   J'ai découvert le merveilleux escalier, ses rampes balconnées, ses paliers en damiers, et l'immense moulure où s'accrochait le lustre de cristal, tout en haut. Mais aussi l'ombre en plein midi, et cette humidité froide, montée du vieux lit embourbé de la Loire, qui verdissait les murs, mangeait les bois et rongeait les ferrures dans la cour silencieuse comme un puits.
    C'était un palais triste, pour une triste fortune.
   En sortant, j'ai aperçu cette fleur de géranium, grandie sur la porte d'une ancienne écurie, née d'une fiente d'oiseau, qui tournait vers le ciel son visage souffreteux et ardent. La minuscule tache rouge, obstinée à grandir sans jardinière de cuivre, sans balcon de fer forgé, sans fortune de fleur d'aucune sorte, la créature sans grâce poussée au terreau de misère, était, dans ce vaste décor somptueux et funèbre, le seul point de couleur, la seule lumière vivante.
    Mais il était trop tard. L'humble fleur ne pouvait plus donner leçon d'humanité au riche négrier.

 

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Un sourire

Publié le par Carole

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Le Passage Pommeraye est en travaux. Partout on gratte, on nettoie et on racle. Les araignées s'enfuient et les souvenirs trébuchent au milieu des gravats. 
Je m'étais avancée, téméraire, entre les échafaudages. Sous les miroirs qu'on avait déposés pour les restaurer, on avait mis les boiseries à nu, et, comme sur les plâtres des maisons qu'on déshabille de leurs papiers peints, des plans et des chiffres posés là par les ouvriers du passé étaient remontés à la surface, après un siècle et demi de sommeil. Parmi ces gribouillis ressuscités, j'ai découvert ce bref profil. Un tout petit dessin crayonné, un peu pâli mais encore bien lisible. Expressif et maladroit, élégant et risible, comme un officier bellâtre de 1842, armé de favoris et de moustaches, remontant la rue Crébillon pour se rendre au théâtre - ou au café - en lorgnant toutes les belles..
Deux siècles qu'il était là, jeté rapidement sur la paroi du Passage en construction par un ouvrier malicieux, ou par un lycéen insolent qui passait là... par un rêveur ou un bon à rien d'alors, mort depuis si longtemps.
Mais le dessin sur le bois était comme ce sourire du chat du Cheshire d'Alice, qui flotte dans l'air vide bien après que le chat ait disparu. Un sourire léger arraché au temps, et qui flottait encore près de nous avant de disparaître. Bientôt, demain, aujourd'hui même peut-être, on reposera le miroir. Et le sourire attendra pour deux siècles encore, un peu triste mais patient, dans son coffret de verre et de vieux bois.

 

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L'aveugle et l'orchidée

Publié le par Carole

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    Hier j'ai visité l'exposition "Passion orchidées", qu'on avait installée, comme dans une cathédrale amazonienne, sous les voûtes métalliques, enlacées d'épiphytes, de la Nef des Machines. La foule était nombreuse et captivée, et je me suis souvenue de ces chasseurs d'orchidées du passé, aventuriers solitaires, risquant leur vie pour arracher aux profondeurs de la forêt des plants vendus plus cher que l'or d'Eldorado à des amateurs fanatiques.
   J'ai repensé, rêveuse, à cette fleur absente : le bulbophyllum nocturnum, l'orchidée de Nouvelle-Bretagne qui ne s'ouvre qu'une nuit, avant de disparaître, enfouie dans la solitude de la canopée. A cette fleur merveilleuse que nul ne peut voir s'épanouir, mais qui consacre toute sa brève existence à préparer la nuit parfaite de son unique floraison.
   Et puis j'ai vu une aveugle, guidée par son chien, s'approcher de l'orchidée blanche que je photographiais. Elle a tendu la main pour en caresser la lumière, et elle s'est mise à sourire, tant avait d'évidence la douceur des pétales sous ses doigts. Tant elle était belle à toucher, cette orchidée qu'elle ne verrait jamais.
    La beauté a ses mystères, ses lois, et peut-être ses dieux, que les humains partagent avec les fleurs, c'est tout simple.

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La tache

Publié le par Carole

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  On a célébré récemment le soixante-dixième anniversaire des terribles bombardements de 1943 à Nantes. A cette occasion, Ouest France a donné la parole, au cours d'une réunion publique, à des témoins dont on peut réentendre, sur le site du journal, les récits bouleversants : http://www.ouest-france.fr/actu/actuLocale_-Bombardements-de-1943-ces-enfances-nantaises-meurtries-par-les-bombes-_40815-2230793------44109-aud_actu.Htm
    Repensant à ces hommes et ces femmes en pleurs, fouillant les décombres et les cendres de leur mémoire blessée, je passais hier, rue Clemenceau, devant le musée immobile dont les travaux sont actuellement suspendus. J'ai partagé un instant la mélancolie grise des muses engrillagées, puis, tout à coup, je me suis souvenue de la tache...
    Elle s'allongeait dans le hall, je crois - déjà je ne suis plus très sûre, il y a si longtemps que le musée est fermé... mais il me semble que c'était là, au pied du vaste escalier, sur le sol dallé de pierre lisse, sous la lumière éclatante de la verrière : une tache brunâtre, longue et large comme un corps humain. Une flaque d'ombre indécise et vague, que beaucoup ne remarquaient pas.
   C'était pour moi le Suaire de Nantes, la trace de sang ineffaçable que fit en septembre1943 le cadavre sanglant d'un mort, ou d'une morte, apporté là, dans ce musée où l'on avait entassé, en de longues rangées de cercueils, des corps et des débris de corps, parce qu'il y en avait tant dans la ville bombardée qu'on ne savait où les poser.
 
    Pendant plus de soixante ans les femmes de charge ont frotté et poli la pierre sans jamais parvenir à effacer la tache, qui s'obstinait à faire l'ombre brunâtre, le fantôme endormi, le martyr plus très frais, sous le pas clair des visiteurs. Les employés du musée, les conservateurs tatillons, et même les touristes surpris en avaient pris leur parti. Car il faut qu'il y ait, dans toute demeure humaine, quelque part, un spectre qui sommeille, un coin où rêve et pleure le souvenir, entre ses plis de nuit.
   Mais les témoins des bombardements sont bien vieux aujourd'hui. Et les travaux du musée vont reprendre. On détruira, on reconstruira, on remplacera sans doute les sols usés. Qu'adviendra-t-il, alors, de la tache ?

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L'homme qui grimpait

Publié le par Carole

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Il en avait si longtemps rêvé. De ce bleu, de cette lumière d'au-delà.
Il en avait si longtemps rêvé qu'un jour il s'est hissé, par-dessus les immeubles, qu'il est allé voir tout là-haut ce que c'était qu'azur, ce que c'était qu'espoir.
Quand il est arrivé, enfin, au bord du ciel, l'horizon était si pâle encore, et puis il y avait tous ces nuages bas. Et ces doigts gris comme ceux d'une main prête à le repousser - d'une pichenette.
Mais il était devenu si léger, à force de grimper. Il ne les a pas vus.
Il a poursuivi son chemin de lierre bleu aux murs de l'impossible.
Il a continué à rêver, bien plus haut que lui-même.

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