nantes
... un peu plus loin, dans le jardin du Lait de Mai, j'ai rencontré un oiseau squatter, un oiseau sans papiers, un oiseau apatride, un oiseau dans la ville.
Quelqu'un l'avait posé sur son manchon de fleurs comme un printemps sur sa branche. Léger et sautillant, il s'envolait déjà. J'ai cru l'entendre siffloter dans le gris un petit air de joie qu'on n'entend plus chez nous.
Tant qu'il y aura des fous pour ouvrir dans nos rues leurs mains pleines d'oiseaux, et d'autres fous pour leur tendre en passant la brindille d'enfance, elle pépiera, l'espérance follette, sa chanson obstinée.
Mais... si on allait me l'effacer, mon oiseau dans la ville, si on allait le trouver un peu sale ? Si on allait la jeter à la benne, la branche clandestine de son printemps trop rose ?
Je passais dans la rue tout à fait par hasard. On était justement en train de jeter dans des bennes les derniers vestiges du "squat" de sans-papiers qui s'était tenu longtemps dans l'immeuble aux fenêtres murées.
Des hommes s'activaient, se dépêchant de tout verser dans les bennes énormes. L'un d'eux m'a crié d'une voix forte, qu'il aurait voulue menaçante, mais qui n'était qu'angoissée : "Pas de photos, madame !"
Pas de photos ? C'est justement quand on vous crie cela qu'il faut en prendre, non ?
Pas de photos ? Il y a dans nos villes des étrangers misérables et venus de loin qui n'ont pas de visages. Ils dorment dans les rues, ils trouvent parfois refuge dans des immeubles sans chauffage aux fenêtres murées. On les expulse, on les rejette au trottoir. Puis on déverse dans des bennes, le plus rapidement possible, les nattes et les cartons, les planches et les sacs de plastique, tous les modestes objets qui faisaient leur logis. Et on nous crie : "Pas de photos !"
Je n'ai pas d'opinion précise à ce sujet, je n'ai pas de solution simple à ces problèmes. J'ai juste une certitude : celui qui passe par hasard, muni d'un appareil-photo, et qui voit cela se faire, celui-là n'a pas le choix : il doit prendre des photos. Pas le choix. C'est tout.
Je ne me doutais pas, en publiant mon petit article sur le pianiste de la place du Commerce, que je lirais ceci aujourd'hui dans le journal local : http://www.presseocean.fr/actualite/nantes-le-pianiste-compose-avec-les-pv-21-05-2014-108040
Nantes Le pianiste compose avec les PV
"Occupation illégale du domaine publique", circulez...
Photo PO-Eric Cabanas
"Occupation illégale du domaine publique", circulez...
Photo PO-Eric Cabanas
Il règne comme une ambiance d’été ce vendredi soir, place du Commerce. Les Nantais attablés aux terrasses jouissent du moment et des mélodies d’un piano qui adoucissent l’air. Pierre-Henri Weiss, pianiste de rue depuis des années, joue au milieu du site.
C’est un habitué de la place du Commerce et du quartier Bouffay. « Il y a un côté chaleureux dans le piano de rue, plaide-t-il. Seuls ceux qui aiment restent écouter. Cela rapproche aussi les gens autour du piano, cela permet de communiquer ». Parfois il fait une pause et prête son piano aux passants. Quelques badauds savourent ainsi le moment. Pas seulement, car ce vendredi une équipe de policiers municipaux s’affaire autour de l’artiste. « Nous le verbalisons pour occupation illégale du domaine public », précise l’un des policiers. Le charme tombe… Cet air de piano qui a coloré la place un moment, est remplacé par une explication tendue. Pierre-Henri Weiss ne s’en laisse pas compter. Il aurait pu faire du théâtre. Le conflit avec les agents municipaux ne date manifestement pas d’hier.
À Nantes, il n’existe pas de réglementation particulière pour les musiciens de rue. Seule condition fixée : qu’il n’y ait pas de trouble à l’ordre public, ni entrave à la circulation des véhicules et piétons. La direction de la réglementation et de la gestion de l’espace public prévoit une déclaration en mairie, dans un délai de quinze jours, avant une manifestation. Les organisateurs reçoivent alors un arrêté individuel, qui peut être révoqué si la réglementation n’est pas respectée. Dans les faits, rares sont les musiciens qui déclarent les lieux et horaires où ils vont jouer… La musique adoucit les mœurs, dit-on. Mais pas ce vendredi soir place du Commerce.
(*) Contacté, l'adjoint en charge de la Sécurité Publique n'a pas répondu à nos sollicitations
Rive de la Loire - île Beaulieu à Nantes
La mort l'avait saisi, il tombait lentement, seul et silencieux, tordant échevelé ses bois de cerf vaincu.
Et de l'autre côté, tant de vies empilées dans ces tours toutes nues, qui se cherchaient un nid. Ces voitures qui filaient, insectes de la rive, comme sur une paille. Ce grand train tout là-bas, s'avançant vers le pont, avec son poids d'humains à transporter plus loin.
Sous le ciel s'écoulait le bleu cru comme sang des fleuves éternels.
Ainsi on vit, ainsi on meurt. Au bord de l'eau tout comme ailleurs.
C'était hier place du Commerce.
Il avait apporté son piano.
— Qui donc le lui avait déchargé là ? un nuage encombré d'arcs-en-ciels ? un avion qui jouait sur les portées d'en-haut ? un grand sous-marin mauve égaré dans la ville ? un camion cahotant rempli d'aubes et d'oiseaux ?
Ou bien l'avait-il emporté sur son dos, coquillage où mugit l'horizon, comme on emporte sa maison ?
— Peu importe... il avait apporté son piano, il jouait au milieu des badauds indifférents. C'était très beau, c'était très triste.
— C'était joyeux, c'était idiot !
Je ne crois pas que la musique puisse sauver le monde. Mais qu'elle puisse sauver de ce monde et de sa folle indifférence tous ceux qui croient en elle, cela, oui, je le crois.
Et c'est idiot, et c'est très beau.
(link vers Pierre Weiss)
Maisons, île Feydeau - Nantes
Sur les quais enfouis de la Loire et de l'Erdre, sur les îles asséchées posées sur le sable des heures comme des barques oubliées, les maisons penchent. Antiques, nostalgiques, elles s'inclinent, cherchant l'eau disparue que leurs murs entendent encore battre. Appesanties par l'âge, elles s'appuient pour ne pas s'écrouler sur l'épaule de leurs voisines lasses et tout aussi courbées.
Un peuple de vieilles demeures voûtées se tenant par l'épaule. Une foule où celles qui vont tomber retiennent celles qui tombent. Cela tient ferme finalement.
Esplanade Camille Mellinet - Médiathèque Jacques Demy
C'est un homme qui n'a pas de corps. Rien qu'une tête sombre, sur un buste abîmé.
C'est un homme qui n'a pas de lèvres, qui n'a pas de regard. Rien qu'un crâne énorme et qui penche.
Coincé contre un drôle de rocher qui s'écaille en reflets, il reste là, à contempler le monde, comme un Prométhée rêveur qui aurait collé son front sur une vitre, la nuit, et ne verrait de la vie que son ombre.
Sa tête est lourde et dure, si lourde, si dure, qu'il faut pour la tenir ce coussin tout carré. A moins que ce ne soit pas du tout un coussin, ce carré de quatre fois quatre carrés, mais un problème, un carré magique par exemple, celui de Dürer pourquoi pas, dont les chiffres se seraient effacés, et qu'il lui faudrait retrouver.
Il est aux prises avec des questions qui l'écrasent, c'est clair, et sa pauvre tête si lourde n'a pas, comme celle de l'ange Mélancholia, la ressource de se poser sur la paume d'une main, sur un coude plié, sur un coin de chair chaude. Tête sans corps, homme tronc, front abstrait, aux prises avec tant de problèmes contre lesquels il a cessé de lutter, il tombe de tout son crâne. Face au vide qui l'attire, il n'y a plus que ce mur de mauvais béton mal recouvert de marbre, ce dernier rempart qui s'effrite et fait de lui un aveugle.
Je crois que c'est un homme de notre temps.
Cœlacanthe - Muséum de Nantes
Au Muséum de Nantes est exposé un coelacanthe. Je suppose qu'il y a d'autres cœlacanthes ainsi exposés dans bien d'autres musées. Il est banal, peut-être, notre coelacanthe d'ici, et, dans sa flaque de formol, il est sans doute un peu pâle, un peu raide, un peu risible, ce grand poisson des premiers jours du monde, nageant la bouche ouverte dans l'immensité bleue des profondeurs inaccessibles. Pourtant, j'ai toujours aimé le regarder voguer derrière sa vitre, vers le mystère des origines, dans ces abysses du temps où se sont séparés jadis les animaux terrestres et les animaux marins, ouvrant le dur chemin des humains conquérants. Et souvent j'ai rêvé de nager auprès du cœlacanthe, glissant au rythme de l'éternité – en accord, enfin.
Hier soir j'ai regardé cet incroyable documentaire qui passait sur Arte :
http://www.arte.tv/guide/fr/20140503
Là, j'ai vraiment vu des hommes nager avec le cœlacanthe. Ce n'était pas un rêve, c'était une aventure due aux progrès immenses de la technologie, et à l'amour de la mer d'une poignée de biologistes fous. C'était la preuve qu'il ne faut pas désespérer, ni des humains ni des coelacanthes. C'était un premier pas vers l'accord.
Car il arrivera, ce miracle : après avoir parcouru jusqu'au bout le chemin du progrès, nous, les humains, nous referons le voyage dans l'autre sens. Nous cesserons de lutter contre la nature, nous cesserons de l'asservir et de la détruire. Nous reprendrons, avec les armes du savoir, la route d'origine que nous n'aurions pas dû quitter. Alors, très loin en avant et très loin en arrière, nous nagerons aux côtés du cœlacanthe. Réconciliés. En accord, enfin.
* * *
Pour en savoir plus sur le cœlacanthe du Muséum de Nantes : http://lefenetrou.blogspot.fr/2014/05/le-clacanthe-du-museum-de-nantes.html
http://www.museum.nantes.fr/pages/01-200ans/Bicentenaire/vitrine_mecanique4.htm
Nantes - Anciens chantiers navals
Du braille... c'était bien du braille ! Sur ce mur, là, en face, dans l'allée interdite, là où jamais aucun aveugle ne pourrait se risquer, quelqu'un était allé cimenter un mot de braille.
Du braille, pourquoi ? C'était étrange d'être allé maçonner là-bas ce mot qu'aucun aveugle ne lirait, assurément, et qu'aucun "voyant" ne comprendrait, parce qu'il était écrit dans la langue des aveugles.
Un mot pour rien, alors, et bien de la peine et du ciment gâchés ?
Mais peu à peu, on comprenait... ce mot de braille... oui, peu à peu, on comprenait, en le touchant avec les yeux, ce que c'est que de voir avec les doigts...
Je ne sais pas pourquoi cette mouette muette enserrée dans son ombre
m'a semblé dans la ville comme un brin de muguet posé au bord du ciel.
Mais comme au premier mai se cueille le muguet en promesse d'été,
je vous offre ce mai,
grain de bleu, brin de blanc.
Qu'il s'envole l'oiseau prisonnier de la vitre.
Qu'il s'en vienne l'été qui toque à la fenêtre.
Et qu'éclosent vos rêves au bouquet de l'attente.