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fables

Espérance, patience et persévérance

Publié le par Carole

Aujourd'hui, un petit conte. De rues et de vertus, de mots qui passent et qui racontent.
 
Au début était Espérance, la douce, la céleste, la toute bleue, qui rêve dans le ciel, que les nuages entraînent :
 
espérance 2
 
Hélas ! La vie la dure vie étant ce qu'elle doit bien se résigner à être, Espérance pâlit, Espérance gémit. Il fallut lui adjoindre Patience. Patience la fidèle, Patience la toute bonne, l'ange qui veille et qui console :
 
patience 2
 
Mais la vie l'âpre vie étant décidément ce qu'elle s'acharne à être, Patience s'usait vite, Patience s'épuisait, et l'on dut embaucher pour l'aider la rude Persévérance. Persévérance la douloureuse et la crucifiée, Persévérance la rugueuse la lutteuse la courageuse, qui toujours se redresse et toujours ressuscite :
 
persévérance 2
 
Alors, s'appuyant sur l'aile blanche de Patience et sur la large épaule de Persévérance, Espérance put vraiment commencer à grandir, à bourgeonner et à feuillir, à surgeonner et à multiplier :
 
 esperance-3.jpg
 
Ainsi put enfin naître Réussite. Qui jamais ne brilla, jamais ne bling-blingua. Modeste Réussite, haute et solide mais déjà prête à s'effacer. Perchée comme un vrai nid au sommet de la haie pour que puissent à leur jour s'envoler dans le vent les lendemains qui chantent :
 
reussite.jpg
 
 
J'ai aimé parcourir ces rues humbles et tranquilles, à l'écart de la ville, ces rues calmes et bavardes contant la vieille histoire d'Espérance, de Patience et de Persévérance, lentes vertus du Temps, qui s'en vont leur chemin au rythme de la Vie.
Si souvent nous bousculent Impatience et Urgence, dans les décombres du Présent, que nous pourrions les oublier, tandis que nous courons, exténués, affolés, déjà vaincus.

 

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Le 43

Publié le par Carole

le 43
 
Au 43 on tangue on penche. A bâbord on s'affale à tribord on remonte. On s'en va de l'avant comme on marche en arrière. On va craquer c'est sûr à moins qu'on ne se redresse. On tremble on se scoliose on se lézarde on dégringole on se tord on s'accroche. On se tient droit tout de travers. 
Au 43 qui me ressemble.

 

 

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Les marguerites

Publié le par Carole

marguerite.jpg
 
Je passais près de cette prison qu'on vient de construire à la lisière de la ville, à l'orée d'un grand bois. Sur le bas-côté, à l'ombre du mirador, j'ai vu un homme qui cueillait des marguerites dans un fossé bourbeux. Il en tenait une pleine brassée, un gros bouquet de printemps aux yeux ouverts sur le soleil. Puis le flot de la circulation m'a entraînée un peu plus loin, et l'homme aux marguerites s'est effacé dans mon rétroviseur.
Est-ce qu'on peut donc offrir des fleurs en prison ? Etait-il vraiment possible que ces marguerites soient destinées à un prisonnier ? Peut-être l'homme n'était-il qu'un promeneur, attiré par ces fleurs magnifiques, si blanches et si légères à l'ombre noire du mirador, dansant au grand vent bleu de ciel qui soufflait sur la route.
Comment savoir ? J'ai pensé à tous ceux qui ont un fils, un frère, un mari, un ami, un père, "là-dedans".
A cette autre prison de douleur, d'absence et de honte dans laquelle on les a enfermés, eux aussi.
Des délits et des crimes, du sang, souvent, et des larmes, toujours. Des malheurs et des châtiments, et tant, tant, tant de victimes à chaque fois. 
On dit que dans le langage des fleurs "marguerite" signifie "innocence". Si seulement on pouvait tapisser les fossés, les couloirs, les parloirs, les cellules et les murs, et les âmes en souffrance, de grands bouquets de marguerites, à l'ombre dure des miradors... 
 

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Laissez résonner !...

Publié le par Carole

laissez-resonner-longtemps.jpg
 
    A Trentemoult, j'ai aussi admiré ce conseil, écrit de main de maître :
    "laissez résonner !... long—temps"
    Oui, si vous vous avisez de raisonner, laissez d'abord résonner.
   Laissez tinter les bruits du monde, laissez chanter les couleurs, laissez grincer les ombres, laissez murmurer la mémoire, laissez venir l'écho, laissez crier les jours, laissez jouer les enfants, laissez rire l'avenir. Laissez résonner tout ce qui sonne en vous, long—temps, très long——temps...
   La porte alors s'ouvrira, peut-être, et vous, au seuil de la raison résonnante, lentement, prudemment, vous entrerez dans l'ombre épaisse avec des yeux pleins de lumière.

 

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Voyager

Publié le par Carole

péniche 4.psd
 
 
Un commandant à casquette, une belle voyageuse... A la fenêtre de la péniche depuis si longtemps immobilisée à quai, on avait malicieusement exposé ces deux visages inattendus, plus évocateurs des circuits en avion ou des croisières de luxe que d'une simple promenade sur la modeste barge qui vieillissait là.
Dans le décalage calculé de la dérision, sous l'ironique antiphrase, il y avait, comme bien souvent, beaucoup de profondeur, et de quoi méditer.
 
Pour voyager luxueusement, somptueusement, pour voyager vraiment, on n'a besoin ni d'aller loin, ni d'aller vite, ni d'aller cher, ni de voler dans les airs, ni de manger à la table d'un capitaine engalonné, ni d'avoir un destin de star.
On n'a besoin de presque rien.
Une simple péniche, un vieux bateau de bois que lestent de gros pneus, c'est bien assez, pour s'en aller rêver sur les eaux lentes et vertes qui innervent la terre, et pour glisser, tout près de soi, entre les rives herbeuses plantées d'arbres pensifs.
Jeter son ancre au fond des roselières, s'agripper à ce qui fléchit.
Entendre dans le soir le froissement des vagues, quand les troupeaux de cygnes remontent vers les sources.
Suivre là-haut le grand remuement des étoiles qui bâtissent les mondes.
S'endormir à la voix du rossignol, se réveiller au chant des oiseaux nouveau-nés.
Fouler dans l'herbe la rosée qui fume et le parfum des fleurs qui s'ouvrent.
Sur les chemins de halage marcher sans hâte en tirant le temps par sa longe.
Glisser d'une écluse à l'autre, grimper sur ces escaliers d'eau comme on irait, par des lacets, aux collines du ciel.
Partir pour arriver juste un peu plus loin que son point de départ, mais s'y rendre en passant par les reflets, par les errances et par les ombres, et surtout par soi-même.
On n'a besoin de presque rien pour ce voyage-là.
On n'a pas même besoin d'une péniche.
Une simple barque nous suffirait. 
On pourrait tout à fait ne pas partir du tout.
Rester à quai sur la péniche arrêtée au soleil, ou sur la barque immobile qui tangue un peu, trouver le ciel et les nuages dans leurs reflets qui passent.
Rester assis sur un banc du rivage, regarder danser sous le vent une petite vague traçant en cercle son long chemin toujours le même.
Et ainsi s'en aller loin, très loin, si loin que, là où l'on va, bien peu de ceux qui vont partout en avion, en train, en paquebot pourraient nous suivre.

 

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!

Publié le par Carole

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Il est si étonnant, en effet, ce compteur électrique planté dans le rocher, vissé dans les vieux os de la ville ! Il est si surprenant ! tellement incongru ! Depuis tant d'années, chaque fois que je longe l'église Saint-Nicolas, je me dis que vraiment... ah ! vraiment ! C'est bizarre ! c'est si peu à sa place ! Alors il fallait bien qu'un jour quelqu'un le remarque, et l'écrive en passant !
Je ne sais plus qui a dit : "Ponctuer une phrase, c'est la faire vivre" ? – l'auteur de cette formule est si obscur d'ailleurs, si anonyme, si introuvable, que cela ne peut, à la réflexion, qu'être moi...
Et quand bien même ce ne serait que de moi... je veux l'écrire ici, tout près de ce ! magistral !
Car plus je le regarde, ce !, plus il me plaît. Il y a beaucoup dans ce ! Il y a tellement dans un !. Il y a des mondes et des foules dans ces ! que nous semons partout sans y penser. Car qu'est-ce que ! ? 
sinon
s'exclamer !
s'étonner ! 
s'amuser !
s'indigner !
s'emporter !
admirer !
célébrer !
déplorer !
désirer !
regretter !
adorer !
détester !
raffoler !
exagérer !
ordonner !
refuser !
dire oui !
crier non !
et cætera !
sine qua non !
ad libitum !
Qui donc a dit : "! résume, ! contient, ! ponctue toute l'humanité ! "
? !
 

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Etre et avoir été

Publié le par Carole

démolition route de Paris
 
 
Je m'étais arrêtée pour photographier cette maison en démolition, route de Paris. C'était dimanche, et dans le trou dévasté de frais, les machines se reposaient en contemplant leur oeuvre, comme des soldats de 19 flânant dans les villages de la Meuse. 
— Et alors ?
— Eh bien... vous savez ce que c'est, lorsqu'on prend des photos de ce que les gens voient tous les jours sans le voir... : on croirait qu'on vient de braquer un projecteur sur un voisin d'apparence banale, tout à coup changé en acteur, en criminel ou en victime... "Tiens, disaient les passants, ils l'ont bien désossée, ça fait drôle tout de même..."
 
Rien de plus ordinaire dans nos grandes villes enfiévrées, que ce spectacle d'une vieille maison qu'on éventre. Il y a pourtant là quelque chose de violent, d'indécent. Comme si on ouvrait devant tous un très vieux coeur humain, saignant la rouille et la suie grasse, étalant aux regards ses tapisseries de fleurs fanées, ses fenêtres battant sur le vide, ses portes murées, ses placards à secrets tout emplis de gravats, et tous ces mots incompréhensibles, rageurs ou tremblotants, qui étaient venus alourdir peu à peu l'édifice lézardé des pensées.
On les salue un instant au passage, comme on salue aux enterrements, sans y penser longtemps, se disant vaguement qu'on aura bien son tour aussi, un jour. Et on médite en secret de revenir voir travailler la grue énorme et jaune qui montera vers le ciel la construction nouvelle. C'est si fascinant, n'est-ce pas, un chantier bourdonnant, un immeuble en éveil, une ruche de béton qui grandit dans ses alvéoles de métal...
 
Une vieille, très vieille femme, s'est arrêtée comme les autres. Elle a regardé un moment, un long moment, silencieuse, la maison en lambeaux que sans doute elle avait connue jeune et coquette, puis elle s'est éloignée. Sans un mot, résignée et voûtée. 
"On ne peut pas être et avoir été", a dit quelqu'un derrière moi. 
J'ai repensé à ce verbe "prendre" qu'on associe toujours au mot photo. Prendre une photo, prendre des photos, rien de plus juste. En partant j'ai ramassé aussi sur le sol un morceau de ciment qui s'émiettait. Il faut toujours prendre au temps ce qu'il nous laisse prendre.
 

 

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Usure

Publié le par Carole

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    ... car à force d'aller dans le sens du vent, toujours au bon moment, toujours du bon côté, on s'use et on s'essouffle. Forcément. On a beau veiller au grain et retourner sa manche, il vient un soir où l'on ne vole plus aussi bien dans l'air du temps. On croit encore, au grand bal des girouettes, danser sous les tempêtes et s'enfler aux bourrasques, mais on ne tourne plus que sur soi-même, drapeau troué, haillon en berne. De suroît en noroît, de zéphyrs en soupirs, de concessions en désertions, lambeau après lambeau, comme la plume au vent, on y laisse ses ailes. Avant de retomber, ballon crevé, chiffon d'hier, dans le panier sans fond de l'éternel oubli.
 
    C'est curieux comme on vieillit plus vite, quand on a été trop longtemps dans le vent.

 

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Petits b^^a^^teaux

Publié le par Carole

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Longtemps, j’ai écrit bateau bâteau. Avec un accent circonflexe. J'aimais tant dessiner cet accent – comment aurais-je su que ce signe, tardivement introduit en français par d'abstrus grammairiens qui l'importèrent du grec, était l'un des plus artificiels de notre langue ? – je le trouvais si beau... Et, depuis mon rivage d'enfant réinventant le monde, cette petite voile, cette vague rieuse, ce drapeau dans le vent, ce coup de chapeau léger d'une aile circonflexe, me semblaient revenir de plein droit, d'éternelle et maritime nécessité, à l'idée de bateau.
De ce simple mot bateau, abstrait, distant, insaisissable, poussant jusqu'à leur terme les leçons de mes livres d'orthographe qui m'imposaient de donner sens à tout,  je faisais un idéogramme - ou plutôt, je crois, un origami, quelque chose qui avait la forme naïve de ma pensée.
ll me fallut cependant bien vite apprendre que mes petits b^^a^^teaux – châteaux de mes rêves entêtés, bâtiments démâtés, pâles fantômes enchevêtrés, flâneurs des îles et rôdeurs des tempêtes – n'étaient que gribouillis d'âne bâté, fautes infâmes à rayer d'un trait rouge.
Devant tant de rouge en colère, j'ai fini par rentrer dans sa coque de noix mon pauvre accent condamné par l'Académie. Et pourtant... et pourtant, aujourd'hui encore, le joli circonflexe est toujours là qui rôde, en mouette rêveuse, prêt à venir se poser à la proue, chaque fois que mon crayon, glissant d'un coup de vent, se risque à le remettre à flot, ce mot b^^a^^teau qui vogue, emporté vers lui-même, sur les papiers qu'il froisse...
 
L'orthographe, aux règles si complexes qu'elles défient le bon sens, l'orthographe impossible à réformer,
 
expression du désir d'ordre et d'autorité,
de l'amour de la tradition,
du goût de s'en remettre à plus savant,
du désir d'exclure ceux qui ne savent pas,
 
acharnement jusqu'à l'absurde de la raison raisonnante,
chasse donnée à la fantaisie,
haro sur le futur et les transformations,
déni souvent de la simple réalité,
 
mais aussi source de toutes nos révoltes,
incitation à la rébellion apprise dès l'enfance,
porte des rêves où les lettres s'enfilent comme des perles,
douce invite à la poésie qui donne tout leur poids aux mots,
 
l'orthographe, donc, telle qu'on la conçoit dans ce pays, armée de lois en plusieurs tomes et de redoutables dictées, me semble être beaucoup plus qu'une science anodine : une vision du monde, à la fois forte et étouffante, sévère et fascinante, tout à fait suspecte, et pourtant féconde, à sa façon.
 
Je crois le culte français de l'orthographe comparable au culte confucéen du rite, en Chine.
Et de l'orthographe, comme de Confucius, je ne sais ce que l'avenir fera.

 

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Racines entremêlées

Publié le par Carole

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De tels arbres, on n'en voit qu'au bord des fleuves, sur les rives sauvages où les crues s'acharnent, année après année, à affouiller le sol, à nettoyer l'humus, laissant à nu, bizarrement suspendue, l'ossature compliquée des racines enchevêtrées.
Et à les regarder on comprend qu'on l'avait toujours su, que c'est ainsi, partout, que les arbres s'étendent et s'étreignent sous terre. Que c'est ainsi qu'ils vivent et qu'ils survivent tous, même les plus altiers et les plus solitaires : muscles entremêlés, forces nouées, et destins partagés.
Et que c'est ce qui fait les forêts si hautes et si vastes, depuis tant de millions d'années qu'il y a des forêts en ce monde.

 

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