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fables

Passants

Publié le par Carole

Passants
Passants
 
insectes hâtifs et ternes
dans les galeries d'ombres
de nos villes-lumières
 
passants 
toujours courant
passants toujours fuyant
 et toujours immobiles
tournant comme fuseaux
leurs pauvres chrysalides
 
sous le ventre du ciel
où le verre de Babel
a gratté les étoiles
 
en haine du silence
 
passants téléphonant
et passants écoutant
 
appelant
stridulant
chuchotant
implorant
ces voix
ces voix
ces voix
 
ces voix
sans fin
ces voix
là-bas
 
ces voix
 
 venues du vide
 
infimes
 
grésillements 
d'élytres au loin
qui les retiennent 
 
seuls
 
au brin de paille
de leur vie.

 

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Brand new world

Publié le par Carole

Brand new world
The moment of the rose and the moment of the yew-tree
Are of equal duration 
(T.S. Eliot)
 
 
La nature ne connaît que le présent. Mais le coeur palpitant des hommes a inventé 
l'instant,
et la seconde qui bat comme le sang,
et la pendule avide, rythme des civilisations, unique pulsation des vies mondialisées,
avec son trotteur fou, ne cessant de pousser le futur dans la fosse du passé, à coups furieux de stiletto.
 
Brand new world,
toujours plus neuf et toujours plus rapide, bondissant sur l'écran, de milliseconde en microseconde, à quarz et à césium,
tandis que nous courons, tout autour du cadran, toujours plus essoufflés, obsolètes et caducs,
si vieux de devoir être jeunes,
hamsters galopant et ruant
sur la roue du nouveau,
ne travaillant en rond,
dans la fièvre et l'urgence,
qu'à disparaître en hâte.
 
Brave new world, nous avait bien dit l'autre.
Mais c'était il y a si longtemps
déjà déjà déjà déjà.
 
Londres - Canary Wharf

Londres - Canary Wharf

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A Canary Wharf

Publié le par Carole

A Canary Wharf
A Canary Wharf, sur les anciens docks de Londres, à l’ombre des gratte-ciels de verre qui inscrivent tout là-haut l’ordre nouveau du monde, les annonces de l’agence Reuters tournent et tournent sans fin dans leur bandeau lumineux.
 
Citi, dit le ciel, HSBC, répondent les étoiles, Barclays, prient les nuages, Trinity Mirror, marmonne le lapin de la lune en rongeant son grain d’astre.
Et nos vies, ces lucioles égarées, tournent et tournent sans fin, dans les mots qui s’effacent au fronton de l’agence Reuters, halo changeant toujours renouvelé, avant d’aller se perdre aux reflets fugitifs que leur tendent les vitres, énigmatiques et froides comme des vestales endormies.
 
A Canary Wharf

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Luciole (réédition)

Publié le par Carole

luciole-herbe-2.psd.jpg
 
 "Les lucioles [...]. Pour moi, elles sont de la matière des rêves. Une fois qu'on les a saisies dans la main, il n'y a plus rien." (Marie-Hélène Prouteau, Les Balcons de la Loire)
 
 
Sur le chemin étroit et sombre où je marchais,
tu m'avais guidée doucement,
 
tu étais comme une goutte tiède tombée des astres,
tu étais comme une respiration calme de la lumière
tu étais comme l'oeil du serpent dans les blés de la nuit,
tu étais comme un regard de la terre entrouvrant sa paupière.
 
Je me suis penchée vers toi.
Je n'ai rien vu sur le sol détrempé,
qu'un pauvre insecte lourd et terne,
couleur de boue et de chandelle morte,
une larve rivée à un brin d'herbe, incapable d'envol
et sans force pour fuir mon sacrilège avide.
 
Ton ventre palpitant s'éteignait peu à peu.
Mise à nu, dépouillée de tout mystère,
Retournée à la nuit, tu n'éclairais plus rien.
 
J'aurais pu te mépriser, luciole, j'aurais pu t'écraser, toi qui m'avais menti,
mais je t'ai admirée.
Car de toi-même tu avais su te faire le rêve
car sur ta vie si grise tu avais mis ce masque
car sur ton corps infirme tu avais posé ton rayon
et que les routes de l'obscur un instant s'en étaient éclairés.
 
Si je pouvais, si je pouvais
te ressembler, luciole.

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L'empreinte

Publié le par Carole

L'empreinte
Sur la portière de la camionnette, père Peinard il fumait en malice son petit air de n'être jamais mort. 
Sans plus rien de visage que le sombre contour des cheveux, la courbe mince d'une moustache, et sa pipe à chanter. Sans sa guitare perdue.
Mais reconnaissable entre tous. En un instant reconnu.
Il était là devant moi, comme une empreinte nette et charbonnée de frais.
Une trace de mémoire menant sans un zigzag, sur le sable de Sète, à ces refrains mille fois partagés qui dansent dans nos vies et guident nos pensées.
 

Il y a des gens comme cela. Qui ont seulement l'air de chanter et de fumer la pipe. Et qui laissent derrière eux, en s'éloignant vers la mer qui les happe, sur le sable vivant de nos coeurs, une tranquille, une profonde empreinte. - Une empreinte ? Non, je l'entends qui me pince sans rire, bon plaisantin des grands champs de là-bas : un sillon !

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Exprime-toi

Publié le par Carole

Exprime-toi
Exprime-toi... L'injonction se voulait bienveillante, mais elle était hérissée de pointes énergiques et comminatoires. Et le mur n'en semblait que plus sombre.
Rien de plus banal du reste, aujourd'hui, que ces ordres incessants, aussi absurdes que terrifiants : "Soyez vous-même !", "Soyez zen !", "Décide d'être heureux !", "Libère ta créativité ! "...
Comme si rien n'était devenu plus important que les rites dérisoires et savants de ce culte qu'on nous demande désormais de nous rendre à nous-même.
Comme si le devoir, ce sentiment qui autrefois nous soumettait aux autres en nous grandissant, ne pouvait plus aujourd'hui, par un de ces renversements surprenants dont la modernité a le secret, que nous asservir à ce moi tyrannique qu'il nous faut à toute force découvrir, développer, écouter, bichonner.
Comme si, embarqués dans la nuit sur une planète sans boussole prête à heurter tous les icebergs, nous passions notre temps à nous observer au miroir, plutôt que de surveiller la mer.

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Words

Publié le par Carole

Words
C'est tout l'art de la mode, aujourd'hui : convaincre l'acheteur qu'un objet fabriqué en usine à quelques milliers ou millions d'exemplaires fera de lui un être unique.
Il y faut, après tout, du talent - l'inusable talent des rhéteurs et des Gaudissarts, des Birotteaux et des baratineurs, agiles enfileurs de mots et bons brasseurs de vent.
 
Est-ce donc pour cela que si souvent ce sont des mots que l'on nous vend - des mots, des mots, des mots, pour aller dans le vent s'épanouir en série comme tout un chacun, comme tout à chacun ?

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Jour de soldes

Publié le par Carole

Jour de soldes
Le soleil avait beau pailleter ses joues de juin et de lumière, elle paraissait pleurer dans sa cage de verre où tout était à vendre...
Décapités, réduits à leur silhouette, ou désolés d'ennui : n'est-il pas étrange qu'ils soient, tous et toujours, sinistres, les mannequins qui se mirent-meurent dans nos rues, sous leurs vêtements neufs et pimpants ?
Il semble que désormais nous ayons l'achat triste comme vin de piquette, et qu'elle soit devenue bien morose, l'ivresse de consommer. 
Roses à crédit fripées qu'on nous refourgue en soldes.
 
Mannequins tristes et las, vos yeux absents sont les miroirs où se reflètent à l'infini des vitrines, des vitrines, des vitrines, entre lesquelles nous errons, cherchant notre avenir, à tâtons comme au labyrinthe.
Société de consommation, disait-on doctement, vertement, verbeusement.
Et maintenant ? Consommation des sociétés ? Et après, et après ? pourquoi se taisent-ils, ceux qui parlaient si fort autrefois ? Tous ceux qui savaient tout, pourquoi ont-ils cessé de nous dire où aller ?

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Les fraises des bois (réédition revue)

Publié le par Carole

fraises-des-bois-1.jpg
Jardin des Plantes de Nantes, vue depuis la rue du docteur Ecorchard 
 
Je longeais les murs du vieux parc.
Il était tôt. Le Jardin à cette heure était encore fermé, silencieux, replié sur lui-même comme un oiseau qui dort. Un jeune soleil de juin égouttait sa lumière sur l'aile bleue des arbres, et des chants s'éveillaient.
L'odeur poignante de la forêt embaumait le trottoir. Forêt d'aube alourdie de rosée, forêt d'été heureuse après la pluie, forêt moussant de champignons, forêt blottie de feuilles mortes, forêt d'hiver s'assoupissant : tant de forêts montaient vers moi dans ce matin très pur. Et brusquement je les ai vues, derrière la grille. Menues et rouges, surgies de leurs collerettes délicates de feuilles vertes, sous les grands camélias, dans l'ombre des lourds magnolias, loin du sentier des promeneurs, fraîches et vives comme un souvenir d'enfance. Trois fraises des bois minuscules et parfaites, venues de loin, de très loin en arrière, du plus lointain de ma mémoire, belles et solitaires comme ces fruits dessinés point à point sur les tapisseries du moyen âge. Je me suis penchée, j'ai tendu la main à travers la grille. J'aurais tant voulu les cueillir, les porter à mes lèvres, retrouver leur goût trop longtemps effacé de ma vie.
Les fraises des bois... Elles poussaient autrefois sur les sentes de Merlette, et derrière les sapins dans le jardin des grands-parents à Guéret, et aussi dans le coin des violettes, à Freschines, et je savais toujours les retrouver, et j'en tachais mes doigts, j'en barbouillais mes lèvres. Jamais je n'ai pu oublier leur parfum, leur goût un peu acide, leurs grains minusculement âpres qui restaient sous ma langue comme des paillettes aiguës de lumière.
J'étais si près, ainsi penchée, j'aurais presque pu les effleurer. Mais j'avais beau faire, j'avais beau allonger mes doigts mendiants vers les bois et les jardins si bien connus d'avant, rien à faire, elles étaient trop loin - elles étaient si loin, derrière la grille, loin de tous les sentiers, inaccessibles comme un souvenir d'enfance.
 
Des jours passés que reste-t-il, que mes doigts tendus tout tremblant de désir, et cette enfance dans mon coeur, meurtrie aux grilles des vieux jardins secouant leurs ombres, dans l'aube toujours intacte de ma mémoire ?

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L'ami

Publié le par Carole

L'ami
J'avais poussé par hasard la porte du square. Il gisait dans l'herbe, géant tranché ébranché étêté, pleurant encore quelques larmes de sève, attendant sans linceul qu'on l'emporte tout nu vers la scierie qui le débiterait tout net en tranches ou en rondelles.
Je suppose qu'il fallait l'abattre, qu'il était devenu dangereux pour les enfants du quartier. Il était si vieux, forcément, qu'on ne pouvait plus se fier à son équilibre, à sa mauvaise tête chancelante... Et puis son ombre pesait lourd sur ce square trop étroit qu'on avait décidé de repeindre en jeune et en gai. La raison, la prudence, le bonheur des petits qu'on emmène promener dans les jardins des villes, tout, en somme, exigeait sa décapitation.
On avait fait ce qu'il fallait...
 
Un père promenait, un peu plus loin, sa toute petite fille.
Ils se sont approchés. J'ai entendu le père, qui disait à l'enfant :
"Ce qu'ils ne savent pas, c'est qu'il était ton grand ami... qu'il était toujours là pour toi."

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