Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

fables

Dans le panneau

Publié le par Carole

Dans le panneau
Un panneau en maillot, allongé sur le sable au soleil des vacances, dans ce long juin d'inondations ? Absurde, n'est-ce pas, dérisoire, indécent. Ridicule. Inutile. Et tellement cigale, au pays des fourmis.
Pourtant. Je me souviens d'une comptine d'enfance :
On disait "Un, deux, trois, soleil", tout en fermant les yeux. C'était déjà l'été. Puis lorsqu'on les rouvrait, c'était toujours l'hiver, on courait comme un loup. Mais on avait encore un peu de chaud au coeur et de tendresse aux yeux.
 
Non, ça ne sert à rien de dérouler sur les pavés la plage détrempée comme un tapis volant.
Non, ça ne se peut pas d'interdire au soleil d'interdire le printemps.
Et ça n'a pas de sens d'habiller les désastres d'un bikini d'été.
On ne se bronze pas de mots, et nul dessin jamais n'empêchera les crues de passer par chez nous dans leurs barques qui tanguent.
D'accord.
 
Mais à ceux qui essaient chaque nuit de repeindre en beaux jours nos vies qui coulent à pic,
aux humbles pariétaux, aux Cidrolin d'ici qui ne renoncent pas à orner comme grottes nos villes au ras du ciel,
je tire tout de même ici mon chapeau
sous mon grand parapluie.

Car ces doux inutiles
ces tombés du panneau
cigales insubmersibles
viennent battre pour nous
de leurs ailes légères
le briquet de l'enfance
ravivant d'un sourire
la petite lueur
qui pourrait bien s'éteindre
au fond des coeurs
noyés.
 

Publié dans Fables

Partager cet article

Labyrinthe

Publié le par Carole

Labyrinthe
Le Labyrinthe... La plupart le dédaignent et passent leur chemin pour s'en aller tout droit.
Quelques-uns, cependant, s'y arrêtent et avancent, un pied hésitant après l'autre, étranges funambules au regard apaisé, sur le fil de pavage qui lentement déroule, virage après virage, sa pelote de patience et ses longs noeuds d'errance. 
Leurs bras en balancier leur font de grandes ailes battant comme des coeurs, et leurs pas maladroits, se posant sur le vide, y dessinent le plein, avec tous ses déliés.
Ils avancent et reculent, se retrouvent et se perdent, et toujours recommencent, tournoyant immobiles, comme on tisse son nid.
Et l'on se dit que le plus court chemin, de ce monde à soi-même, ce ne sera jamais la ligne droite.

Publié dans Fables

Partager cet article

Le faux du vrai

Publié le par Carole

Le faux du vrai
Sur le penchant de quelque agréable colline bien ombragée, j’aurais une petite maison rustique, une maison blanche avec des contrevents verts.
 Rousseau, L'Emile
 
 
Elle cligne de l'oeil, la fenêtre qui trompe.
Démêler le vrai du faux, les vrais volets de bois du faux oiseau de printemps, la vraie poutre craquelée du faux rideau de mousseline à bords fleuris, la vraie pierre de pays de la fausse balustrade - cela prend un moment.
Pour le passant qui s'arrête, c'est une halte paisible, vaguement admirative. Pour le regard qui erre et qui zigzague, c'est un voyage aventureux. Et pour tous les sceptiques de ce monde, une victoire à la Pyrrhon. Car la fausse fenêtre les fait aussi faux qu'elle-même, ces volets qui ne se fermeront plus, cette pierre sur laquelle on ne se penchera pas davantage que sur la balustrade de peinture. A moins que ces contrevents aussi verts que vrais, et cette pierre de tuffeau blond, et cette poutre vermoulue ne soient là que pour l'encadrer, lumineuse, dans sa vérité idéale comme dans nos rêves de toujours, la vieille fenêtre bouchée qui ouvrait sur le noir.
Elle cligne de l'oeil, la fenêtre à malice qui nous dit que le faux du vrai, pas plus que le vrai du faux, jamais on ne pourra le démêler - sinon d'un coup de hache, ou d'un autre coup de pinceau, en noeud gordien.
 
 

 

Publié dans Fables

Partager cet article

Décor urbain (réédition)

Publié le par Carole

Décor urbain (réédition)
J'adore, au théâtre, les décors de rue peints. Il y en a de merveilleux aussi dans les vieux films. La Ronde de Max Ophüls, par exemple,  est à cet égard - comme à tant d'autres - une remarquable réussite.
 
Et quand je marche dans la ville, il me semble toujours, à l'inverse - mais est-ce vraiment l'inverse ? - que les rues - je veux dire les rues "réelles", si ce mot a un sens - couvertes de mots, de dessins, d'affiches, d'inscriptions, de reflets, de couleurs, sont des décors, qu'un metteur en scène ingénieux a fait peindre et disposer pour que nous puissions, passants incertains que nous sommes, jouer un moment notre rôle.
 
MISE EN SCENE  désordonnée, certes, où chacun, sans se préoccuper de ce qu'on joue près de lui, joue de son côté une pièce de sa façon, dans une cacophonie étrange et bousculée. Mais finalement mise en scène magnifique, toujours absolument juste - dans le laid, le beau ou le médiocre, toujours parfaite et pure.
TROUVAILLES continuelles, inlassables fantaisies du quotidien.
Scénographie mobile et fugitive de l'éphémère FMR.
 
En passant rue Mercoeur cet après-midi-là, j'ai eu la curieuse impression - drôle d'impression, vraiment -, que la vieille camionnette à bout d'âge s'était garée là exprès. - ou plutôt que quelqu'un, exprès, l'avait posée en équilibre sur ce trottoir. Entre les deux boutiques aux noms si bien accordés, elle s'était placée si exactement où il fallait, avec son chargement coloré d'autographes précaires griffonnés par des stars obscures du marker, de la bombe à peinture et des nuits blanches, comme la dernière touche du décor. Et c'était, sous l'évidente laideur, d'une absolue justesse de ton et de sens.
 
La rue est un théâtre. Habitant, passant, automobiliste, cycliste ou commerçant (peu importe la distribution, qui peut varier à tout instant), chacun y tient à son tour sa partie, sans trop savoir comment ni pourquoi, avant de disparaître dans la coulisse - ou nulle part.
 
Quant au photographe... au moment précis qui lui est destiné, il s'approche, et prend l'image : c'est son emploi dans ce vaste spectacle.

 

Publié dans Fables

Partager cet article

La main qui s'ouvre

Publié le par Carole

La main qui s'ouvre
On nous l'a tant de fois affiché notifié rabâché : il ne faut pas pas du tout vraiment pas il ne faut PAS nourrir les pigeons.
Il ne faut pas les attirer, tous ces fauteurs de fientes, ces sales crépisseurs d'excréments qui souillent et rongent nos monuments. Oh, bien sûr, je suis d'accord ! Rien de plus vrai rien de plus juste rien de plus nécessaire.
Mais comment les convaincre, eux, les distraits les rêveurs, ceux dont la main, sans bien savoir ni pour quoi ni pour qui, s'ouvre toujours pour donner ?
 
Le geste de la main qui s'élance pour cogner sur l'intrus, c'est celui de la peur.
Le geste de la main qui se referme sur son bien, c'est celui du civilisé.
Mais le geste de la main qui s'ouvre et distribue, c'est le geste d'Eden, celui du premier homme, en paix avec lui-même et les oiseaux du monde. C'est le geste éternel, le geste primitif, que rien n'a pu effacer de tant de doigts distraits qui émiettent en rêvant le peu qu'ils ont en trop.
 
La main qui se resserre sur son quignon de pain se prépare à l'angoisse.
Et la main qui s'allonge pour chasser l'importun se prépare à la guerre.
Mais la main qui s'ouvre pour donner se prépare à semer.

Publié dans Fables

Partager cet article

Le monde ou rien

Publié le par Carole

Le monde ou rien
On nous l'avait donné pour rien, et tant de fois nous l'avons revendu et trahi. Le voilà bien malade.
De cahots en chaos, tout penché vers l'abîme, ivre sous les étoiles, absurdement bavard, criard, insupportable, il roule sa misère en écorchant nos corps, en cabossant nos coeurs.
Mais la lumière, mais les couleurs, mais les amours, et les artistes, et les enfants, et les merveilles.
Mais qu'il soit là plutôt que rien. 
Que le moindre regard, que chaque battement de notre sang - qui tourne et tourne comme lui - nous le donne et redonne tout entier, trésor multiplié des milliards de nos vies.
Qu'il soit là qu'il soit nous qu'il soit vous qu'il soit toi, qu'il soit tous et chacun.
Le monde qui n'est pas rien.
le monde le monde et non pas rien.
Le monde le monde le monde au lieu de rien.
Le monde le monde le monde le monde - ou rien.
C'est vraiment quelque chose.
Quelque chose de tellement.
Quelque chose de si.
C'est tellement quelque chose.
D'insensé d'incroyable
et de follement beau.
Que voilà, je voulais simplement
vous le dire moi aussi
juste comme on dirait
merci.
 

Publié dans Fables

Partager cet article

Cerf-volant

Publié le par Carole

Cerf-volant
Je ne connais rien de plus doux, ni rien de plus mélancolique. Sur la plage encore vide, bien avant la saison, par un frais dimanche de soleil, l'homme un peu ridicule au visage extasié qui ne regarde que le ciel. L'homme plus vraiment jeune qui joue avec le temps en ligotant le vent, ce pantin forcené, dans ses fils de nylon.
Maniant son oiseau bleu comme il guiderait un vieux rêve, l'homme toujours enfant. Le solitaire au cerf-volant.

Publié dans Fables

Partager cet article

Choix

Publié le par Carole

Choix
"Le bonheur est un choix" avait écrit celui qui avait fait d'un mur gris son tableau noir, pour nous donner leçon de morale et de vie.
Un choix, le bonheur ? Peut-être pas pour l'homme qui travaillait sur le trottoir, dans le froid du matin, à démêler lentement on ne savait quels fils à bâtir, pour la maison des autres.
Et moins encore pour la femme qui m'avait abordée tout à l'heure pour me demander une pièce, parce qu'elle était à la rue, qu'elle ne pouvait plus ni manger ni s'habiller, et que "tout le monde l'avait laissée tomber".
 
Non, le bonheur n'est pas un choix, c'est une chance, une chance très rare.
Mais lorsqu'on a la chance de pouvoir être heureux, ce serait une insulte à tous les malheureux de ce monde de ne pas le choisir 
comme il nous a choisis, par hasard et pour un instant, ce bonheur si volage. Et de ne pas l'aimer comme on aime les amants de passage - pour aujourd'hui, sans lendemain, à la folie.

Publié dans Fables

Partager cet article

Une feuille

Publié le par Carole

Une feuille
Au bord de ce petit chemin boueux que j'emprunte chaque jour pour attraper mon bus, il devait y avoir des jours qu'elle attendait, patiente comme un nid, que je m'arrête un peu.
Alors ce matin, quand je me suis penchée, agacée, pour rattacher un lacet indiscipliné qui prétendait me retarder en pataugeant salement dans l'ornière, je crois qu'elle en a profité.
Car tout à coup elle a été là, devant moi, tranquille et souveraine.
Humble merveille, elle avait tout son temps, puisqu'elle était le temps, posé comme un oiseau pâli sur la branche légère, 
la feuille morte encore attachée sur la tige, veillant sur le bourgeon qui grandissait vers son été.

Publié dans Fables

Partager cet article

Marronniers

Publié le par Carole

Marronniers
Tout le monde les connaît, ces "marronniers", qui viennent, de temps à autre, dans nos journaux, éventer de quelques feuilles légères les encalminages fugitifs et les brèves accalmies de l'actualité
J'ai appris récemment que l'expression provient d'un vrai marronnier du jardin des Tuileries, un marronnier rose, qui avait prospéré, disait-on, sur le corps des gardes du roi massacrés, en 1792. Il avait l'habitude d'annoncer le printemps en fleurissant avant les autres, et, régulièrement, on en donnait de florissantes nouvelles dans les journaux. D'abord très ardents et chargés de messages politiques enflammés, peu à peu ces articles s'étaient apaisés, si bien qu'on ne les "sortait" plus à la fin qu'aux jours calmes, et que tous les lecteurs avaient fini par se prendre d'amour pour leur vieil arbre, de plus en plus pâle et délicat, et en cela semblable à tous les vieux marronniers de ce monde, qu'il avait fallu finalement abattre, après son dernier printemps, en 1913. On en avait replanté un autre, jeune et frais, bien sûr - un joli marronnier sans histoire... mais, de celui-là, nul n'a jamais eu de nouvelles. Il y avait, n'est-ce pas, bien d'autres choses à raconter, en 14...
Cela m'a laissée rêveuse.
Si seulement les "marronniers" avait pu l'emporter...
Je n'ai pas pu m'empêcher d'imaginer ce que serait un monde où nos journaux et nos écrans, au lieu de "couvrir", dans la terreur ou la fièvre, ces guerres et ces attentats, ces meurtres et ces scandales que chaque jour moissonne, n'auraient plus rien à faire, jamais, qu'à nous donner, en boucle et en détail, en exclusivité et en TNT, des nouvelles des marronniers roses et blancs, des cerisiers d'ici et de là-bas, des érables et des noisetiers, des violettes, des tulipes, du chant des merles et du retour des hirondelles. 
Un autre monde, vraiment, un autre monde.
Mais pouvons-nous encore rêver ?
 
Je ne sais pas, vraiment pas. Mais j'ai vu hier que nos grands marronniers du Cours Saint-Pierre ont, cette année encore, poussé hardiment, tendrement, vers un nouveau printemps, leurs douces fleurs nacrées, sous le corset relâché des bourgeons.
 

Publié dans Fables

Partager cet article