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fables

Sphère

Publié le par Carole

Sphère
Dans les Fleurs bleues de Raymond Queneau, Cidrolin dit que "les actualités d'aujourd'hui, c'est l'histoire de demain".
En effet. Mais cette actualité-là, l'histoire en train de se faire, on nous la raconte aujourd'hui en boucle, en une et sans répit, bien avant que les historiens, demain, ne nous l'écrivent au clair, en événements et en chronologies, en fiches et en programmes de baccalauréat. On nous la déroule et l'enroule en tant d'images et de récits que ce n'est pas simple, non, que c'est vraiment toute une histoire pour y démêler quelque chose.
Bien sûr, c'est parce qu'on est dedans. Perdu sous le flot des images et des mots qui partout nous poursuivent, à la télé, dans les journaux et sur le "Net". Comment voir clair au milieu de l'orage ? On ne perçoit plus rien, que ciels brouillés et horizons voilés, bâtiments près de s'effondrer, foules suivant d'incompréhensibles trajets, silhouettes déshumanisées qui rampent et qui menacent derrière de grands pans d'ombres.
On tente le recul, on s'écarte un moment pour regarder de loin, espérant savoir à la fin.
Mais sur la vaste sphère du monde, on ne peut pas bien lire, on ne distingue encore que des formes étranges, des perspectives déformées, des foules qui attendent, beaucoup d'obscurité. Tout cela est trop loin, mobile et mystérieux, sur la sphère illisible.
On s'en revient dedans,
que pourrait-on faire d'autre ?
Dans l'orage incessant
de nos écrans en boucle
et de l'histoire en une.
 
Et de nouveau le sens
le sens le sens le sens
et l'avenir
 
échappent.
 
Et c'est cela, je crois,
bien plus que le danger
qui affole qui fait
 
peur.
 

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Eternel retour

Publié le par Carole

Eternel retour
Mon poissonnier vendait hier ce poisson frais du jour et philosophique, si semblable au poisson millénaire et philosophique du Muséum de Nantes que j'en suis restée toute saisie.
C'était beau, c'était laid, c'était cruel et pitoyable.
Il y avait là toute la vie. Perpétuellement affamée.
Toute la mort. N'attaquant bien que par surprise.
Tous les cycles et tous les cercles. Du tel est pris qui croyait prendre à la roue de fortune.
Toutes les injustices et tous les règnes. Et toutes les justices et tous les équilibres. Puisque seul l'être humain, ce dernier venu de la vie, l'avait emporté à la fin, grâce à son traître chalutier, sur les hiérarchies éternelles et obscures du si vieil océan. Puisque seul l'être humain, ce tard venu de la pensée, pouvait y lire son destin, qui sera à coup sûr d'être pris à son tour au grand filet de ses erreurs et de sa démesure de prédateur suprême.
 
Il y avait là de quoi crier d'admiration. De quoi s'en aller vomir de dégoût. De quoi penser. De quoi sourire. De quoi pleurer. De quoi manger.
Le monde entier, en fait.
Sur l'étal de mon poissonnier.
 
Poisson fossile - Muséum de Nantes

Poisson fossile - Muséum de Nantes

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Quitter le rang

Publié le par Carole

Quitter le rang
Il y a des jours où
des jours lents des jours sang
quand le soleil en cage
se dessine en barreaux
que les ombres épaissies
deviennent palissades
jours sans fin jours sans fuite
jours hagards et jours lourds.
 
Mais la petite plante
en son jardin de planches
saltimbanque tournoie
dans son rai de lumière
et trouve toujours où
se dresser s'élancer.
 
Passant quitte le rang
tu sais tout tu sais où
tu seras roi et fou
de patiente espérance.

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Robe de fête

Publié le par Carole

15 octobre 2015

15 octobre 2015

Dans sa vitrine en aquarium, dentelle frissonnante entre deux murs pelés, elle attendait si frêle, tout au bord de l'hiver, la petite robe de fête. 
Si tendre et si naïve près de son grand coeur rouge de fiancée Peynet,
qu'on aurait cru la voir tournoyer dans le vide, solitaire, immobile, entre ses propres bras.
Ridicule !
 
Et alors ? Et alors.
Quand on vit dans le gris, que l'amour est lépreux, que tout part en lambeaux,
c'est là qu'il nous éclaire, le grand coeur rougeoyant tournant comme un soleil.
Quand l'automne se traîne dans un dernier rayon où frissonne l'hiver,
c'est là qu'il nous la faut, la robe d'été clair, la petite robe de fête.
Pour danser ?  Pour danser. Pour danser !

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Arc-en-ciel du soir

Publié le par Carole

Arc-en-ciel du soir
Le jour se couchait à la pluie.
 
C'était un arc-en-ciel 
un peu trempé de gris
qui passait comme un pont
au-dessus de nos vies
dansant avec la lune
tout autour de la terre
changeant le nom des rues
pour en faire de grands nids
abrités sous son aile.
 
C'était un acrobate
en tutu de soie rose
penché sur nos maisons
à leur faire perdre haleine
sous son baiser de brume.
 
Posé comme une bulle
sur la pointe du jour
saltimbanque incertain
il s'est jeté soudain
à l'averse glacée
qui d'un coup l'a crevé.
 
Le jour se donnait à la nuit.
La pluie se couchait sur le monde.
C'était un arc-en-ciel
du soir
une araignée de soie
tombée
dans sa toile d'espoir.

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L'île aux mouettes

Publié le par Carole

L'île aux mouettes
C'est une péniche au rebut, un rafiot oublié. La cambuse béante montre ses boyaux noirs, et sa porte trop blanche bat seule sous le vent comme l'aile vivante d'un papillon tombé.
C'est une baleine à l'échouage qui pourrit dans sa rouille. Les mouettes folles se sont posées rêveuses sur son dos encore bleu. Et la mousse grandit sur son corps ballottant avec ce bruit très doux que fait la sève lente lorsqu'elle remonte aux doigts des vieux arbres défunts.
 
Quelqu'un vit là, je crois, dans ce ventre de fer où galopent les rats.
Quelqu'un qui descend chaque soir l'escalier frissonnant pour se coucher dans l'ombre sur des cordages humides. Un naufragé qui rêve, quand les vagues balancent, de s'en aller plus loin. Un Jonas affalé au fumier du vieux Job, que la misère digère et ne recrache pas.
 
C'est un bateau qui dort, tranquille comme un mort. Les mouettes s'y reposent au soleil de midi comme aux branches du jour. Le fleuve qui le berce lui fait de ses bras gris un nid d'éternité boueuse et miroitante.
C'est une île immobile qui attend sous le ciel de rejoindre la terre.

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Les manches à air

Publié le par Carole

Les manches à air
Voyez les manches à air par un beau jour de vent :
elles s'en vont toutes où les pousse le ciel
et toutes elles se ruent où les souffle le temps.
Et cependant
il s'en trouve toujours une pour résister à toutes
il s'en vient toujours une pour flotter solitaire
pour se tenir en berne ou pour tracer sa route
dans l'autre sens.

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Action

Publié le par Carole

Action
Quand tout va de travers et qu'on va décrocher
Quand ça penche et ça tangue et qu'on tremble et qu'on flanche
C'est un mot qu'on se dit qu'on se jure en ivrogne
 
Action
 
Quand ça craque et menace et qu'on veut qu'on voudrait
Quand ça grince et ça gronde et qu'on doit qu'on devrait
C'est un mot qui console un grand mot pour demain
 
Action
 
Quand il faut qu'il faudrait qu'on y passe à la fin 
Qu'on y pense qu'on en parle qu'on dirait qu'on se fâche
C'est un mot qui endort nos pauvres coeurs en rogne
 
Action
 
Quand on croit se faire croire qu'on pourra qu'on pourrait
C'est un mot qui se paie de nos maux sans vergogne
Compère rusé faux frère hâbleur de notre lâche
 
Inaction

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Ecume et roche

Publié le par Carole

Ecume et roche
Poetry must be new as foam, and as old as the rock.
(R.W. Emerson, 1845)
 
 
Voilà une belle maxime oubliée, à méditer, et certainement à élargir, au-delà de la poésie, à tout ce qu'on aimerait appeler "art".
Ecume neuve et vieux rocher. Roches solides et délicate écume.
S'en souvenir, toujours. S'écarter des bougons rocailleux qui s'accrochent aux rochers du passé comme des huîtres creuses. Echapper au culte fanatique du Nouveau, qui fait de tant d'artistes, aujourd'hui, ces acrobates étranges qu'on voit glisser de la crête des vagues jusqu'à l'évier du néant, dans le froissement d'eau sale de l'indifférence crasse ou des dollars entassés.
 
Ecume et roc.
Roc et écume. 
 
Friselis de la vie sur le socle du temps.

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Sans titre

Publié le par Carole

Sans titre
Foules silhouettes
et vies défaites
 
Gestes robots
corps en morceaux
 
Passants passant
disparaissant
 
Ombres en rang
regards errants
 
Si loin si près
si faux si vrais
et si humains
 
les mannequins.
 

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