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fables

Photo de mariage

Publié le par Carole

Photo de mariage
Que l'on regarde au loin, cheveux au vent, l'avenir qui s'en vient, pour un cliché d'éternité que le temps ternira, ou qu'on fixe le bout de ses pieds, tout nu sur le rivage, c'est toujours et sans fin la même histoire : il n'y a en ce monde que des mondes, des millions et des milliards de mondes, qui, posés côte à côte dans leurs bulles d'écume, ne se rencontrent pas
- on pourrait en pleurer si souvent
qu'il est bon quelquefois d'en sourire.

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L'arbre de Montaigne (réédition)

Publié le par Carole

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Pour moi, donc, j'aime la vie (Essais, "De l'Expérience", III, 13)
 
 
Et Montaigne ?
- Montaigne... lui aussi je l'ai rencontré, bien sûr. Pas tout à fait où je croyais le trouver, évidemment...
J'étais allée le voir dans son château entouré de vignes. J'espérais entrer dans sa tour, et relire avec lui, sur l'amical plafond de sa "librairie", quelques mots de sagesse. Mais l'heure était passée.
Impitoyable et funèbre horaire auquel les vieux morts célèbres sont soumis, qui les contraint à nous fermer la porte et à tirer la chaîne, quand il serait pour les vivants l'heure de causer ensemble à la fraîche, ou au coin d'un bon feu...
Je me suis promenée, solitaire, un peu triste, dans les allées du parc. Et puis, finalement, c'était là qu'il était...
Il se tenait sous l'arbre foudroyé, face à la tour.
Car l'arbre se dressait mort, tendant au ciel son moignon blanc, et pourtant il vivait encore, dans son feuillage dense et d'un vert plein d'espoir. Sur l'herbe, le soir déployait son ombre large d'arbre d'été, et, malgré son costume de mort sec et si gris, il était encore tout frémissant de vie - dans ses jeunes bourgeons il grandissait toujours vers les longs lendemains d'hiver, préparant son printemps.
 
Il ne peut pas mourir, celui qui toujours s'est essayé, celui qui, ne sachant rien de sûr, s'est toujours étudié lui-même pour inviter autrui, à sauts et à gambades, à poursuivre en ami sa pensée, le vieil homme foudroyé qui vit et qui revit dans les branches qui lui repoussent, et se ressèmera quand reviendra le temps.
 
Si bien que, nous étant retrouvés, Montaigne et moi, nous avons commencé à causer doucement, à deviser ensemble, à la fraîche, dans l'ombre du vieil arbre.
Ce que nous nous sommes dit ? 
- Mais ce qu'on se dit, je crois, entre amis de toujours,  ce qu'on ne se dit qu'à soi-même... Rien que vous ne puissiez vous dire vous aussi à vous-même, rien que vous ne puissiez découvrir en vous-même, en vous essayant à penser, à chercher et à aimer la vie...

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Point d'interrogation

Publié le par Carole

Au château de la Brède, où vécut Montesquieu, chaque porte a sa devise, chaque porte indique un chemin différent de la pensée, du désir ou de la vie quotidienne. 
Car la vérité n'appartient qu'à celui qui n'en néglige aucun, mais sait aller de l'un à l'autre, et d'ici à là-bas, et d'ailleurs à partout.
Ainsi, par cette porte, il s'en venait, continuellement, à sa bibliothèque.
Assidue Veniebat - Il venait continuellement

Assidue Veniebat - Il venait continuellement

O Rus, Quando te aspiciam ? Ô campagne, quand te verrai-je ?

O Rus, Quando te aspiciam ? Ô campagne, quand te verrai-je ?

Et par cette autre, il s'en allait, vers les Lumières et vers Paris,
en cheminant encore dans ses terres et ses vignes.
 
Il aimait mettre des mots sur sa vie, il ne vivait vraiment qu'au carrefour des mots, et de lui-même il parlait au passé.
En cela il était véritablement écrivain.
Et cela m'a enchantée.
Mais ce qui m'a plu encore bien davantage, c'est la question de l'arbre, à la dernière porte, qui menait hors du parc :
 
Point d'interrogation
Qui donc l'avait posé là, au moment de partir, ce grand point d'interrogation mûrissant sur l'écorce ?
Quel visiteur malicieux, quel promeneur philosophe ?
N'était-ce pas plutôt lui-même, le maître de la Brède, qui l'avait charbonné pour nous tous, ce vrai mot de sagesse, toujours vivant et toujours en chemin
?

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Le K

Publié le par Carole

Le K
Juste ce fait-divers, tragiquement clownesque, rencontré par hasard :

La presse américaine parle ce matin d'un "Good Samaritan". Leonard Robinson est mort, tué sur une route du Maryland dimanche, à l'âge de 51 ans. Si son nom ne vous dit rien, son costume, lui, vous est familier : Robinson visitait les enfants malades à l’hôpital vêtu en…Batman. Leonard Robinson est mort après une panne de sa Lamborghini noire, customisée façon Batmobile. La police a précisé que Robinson était sorti du véhicule pour l'inspecter. Un autre véhicule est alors entré en collision avec la Batmobile, qui a ensuite percuté l'homme au costume. http://www.europe1.fr/international/le-batman-des-enfants-malades-tue-sur-la-route-2503293​ - http://www.bbc.com/news/world-us-canada-33964830

Drôle d'histoire triste. En la lisant je me suis souvenue du K.
Le K, ce traître K que j'avais vu un soir sur un rideau de fer, mordant au flanc un Batman trop confiant qui croyait le plaquer à terre de ses deux poings serrés. 
 
On aurait bien aimé, d'accord, que Batman soit plus fort que la mort, on aurait bien aimé qu'il traverse la nuit d'un grand coup d'aile bleue pour ouvrir sur la vie les portes du malheur. Et même on aurait bien aimé qu'ensuite, immense et invincible, il appuie vraiment fort sur le K ses deux poings de géant pour l'empêcher de se redresser.
Mais tout ça c'est du cinéma. Voyons. Le vieux K, sale bête, ici bas tout en bas, sera toujours ce plus malin que nous qui rira le dernier.
Car les vrais Batman de ce monde ne sont que des clowns téméraires, armés de plastique et d'espoir et casqués d'illusions. Et le K, le K qui n'a ni nom ni forme, le K qui ne rêve à rien, mais qui rampe partout, le K s'acharnera toujours à les jeter à terre dans leurs capes déchirées.
 
Batman est mort, bien sûr. Et alors ? Alors rien. Puisque d'autres Batman rêveurs, quelque part ou ailleurs
ont déjà pris j'en suis sûre forcément
leur élan
fonçant tête baissée vers l'impossible
en bicyclette ou en Lamborghini 
pour écraser de leurs poings bien serrés
le K qui ne mourra jamais
 
juste un instant 
juste un
avant qu'il ne les morde au flanc
le K.

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Maison de façade

Publié le par Carole

Maison de façade
Il y a des maisons comme cela. 
Des maisons de façade, comme il y a des maisons de rapport.
Des maisons de théâtre, sans cour et sans jardin.
Des maisons-silhouettes, pour y loger des ombres.
Aussi étroites que médailles, des maisons qu'on ne peut regarder qu'à pile ou à face, mais jamais de profil.
Plates comme mensonges, serrées comme corsets, pendues dans les décors comme palais de carton-pâte, vacillantes et minces comme fil du rasoir.
On se demande pourquoi certains se font bâtir ces étranges demeures qu'ils ne peuvent habiter qu'à demi, en se pliant en quatre, et en prenant bien garde de toujours se tenir sur leur trente-et-un.
Mais qu'importe la profondeur, me direz-vous, pourvu qu'on ait la façade.

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Dernier soleil

Publié le par Carole

Dernier soleil
A Saintes, dans les vieilles arènes, tous se plaisent à passer sous la haute porte des vivants, celle des conquérants et des vainqueurs, sonore et remplie de lumière.
Et, bien sûr, on reste, autant qu'on le peut, à bonne distance de la porte des morts, suintante d'ombres et de bêtes rampantes, sous laquelle on traînait les blessés, les vaincus, les cadavres.
Que tant d'art et d'efforts aient pu être mis au service de tant de violence... Qu'un monde civilisé ait pu montrer avec autant de tranquille impudeur qu'il n'y avait que deux chemins possibles, cela inquiète vaguement. Comme si...
Mais les pierres ont roulé dans le sable et la mousse, et seul le temps désormais, assis sur les gradins rongés, las d'avoir si longtemps médité, s'amuse à mettre en scène ses pauvres jeux d'enfant, ses spectacles bizarres, ses fables insolentes.
 
Un pigeon tout tremblant de vieillesse s'était posé sur l'épaule voûtée d'un grand mur fatigué, tout près de la porte des morts.
Tout à l'heure il tomberait tout raide dans le grand trou noir des perdants, avec ses ailes éteintes.
Mais il goûtait en sage sa dernière bouffée de soleil, étirant son ultime instant comme un condamné sa dernière cigarette.
 
En contemplant les ruines
encore tachées des fientes
qu'il leur avait jetées
d'en haut
aux jours de sa splendeur
vivante.
 
Et songeant que peut-être
il en naîtrait un hêtre,
un soleil,
un cosmos, 
une pâle immortelle
ou même un moucheron.
 
Un brin d'éternité
infime
à encorder les heures
à nouer l'un à l'autre
le chemin des vainqueurs
et le ventre
 
des morts.
Dernier soleil

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Chat noir et porte rouge

Publié le par Carole

Chat noir et porte rouge
Il y a tant de raisons d'écrire en jaune sur une porte rouge : "chat noir". et si peu de motifs pour inventer une "journée du chat".
... Or j'apprends qu'aujourd'hui - qui est déjà hier - était "la journée du chat"...
Cela me plaît, au fond, ce clin d'oeil si félin, futile et ronronnant, tout à fait souriant, à tant de pompeuses "journées de" - journées à particules, fournées à certitudes -, qui bousculent et déroutent les vieux saints du calendrier, ces manants démodés.
 
"Journée de la femme"," journée de la gentillesse" ou "journée du climat", tout est bon, peu importe, pourvu que chaque jour nous pensions tous ensemble ce qu'il faut que l'on pense pour être de son temps.
A chaque jour sa bien-pensance et sa bonne pensée.
Aux lendemains l'indifférence et l'oubli médiatique. 
C'est ainsi.
En ce monde pressé, tout gronde et tout menace, et des volcans s'échauffent partout où nous dansons, mais sur son agenda notre bonne conscience note ses rendez-vous.
Et les pages fanées, aussitôt arrachées, comme de vieux journaux, s'envolent aux cratères.

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Le vent

Publié le par Carole

Le vent
Le vent le vent le vent le veut. Tout se soumet au vent, tout s'en va dans le vent, tout se perd dans le vent, les chênes, les éléphants, et les gens comme ils sont. 
 
Pourtant
cela arrive quelquefois
que la simple fleur du trottoir, au fort de la tempête, nouant tous ses pétales en corde, s'amarre à elle-même pour ne pas disparaître...
que la simple fleur dénudée, dans le vent sale et fou qui balaie à nos portes, lutte et résiste pour rester une fleur...
... alors le vent, le vent qui n'aime pas ceux qui vont avec lui,
le vent l'épargne et le vent la ressème,
tandis que, despotique et furieux, il rue et il s'acharne sur tous ceux qui se sont envolés. Loin d'eux-mêmes.
Les jetant
et les dispersant
au néant.
 
Le vent

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Ombres

Publié le par Carole

Ombres
On se retourne au son d'un accordéon dans la nuit. Et tout à coup, sous le pont qu'on vient de passer, il y a ces ombres qui dansent.
Des gens qui se sont rassemblés là, sans qu'on sache pourquoi. Qui sont venus, tout simplement, danser ensemble par un beau soir d'été. Des gens qui sont heureux.
Leurs ombres glissent sur l'eau sombre, mais ils ne semblent pas les voir. Tournant et s'enlaçant, ils savourent insouciants leur part de bonheur et d'été, tandis que sur l'écran que leur tendent les murs leurs ombres dansent en noir un étrange tango.
Un peu plus loin, un petit garçon rêveur joue au ballon, silhouette perdue dans la lumière trop vaste d'un projecteur puissant.
Et on se dit, en s'en allant, que c'est le temps qui fait son show.
Le temps, ce drôle de marionnettiste qui découpe nos ombres dans la matière vivante de l'instant, et les agite déjà dans la nuit, tandis que nous croyons encore marcher dans la lumière.
 
Ombres

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Royale

Publié le par Carole

Royale
Car à chacun revient
son petit rond de rien
sa bulle de lumière
sa médaille de rêve
son halo de douceur
sa couronne de peu
et son profil royal
 
quand toutes gloires égales
à pelletées d'oubli 
s'enfoncent dans la nuit.

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