fables
C'est un enfant qui passe il dessine en rêvant
Son propre coeur qui bat comme une fleur de sang
Petit coeur sur le mur goutte de sang trop rouge
Brave coeur souriant qui veut chanter sa vie
Petit coeur sur le mur bouclier du bonheur
Beau pétale d'espérance sur la page du gris
Gommette d'illusion humble goutte d'amour
Que la pluie tout à l'heure fera sans y penser
Tomber en jet de sang sur la flaque de boue
Des promesses blessées des grands mots déchirés
C'est un enfant qui rêve il ne peut pas savoir
Que le vent sur les murs efface chaque soir
Avec ses manches noires et ses mains de crachin
Le tableau du matin où s'épelait l'espoir.
Cueillir l'obstacle
Toujours il surgit quelque part pour briser ton élan.
L'obstacle.
Sous tes doigts qui luttaient, et qui croyaient toucher
le bleu dont on forge les clés,
cette morsure soudain, cette douleur fichée :
le clou de fer aigu de la réalité.
Qu'importe s'il fait mal et s'il te fait saigner,
ne va pas l'éviter,
avance loin tes doigts vers ce qui les déchire.
Car l'obstacle, l'obstacle, l'impitoyable obstacle,
il te faut le cueillir comme une épine vive.
Puis le laisser grandir comme une écorce rude
et t'en envelopper dans le froid et la faim.
L'enfiler comme un gant sur ta peau écorchée,
jusqu'à ce qu'il devienne enfin
ta propre main.
L'éphéméride (réédition revue)

Dans ma cuisine, chaque début d'année, j'accroche un de ces petits calendriers qu’on appelle des éphémérides – vous savez bien : à chaque jour correspond un feuillet, qu’on arrache à mesure.
Quand un jour est achevé, bien mort et oublié, il faut arracher la page, et passer à la suite. Le calendrier, d'abord si épais, si bien carré sur sa nouvelle année, de jour en jour maigrit, maigrit, maigrit, impitoyablement, et au 31 décembre, hop, c'est fini, il suffit de déchirer la dernière page, de jeter aux ordures le petit squelette de carton, et de fixer au clou une autre éphéméride - toute neuve et fraîche.
Mais moi, non... je n’arrive pas à arracher les pages – le calendrier reste la plupart du temps comme il est, bloqué au 5 janvier quand nous sommes au 9 février, par exemple... Et, quand enfin je me décide..., les pages arrachées, je ne parviens pas à les jeter. Jamais. J’en fais un petit tas tremblant que je dépose sur le sommet du réfrigérateur où il se couvre lentement de poussière. D’année en année les petits tas s’accumulent et s'écrasent là-haut, gris et las, châteaux de jours frangés de sale qu'effondre la marée du temps. Et je ne me résous jamais - je ne dis pas même à m'en débarrasser - mais simplement à remarquer que la poussière y fait son nid, et l'araignée tous ses festins.
Pourtant, je m’en souviens très bien, lorsque j'étais enfant, mes grands-parents de Guéret accrochaient eux aussi dans leur cuisine une éphéméride, illustrée des dessins humoristiques et des piteuses plaisanteries de l’almanach Vermot - qui me semblaient, en ce temps-là, aussi spirituelles et distrayantes qu'une page de ce Journal de Mickey auquel ils m'abonnaient chaque année.
Les jours s'inscrivaient en chiffres énormes et rouges sur les feuilles très minces, si agréables à chiffonner. Je m'amusais à les réduire en boules minuscules et compactes, ainsi que je le faisais pour les emballages de bonbons, avant de les jeter comme du grain dans la corbeille à papier.
C’était un tel plaisir pour moi chaque matin d’arracher la vieille page et de découvrir la nouvelle.
Arracher les pages usées avec le mépris qu'on a pour les vieux jouets cassés, rire un instant de la journée qui s’annonçait, puis chiffonner pour l'oublier le chiffre rouge des jours éteints, c’était alors une si pure joie...
Page blanche du Nouvel An
Feuille des jours
L'année se tourne
Et puis retombe
Avec ses ombres
Et ses soupirs
Et ses sourires
Ne crains pas ce qui change
Ouvre la page blanche
Prends la plume et commence
Pour que tout recommence
Car de ta main
Tu l'écriras
Tu le créeras
Cet avenir
Qu'on ne peut lire
Mais qui est tien.
Que 2016 soit une belle page de votre vie !
Meilleurs voeux à tous !
L'unijambiste
Unijambiste aussi manchot
Par tous les vents pantin du pauvre
Varapeur fou vaillant grimpeur
A la conquête du bonheur
Crâne de bille et vide en tête
Sac à papier comme il s'entête.
***
Que la chance te soit
Bel escalier de soie
Ou rude noeud de cordes
Lutte et va vers le haut
Qu'importe qu'on se gausse
Ou si tu dégringoles
Ce sera toi sur la paroi
Qui seras fou qui seras roi
Qui feras mouche et seras l'ange
Encordé au destin
Ne va pas croire encore
Que te voilà pendu
C'est toujours toi
Qui fais le mur
C'est toujours toi
Crois-moi
C'est toujours toi
qui grimpes.
Paravent
Que l'ombre d'une fleur
sachant broder le fer
pose contre la rouille
son paravent de soie
tende son chevalet
comme un poing de beauté
vers le fracas de mine
du monde qui s'obstine
à changer l'or en mort
ce n'est rien qu'un détail
un frisson d'éventail
que repliera le vent
mais qui pourrait encore
nous sauver du néant.
Proportions
-Nous sommes citoyens du monde ! disait l'un.
-Non, disait l'autre, car chacun est de son village.
Je n'ai pas pris parti.
Ils avaient tous les deux raison.
Pas un village qui ne fasse en un jour le tour de sa planète.
Et pas une planète qui ne rencontre son reflet dans l'oeil doré d'un villageois.
Mais comment faire, pour être de partout en piétinant ici ? Comment marcher en bas et méditer d'en-haut ? Comment rester soi-même, quand la terre est aussi à tant d'autres ? Et comment ne pas craindre les autres, lorsqu'on n'est que soi-même ?
Comment donc les garder, comment les regarder, sous le soleil et par Saturne, les justes proportions qui mettraient en accord tous nos pas ?
Il y avait bien un chemin qu'on avait commencé, un chemin escarpé, pour relier au monde chaque petit village, et pour faire de ce monde un unique village. Un chemin difficile, un chemin exigeant, que l'on voulait nommer - cela me revient maintenant : Humanisme.
Il n'était pas achevé, loin de là, il fallait y travailler toujours, s'y efforcer sans fin, y grimper âprement. Seulement il paraît qu'il fallait s'élever un peu trop, qu'on avait mieux à faire. Si bien qu'on l'a laissé se perdre, le grand chemin d'en haut, dans les vieux marécages des petits arrangements, dans les plaines vaseuses du conformisme lâche.
Et qu'il s'est enfoncé dans la boue de la peur, sous l'éboulis haineux des vociférations.
Mais il doit forcément en rester quelque part une trace, une pierre à l'ébauche, une piste à petits cailloux.
Il est temps de nous mettre en quête.
Visage de pierre
Quand tant de visages sont de pierre, il est bon de savoir que les pierres peuvent avoir des visages.
Et des paupières battantes comme le coeur des fleurs.
Quand tant de bornes aveugles obstruent nos chemins d'ombre, il est doux de savoir que les pierres nous regardent.
Avec leurs yeux humains tout bistrés de lumière.
Quand tant de rocs muets s'effondrent sur nos vies, il est temps de savoir ce que murmurent les pierres
au soleil qui le soir
vient leur prendre
un baiser.
Le bonsaï de novembre
Limé et raboté
rabougri et meurtri
le bonsaï de novembre
battant de ses bras nains
sa danse de l'automne
toute engourdie de larmes
au temps d'hiver qui vient
aux haines qui se figent
aux ombres qui attendent
offre ses bouquets rouges
sème ses feuilles mortes
comme des coeurs humains.
Mais dans ses mains d'enfant
mais dans les pieds enflés
de ses vieilles racines
la sève file encore
son petit air de flûte
ses ruisseaux de bourgeons
de mousse et de printemps
traçant le lent chemin
qui mène au lendemain.
Le cadran des Lumières (réédition)
