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fables

Empreintes

Publié le par Carole

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Oléron - chemin d'accès au fort Vauban 
 
Nous étions allés voir le grand fort Vauban de l'île d'Oléron - grise étoile de remparts, rêve de forteresse absurde où des soldats d'ombre et de vent montent, face à la mer, la garde des jours morts, sur des chemins de ronde immenses, interrompus de grands trous d'herbe et de roches.
 
Soudain, alors que nous sortions, sous nos pieds il y a eu ces mains...
En nous penchant nous avons compris. Tout était expliqué, tout était écrit sur le sol : cela s'était passé en août 2005, l'entreprise Micheau avait coulé et étendu du béton sur le chemin pentu qui mène au vaste portail d'entrée. Une forte rampe, un ouvrage délicat.
C'était le soir, on allait achever le travail. Dans le grondement de la mer et de la bétonnière, les ouvriers satisfaits avaient tracé dans la pâte grumeleuse, si onctueuse pourtant, un rectangle bien ragréé, une dalle lisse et douce, pour y inscrire, comme il se doit, quand on est fier de l'oeuvre accomplie, le nom de l'entreprise. Alors l'idée leur était venue d'y inscrire aussi leurs noms, leurs noms à eux, côte à côte. Ensuite, sans savoir pourquoi, Ludwik s'était brusquement agenouillé, seul, du côté où la pâte rainurée déjà commençait à sécher, et il avait tracé rapidement encore une fois le début de son nom - Lud - et il avait dessiné la flèche, et il avait posé dans le béton frais, d'un coup, les paumes ouvertes de ses deux mains.
On les imagine si bien, dans le vent piquant de ce soir d'août, Hervé, Ludwik, J.M.Auge, et d'autres peut-être encore, dont nous n'avons pu déchiffrer les initiales usées, inventant cette farce, ce bon tour à jouer aux passants de demain et aux rois morts depuis des siècles, face au fort Vauban désert où s'avançaient déjà les fantômes de la nuit. Riant, un peu émus pourtant sous les remparts échevelés d'embruns et de saponaires, s'appliquant, inscrivant soigneusement leur nom chacun à leur tour dans le béton frais, avec la pointe d'un couteau trempé au sel de l'amitié et de la mer. Et puis Ludwik, soudain, plongeant ses mains vivantes dans la pâte grise encore douce et si tiède, les appuyant jusqu'à sentir se refroidir et durcir chaque pore de sa peau, retirant juste à temps ses phalanges raidies, frottant ses paumes sur ses vêtements en regardant à terre son empreinte, presque sérieux maintenant, ne riant plus que pour avoir l'air de plaisanter encore. 
 
Face au grand fort qui peu à peu tombe en ruines, il est là depuis déjà sept ans, ce rectangle semblable aux vieilles pierres tombales qui dallent le sol des églises sous le pas des vivants, près de ces deux mains épaisses qui ressemblent tant à celles que nos ancêtres ont posées sur le mur des grottes, il y a des millénaires. Larges et fortes, et si fragiles, poussiéreuses et usées.
Bien sûr, cela commence à s'effacer, c'est déjà si peu visible, si peu lisible, cela disparaîtra bien avant le vieux fort Vauban, qui lui-même disparaîtra bien avant les grottes profondément enfouies sous la terre où tant de mains imprimées sur la pierre attendent encore dans l'ombre d'être vues par des yeux vivants dans un rai de lumière.
Mais tout de même.
Tout de même, c'est là, c'est bien là.
 
Laisser dans la poussière une trace de son passage. Poser l'empreinte d'une vie fragile sur ce qui est promis à disparaître. Toute l'humanité dans ce simple désir.

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Les pigeons

Publié le par Carole

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      Soyez-vous l'un à l'autre un monde toujours beau. (La Fontaine)
 
 
Ces deux pigeons endormis, posés dans le rai d'une lampe, en équilibre sur l'étroite corniche, au-dessus de nous qui passions, très tard, dans la rue solitaire et obscure, c'était si peu de chose, c'était si émouvant pourtant.
Ces deux bêtes confiantes et ignorées de tous, ces deux êtres s'aimant, reposant côte à côte sur le nid tiède d'une pierre, dans le mince halo d'une lumière fragile, c'était comme si tout là-haut, dans le monde des oiseaux, quelque chose de nous s'était posé, quelque chose de léger, de très simple et de pur, que nous ne savions pas nommer,
ou comme si, peut-être, une brève lueur, glissant d'en-haut très doucement, sur l'aile lentement repliée de la nuit, était venue nous visiter - vers un monde toujours beau éclairant le chemin.

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L'abeille

Publié le par Carole

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Je travaillais au jardin dans le thym,
une abeille tout près jardinait la lavande.
 
Moi, j'arrachais la mauvaise herbe, triant, jugeant et condamnant,
elle, de chaque fleur saisissait le meilleur, pour en tirer le miel.
 
Je pensais en humain,
elle cultivait en sage.
 
Je me penchais vers la terre,
elle s'est envolée vers le ciel.

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La Comédie - Paris, jardin des Tuileries

Publié le par Carole

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Cette statue du jardin des Tuileries me semble avoir beaucoup à nous dire, non seulement de la comédie, qu'elle incarne, mais de l'art, qu'elle représente si noblement, en actrice accomplie qu'elle est.
Faible, infirme en apparence avec son bras tranché, capable pourtant de susciter l'envol, par la puissance d'un regard posé sur le monde, et par la profondeur que lui donne le masque - cet instrument, quel qu'il soit, qui permet de ne plus être seulement soi.

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Le photographe et la roue du temps

Publié le par Carole

photographe roue
 
Au Clos-Lucé qui fut la dernière demeure de Léonard de Vinci, tentant de photographier derrière sa vitre cette lourde roue en mouvement, immense et lente, et pourtant semblable aux roues de ces engrenages minuscules qui font marcher sans répit les montres et les pendules, j’ai fait apparaître ce trouble fantôme dont on ne distingue guère que les mains, posées sur un appareil-photo devenu ombre.
 
Une erreur de jugement, bien sûr : est-ce que je ne devrais pas le savoir, que face à une vitre on ne photographie rien ni personne, que soi-même en train de photographier ? Est-ce que je ne le savais pas quand j’ai absurdement déclenché l’appareil ? …
... Et puis, finalement j’ai décidé de ne pas détruire cette image manquée. Car, se saisir soi-même face à la roue du temps, et ne saisir qu’une ombre, il m’a semblé que c’était tout de même bien cela, photographier.
Saisir le regard d’un instant, le regard déjà enfui au moment où l’on appuie sur le déclencheur, qu’on a porté sur ce qui passe. Et, ce regard même, savoir qu’on ne le saisit qu'en train de passer, dans l’instant même où il se défait, car il n’est que de devenir et de disparaître…
A la roue du temps arracher comme un fantôme, comme un lambeau misérable et précieux, l’image que cette roue déjà a emportée plus loin.
Une entreprise impossible, évidemment. Et pourtant tellement nécessaire. Car, si nous ne sommes que de devenir et de disparaître, nous ne sommes également que de nous souvenir et de nous retourner.
J’en viens à croire qu’en ce sens, aucune photographie n’est jamais manquée : aussi maladroite, aussi banale qu’on puisse la juger, toujours elle a écrit quelque chose de la fugitive lumière des instants qui passent.
Photo / graphie, écriture de la lumière… je crois que les hommes qui ont inventé la roue, les engrenages et la mesure du temps, ne pouvaient pas ne pas t’inventer aussi.
Je crois que Léonard a rêvé de toi.

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La pluie

Publié le par Carole

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La pluie de ses doigts gris
tambourine une valse
mélancolique et lente,
la valse de l'été
qui ne viendra jamais.
 
Et dans ses mains légères,
elle enferme le jour
qui se prend à pleurer
comme un poisson captif,
comme un oiseau en cage.
 
Patiente elle bat
le pouls lent de nos heures,
murmure une chanson
qu'égrène chaque goutte,
que berce chaque feuille.
 
Tant pis, dit-elle au jour
de sa voix d'ombre fraîche,
Tant pis, dit-elle au merle,
cherche en toi la lumière,
et vole un peu plus haut.
 
Douce pluie, sage pluie,
Source calme du ciel,
Ecris-le sur les vitres
et sur toutes les toiles :
le bonheur est en nous.
 
Et de tes ongles fins,
de tes pinceaux de soie,
fouille au fond de nos âmes
pour trouver le soleil
- et la joie qui s'y cache.

Publié dans Fables

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Sur le bord

Publié le par Carole

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S'extraire du noir et s'arracher au gris,
quitter la chambre étroite,
Sur la corde de fer
du balcon qui s'étire,
poser sa patte rousse
comme soleil et joie,
puis traverser en funambule
toute l'eau claire du ciel.
S'en aller...
 
S'avancer sur les toits,
courir sur les vagues du vent,
s'alléger s'envoler
se faire oiseau ou feuille,
rouler sur les nuages,
accrocher un rayon
aux branches bleues des astres.
S'évader...
 
Mais le mur est bien haut,
et le vent est bien froid.
Mais le sol est si sombre,
et là-bas tout en bas : cette flaque de sang... 
c'est qu'on pourrait mourir...
Partir pourtant, partir,
tout élan le demande,
on sait qu'il le faudrait.
Mais le poids, le vertige
de la vie derrière nous
comment les oublier ?
 
Alors on reste un instant
sur le bord,
à fermer les yeux, à attendre
à rêver que l'on marche
bien au-delà de soi,
aux plages sans rivage
où les chemins s'effacent
et où les rêves battent,
comme des coeurs qui aiment,
la valse du bonheur.
 
Entre vouloir et être,
entre ciel et fenêtre,
entre force et tiédeur,
entre espoir et raison,
il est comme nous tous,
sur le bord,
immobile,    
ce chat qui rêve d'un envol.
 
Dire qu'on l'a peint sur une fenêtre murée !

Publié dans Fables

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Prélude

Publié le par Carole

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Quelqu'un avait sorti un piano sur le trottoir. Un de ces vieux pianos droits dont d'habitude on joue solitaire, dans une pièce close et un peu sombre, face à une tapisserie fanée. "Jouez !" disait une affichette posée sur le couvercle. 
 
C'était un accordéoniste tzigane qui m'avait guidée jusque là. Il jouait une valse en marchant, m'entraînant de son pas dansant, guidé lui-même par les notes du piano. Puis il a bifurqué dans une autre rue, et j'ai entendu nettement le pianiste.
Vêtu de sombre et voûté, il paraissait absorbé dans son jeu.
Il s'était lancé dans une sorte d'improvisation hachée. Il commençait un morceau. En commençait un autre. Un autre encore. Ils se ressemblaient tous un peu, sans jamais être tout à fait le même. Dans ce flux surgissaient parfois des bribes de mélodies si neuves qu'on en frissonnait d'émotion, avant que ne reprennent les premières mesures déjà connues d'un morceau précédent, pour une variation nouvelle.
Une phrase de Jankélévitch sur les Préludes de Chopin m'est revenue tout à coup en mémoire : "Prélude?  Prélude à quoi ? prélude à rien... 24 Préludes, préludes à rien, préludes, et voilà tout... "
En effet, il préludait, ce pianiste solitaire au milieu des passants.
Comme tout créateur il en était toujours au commencement.
A l'instant où tout est beau parce que tout démarre. Et où l'on sait déjà qu'il faudra tout recommencer. Parce que l'élan qui a voulu le commencement ne pourra jamais accepter la fin.
Une petite pluie fine commençait à tomber. Et c'était comme une autre mélodie qui serait née ailleurs, un peu plus haut, un peu plus loin, comme un autre prélude.
Un couple est passé, se tenant la main - des enfants presque tant ils étaient jeunes. Ils se sont arrêtés un peu pour écouter.
Puis l'accordéoniste tzigane est revenu, jouant une autre valse, tout près du pianiste qui l'a un instant accompagné.
Le magasin, derrière le piano, s'appelait  "A plein rêves". Sur l'enseigne il manquait un s - il manque toujours quelque chose à notre plénitude.
 
"Prélude ? Prélude à quoi ? prélude à rien... prélude, et voilà tout..."
 

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Avec dix secondes de retard

Publié le par Carole

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Give me back the world I remember,
One more ride on the merry-go-round, Neil Sidaka
 
Dès trois heures de l'après-midi on a vu la foule avancer dans les rues, vers le stade de la Beaujoire où il devait chanter le soir - des parents avec leurs enfants sur le dos et de grands sacs de victuailles, des retraités avec leur tabouret pliant et leur parapluie à carreaux, des gens de tous les âges, venus de partout.
A la sortie du parking du supermarché où je m'étais imprudemment garée, ils avançaient en longues rangées calmes. Comme je n'allais pas dans la bonne direction, on m'interpellait - "C'est par là... Faut aller voir Johnny, on vend des places à vingt euros..."
Sur la route, j'ai rencontré ces jeunes, avec leurs tatouages et leur longue écharpe "Johnny", qui attendaient en buvant des bières. Voyant que je m'arrêtais pour le photographier, le plus petit s'est avancé vers moi. J'ai eu peur pour mon appareil-photo... mais il a passé autour de mes épaules l'écharpe "Johnny", et il m'a embrassée sur les deux joues. Il était content. Tout était si léger, si facile.
Un vieux monsieur s'avançait avec son déambulateur, soutenu par sa fille, très grand, très blanc, et on s'écartait doucement devant lui. Il pleuvait, il faisait presque froid, mais Johnny allait mettre le feu, tout à l'heure, et ces gens qui avaient travaillé toute la semaine, ou toute la vie, ces gens qui avaient encore devant eux des heures d'attente avant le début du concert, ces gens qui étaient venus de loin, étaient heureux.
 
Maintenant, la nuit va tomber, et dans toute la ville on l'entend.
On dit que c'est sa dernière tournée. On l'a déjà dit plusieurs fois. On le dit maintenant à chaque fois.
Renvoyée par les amplis dans tous les jardins, toutes les cours d'immeubles, rentrant par toutes les fenêtres entrouvertes, la voix n'a pas vraiment vieilli, très bien timbrée encore, elle reprend inlassablement les tubes du passé. Cette chanson, par exemple, que mon voisin de Châtellerault mettait chaque soir sur son pick up en rentrant de l'usine, toujours la même - cette chanson que chaque soir, pendant un an, j'ai entendue, cette chanson que je ne pouvais plus supporter - je ne sais pas comment elle s'appelle, mais je l'entends très distinctement ce soir dans mon jardin dont le sol vibre.
Plus fort encore, ensuite, j'entends résonner l'immense clameur et les applaudissements des spectateurs.
 
Ce qu'ils applaudissent, si ardemment, dans la nuit qui tombe tout à fait maintenant, c'est peut-être, c'est forcément autre chose que cet homme déjà âgé et teint, en costume pailleté, qui hurle devant eux dans son micro, sous la lumière factice des stroboscopes, entouré d'un orchestre démesuré. Oui, c'est sûrement autre chose, voilà ce que je me dis, dans la nuit qui s'épaissit, tandis que reprend la voix lointaine. Qu'est-ce donc ? - peut-être leur jeunesse, ou celle de leurs parents, l'illusion d'un monde resté intact, celui des années soixante, des déesses, des quatre-ailes et des ami 6, du général de Gaulle, de tante Yvonne, des pop-stars, de l'ORTF et du train Interlude avec sa petite gare de La Solution où tous les problèmes trouvaient une fin paisible. L'angoisse un moment suspendue de ce qui passe et ne revient pas. Le désir simple de vivre heureux, d'être ensemble, de ne plus se quitter.
Dans la nuit tout à fait tombée maintenant, j'ai presque peur qu'elle cesse, cette voix qui m'assommait autrefois, qui m'exaspérait, il y a si longtemps, quand chaque soir je subissais le vieux pick-up de mon voisin.
 
C'est curieux, je viens seulement d'y penser : si le stade est à trois kilomètres de chez moi, comme je le crois, j'entends la voix de Johnny avec dix secondes de retard. Dix secondes, le temps que cette vibration met à courir en tremblant, du sol du stade au sol de mon jardin. Dix secondes où déjà s'est logée l'inexorable loi du temps.
 
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Il faut

Publié le par Carole

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                                                           Balcon - rue Crébillon - Nantes 
 
Pourquoi suis-je là, assise dans ce salon, face à ces gens qui m'observent de loin, près de cet hôte aussi déplaisant que courtois ? Il prétend aimer la musique. Il collectionne les enregistrements rares. Ah oui ? - Oui, je dis. Oui, bien sûr... Oh, tout à fait... Oui. Oui oui.
C'est un snob méloman. Il n'y a pas de pire espèce. Il faudrait trouver une porte. Là, dans le mur, derrière la grande tenture indienne, peut-être, une porte dérobée, une issue...
Mais voilà qu'après m'avoir longtemps jaugée du regard aigu de ses petits yeux, il me demande si j'aime Mozart. - Bien sûr, oui, tout à fait, j'aime Mozart.
- Mais quoi, de Mozart ?
Comme s'il était possible de ne pas aimer tout de Mozart, de l'aimer comme on aime un être aimé, pour chaque inflexion de sa voix, pour les plus simples phrases, et même pour ses erreurs, pour tout ce qui porte sa marque inimitable et adorable. Je réponds tout de même encore une fois. Car je sais que celui qui m'interroge, dans ce coin obscur du salon, ne mettra de terme à l'interrogatoire que lorsqu'il sera absolument certain de la place où il faut me mettre - dans cette ombre du coin, définitivement,  ou bien dans la lumière, là-bas, où les femmes décolletées et les hommes détendus qui m'observent sans en avoir l'air bavardent en tenant des coupes de mousseux. Je réfléchis un instant, et je réponds :
- Les Noces,  la sonate K332, et ... et... Idoménée...
Heureusement que j’ai dit les Noces au lieu de Figaro, que j'ai pensé à Idoménée que personne ne connaît, et que j’ai oublié le Requiem que pourtant je vénère mais "qui n'est pas entièrement de Mozart", comme il n'aurait pas manqué de me le faire remarquer... Et la sonate K332, sur laquelle j'ai jadis peiné au piano... je n'ai pas perdu mon temps alors, finalement, car elle a été, je l'ai bien senti, du meilleur effet...
   
- C'est ce qu'il faut aimer, en effet, approuve mon examinateur après un temps de réflexion, puis il va me chercher une coupe de Crémant, m'autorisant ainsi à m'avancer craintivement un peu plus près du cercle de lumière, là-bas, où évoluent, avec l'aisance gracieuse et dansante qui les caractérise, les étranges papillons à ailes d'or de cette soirée mondaine dans laquelle je me suis égarée.
 
Il faut, c'est à cela qu'on reconnaît les snobs. Il faut avoir un blouson Chevignon, il ne faut pas avoir un beau-père camionneur. Il faut avoir pour amis les S... , il ne faut pas parler des P.... Il faut aller au festival de la Chaise-Dieu, il ne faut pas aller au Musée Grévin. Il faut aller chercher son fromage chez Androuët, il ne faut pas manger de fraises Tagada. Il faut pêcher à la mouche, il ne faut pas pêcher à la ligne. Il faut aller à Saint-Jacques de Compostelle à pied, il ne faut pas aller à Lourdes en autocar. Il faut, il ne faut pas...
Les snobs sont des êtres si fragiles, si peu assurés d'eux-mêmes, ils ont besoin de lois innombrables, de règles impérieuses. Sans sa provision de il faut - il ne faut pas, un snob s'effondrerait. Il ne saurait plus du tout qui il est, lui qui ne fut jamais que son puéril effort pour être - non, pour en être.

Publié dans Fables

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