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Nourritures du dimanche

Publié le par Carole

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               Vitrine d'une boulangerie - 1er avril 2012 - Quartier Doulon à Nantes -
      "Le vivace et le bel aujourd'hui" (Mallarmé)
 
 
Le pain soleillant du jour, la musique angélique de Bach, et la fête endiablée des rues au carnaval de cet après-midi : toutes les nourritures, terrestres et célestes, étaient rassemblées dans cette vitrine du dimanche. Et le N à l'envers, dans son effort d'arc-boutant pour retenir une maison penchée comme une vieille église, mettait la dernière touche, involontaire et pourtant magistrale, à ce tableau naïf, chef-d'oeuvre boulanger d'art brut que n'aurait pas renié Gaston Chaissac, mon ami de Vendée.
C'était si bon et si joyeux que je me suis arrêtée pour admirer.
Et puis c'était si beau, c'était si simple aussi, que j'ai dit oui à tout.
 
Au rouge, au noir, au bleu du ciel et au jaune des blés, aux teintes diaprées de la vie,
à la chaleur de la mie, à la douceur du pain,
aux ciseaux de la boulangère, et à ses tendres coloriages, 
à la rosace de l'harmonie, à la spirale des voix humaines, à l'or des chants et des vitraux,
aux grands chariots fous allant sous le soleil, au roi du carnaval couvert de confettis,
aux multiples saveurs du bonheur que chaque coeur pétrit, 
                            j'ai consenti.
 
A tant de maladresse, à tant de savantes promesses,
à l'infini, au périssable, à l'humain, au divin, à l'idéal et au grotesque,
aux dons d'hier et de demain, et à toutes les grâces de ce bel aujourd'hui si vivace,
                            j'ai acquiescé.

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Hanami

Publié le par Carole

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Jardin japonais de l'île de Versailles - Nantes - 30 mars 2012
 
 
Rien n'est plus beau qu'une fleur de cerisier, promesse d'un fruit d'été, espoir d'un bonheur à venir.
Et rien n'est plus fragile.
Au Japon, Hanami est la fête des cerisiers en fleurs. On y célèbre le passage, la joie du renouveau, l'acceptation de la perte, l'amour de la beauté qui fane.
 
Ici les cerisiers viennent à peine de fleurir, de très pâles corolles tachent de rose et de blanc incertain le ciel trop bleu de cette fin de mars. Sur les chemins de pierre, nos pas, sans bruit, avancent vers la rive. Et les fleurs tremblent comme des pleurs, au bord de ces grands cils que forment, aux yeux multipliés des arbres, les rameaux minces et frêles du printemps retrouvé.
Mais voilà que déjà le vent emporte les pétales sur les reflets de l'eau. Dans l'air si pur de ce soir solitaire, les branches ploient sous le souffle bleui de tant de fleurs qui tombent et se noient dans leur ombre.

Voiles des clairs pétales qui passent et se rangent en cercle.
Paix de l'étang qui les tient dans sa main.
Et toi si loin de moi.

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Pause

Publié le par Carole

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Pause. il paraît que c'est un nom. Comme un autre.
Pause. Pourquoi pas ?
 
Pause. Assez du courrier quotidien, assez des injonctions, assez des sommations, assez.
Pause. Assez de vos journaux et de vos prospectus. Assez de ce qui passe et de ce qui jaunit.
Pause. Assez d'être d'ici. De n'être pas d'ailleurs. Assez de ne pas être.
Pause. Assez de tout, assez.
Pause. Pouce.
Que je prenne le temps de déjeuner en fête, de m'asseoir à ma table, de parler tête à tête avec ce moi que je délaisse.
Que le temps se suspende et que je me retrouve. Que l'entracte commence et que je me repose. Que la pièce finisse et que j'ôte le masque.
Que l'orchestre se taise, que la musique s'apaise, et que le métronome, dans mon coeur agité, cesse de battre la chamade. Assez des triples croches et même des soupirs. Que règne le silence.
Pause, pause et rien d'autre. Que tous les appareils sur ce bouton s'arrêtent. Interrompez le film, fermez l'ordinateur, faites taire les radios, éteignez les télés. Ces voix infatigables qui agitent le monde, qu'elles soient muettes enfin, et que je sois moi-même. 
Pause et un point c'est tout. Qu'on ne dérange pas celui qui, derrière cette porte, a décidé de ne plus ouvrir, de s'immobiliser, de se faire sentinelle en son petit jardin, de méditer, d'attendre, de rêver et de vivre.

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Un tour de promenade

Publié le par Carole

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J'ai découvert une maison nommée "La Promenade". En pleine ville, une maison étroite et sans terrain, qui pourtant nous invite, après avoir poussé la porte, à musarder un peu, à flâner avec elle, à faire tranquillement, à petits pas, dans son jardin secret, un tour de promenade. Et sur les ferronneries délicates, l'invitation semble se prolonger, sinuer comme les racines des arbres, fleurir comme un parterre, se dérouler comme un escargot sous la pluie.
 
A vous qui entrez ici, j'ai envie de dire moi aussi : venez en promeneurs. Derrière la porte toujours ouverte, vous ne trouverez pas de murs, pas de pièces aux murs clos. Vous ne rencontrerez que des chemins, de tout petits chemins, juste de quoi faire avec moi un tour de promenade. Des chemins qui ne vont nulle part et des chemins qui mènent où on n'aurait pas cru aller, des chemins de traverse et des chemins qui se détournent, des chemins creux pleins d'ombre, des bouts de route ensoleillés, des sentes mal frayées, des lacets de montagne au printemps, des sentiers glissants d'automne, et, surtout, des pistes inconnues qu'il vous faudra tracer tout seuls, quand je vous laisserai.
 
Et, puisque vous êtes encore là, sur le seuil, à écouter, que vous n'avez pas encore regagné la grand'route passante, j'aimerais vous dire autre chose encore : n'entrez jamais, jamais, dans un lieu où l'on ne vous laisserait pas faire librement, du pas qui est le vôtre, un tour de promenade.
Détournez-vous des existences closes, fuyez les murs et oubliez les certitudes, mâchoires de l'habitude, qui se ferment sur vous.
Ne suivez pas non plus les routes droites qui vont vite. Car on ne va de l'avant que lorsqu'on va sans savoir où, se retournant souvent, et se cherchant toujours, de parcours en détour, de chemin en sentier.
Et celui qui s'en va tout droit, entre les murs de la raison, celui qui s'en va vite, sur les voies que d'autres ont tracées pour lui, celui qui marche sans prendre le temps de s'égarer, de se perdre et de se retrouver, ferait-il le tour de la terre, jamais n'ira plus loin que son point de départ.

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Le pain quotidien

Publié le par Carole

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Il y avait là, autrefois, une boulangerie.
Seule l'enseigne est restée, avec ses lettres lentes comme le pas du laboureur, larges comme le geste du semeur, courbes comme la lame du faucheur, barbelées comme les épis, hérissées comme les chaumes, rondes comme les meules, bleues comme le ciel des moissons, légères comme le vent de juillet, et claires, et douces, et bonnes, comme le geste de tailler la miche, quand elle craque encore de chaleur au sortir du four.
Quand je suis passée là, un après-midi de mars, je me suis souvenue de cette formule si curieuse de l'ancestrale prière, de ce pléonasme qui n'avait jamais attiré mon attention jusqu'alors : "donne-nous aujourd'hui notre pain quotidien".
J'avais assisté, le matin même, à un enterrement. Dans l'assistance déchristianisée, de vieilles voix usées, auxquelles je ne m'étais pas jointe, avaient, seules, repris, dans le silence de l'église, les mots anciens que je retrouvais sur ce mur sombre, dans cette rue sans grâce : "donne-nous aujourd'hui notre pain de ce jour".
 
Nous avons trop vite oublié, peut-être, dans le culte effréné des jouissances à venir qui caractérise notre monde rapide, ce que nous enseigne cette naïve répétition, pendant des siècles murmurée dans la ferveur et dans la crainte.
Toute la peine et toute la joie séculaires des hommes. Le renouveau de chaque jour dans l'effort et le contentement, la souffrance de cultiver rachetée par l'humble récompense de la récolte. Le bonheur d'être ici, sur la terre, et de partager, un moment, un morceau du bon pain de la vie. Et, au fond de cette paix de la journée finie, dans ce tournant du temps qui s'ouvre chaque soir, cette incertitude aussi, l'ombre que le bonheur d'aujourd'hui fait peser sur demain. L'apaisement de savoir que l'on mange aujourd'hui, et le douloureux mélange d'espérance et d'angoisse contenu dans le mot demain, qu'on évite de prononcer - qu'on ne peut prononcer, ne sachant de quoi il sera fait, si bien que l'on répète simplement, doucement, modestement, les mains jointes et closes sur ce trésor fragile : "aujourd'hui", "quotidien".
Au-delà du message religieux, que je ne juge pas ici,  m'émeut la sagesse ancestrale de ce simple désir, chaque jour renouvelé, d'une mince et précaire part de bonheur - du pain quotidien d'aujourd'hui.

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Un visage

Publié le par Carole

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Ateliers du Carnaval - Nantes - mars 2012 
 
Dans ces grands ateliers du Carnaval, je me suis étonnée aussi de ces immenses visages en construction qu'on voyait partout.
On aurait cru des statues de l'ïle de Pâques en plastique, se hissant hors de leurs blocs mal dégrossis, poussées par des mécanismes compliqués de bois et de métal, encagées de grillages, scarifiées de crochets, tatouées de rudes peintures, et attendant, avec la patience des dieux, les dernières finitions humaines, dans ces coulisses étranges du grand théâtre du monde.
 
Ainsi, j'ai appris comment naissent les visages difformes des géants qu'on promène dans les rues.
 
Et peut-être les nôtres, hélas.
Car qu'est-ce qu'un visage ?
Cela se façonne d'abord grossièrement sur des patrons légués par des ancêtres inconnus. Cela se coule dans une pâte délicate et transparente. Et au début, c'est très joli, c'est même tout à fait charmant, porcelaine mignonne des premiers ans.
Puis tout cela s'étire, se met à grandir absurdement - nez, front, oreilles, menton, pommettes, saisis par on ne sait quels doigts furieux qui les sortent cruellement de l'enfance.
Et quand enfin prend forme le visage de l'adulte, l'insatisfait sculpteur, pris d'un de ces accès fous de virtuosité qui souvent poussent les plus grands des artistes à ruiner irrémédiablement leurs travaux, renvoie son oeuvre à l'atelier. Et voilà qu'il la remalaxe, qu'il la remodèle, sans répit, la ciselant de rides, la saupoudrant de taches, continuant à étirer la chair de bizarre façon, jusqu'à en faire cette masse avachie et tourmentée qu'on aperçoit, les derniers temps, dans les miroirs voilés de la vieillesse, si l'on persiste à vouloir s'y regarder.
Il y a bien moyen, dit-on, de lutter un peu, de repeindre la chose, de la ravaler, ou même d'y infitrer des mastics réparateurs : travaux de rénovation délicats et coûteux, emplâtres sur visage de bois, promis à peu de succès et ne retardant guère l'issue...
 
Mais peu importe au fond de savoir comment se fabrique et comment se détruit un visage.
Car la véritable question, celle qu'il nous faut absolument résoudre, c'est de savoir comment l'habiter, comment, de l'intérieur, le modeler aux contours de notre âme, comment le faire nôtre, en somme, ce masque que nous devons porter jusqu'au bout.
 
Et ce travail-là est beaucoup, beaucoup plus ardu et beaucoup plus mystérieux aussi que celui des carnavaliers.
Aussi ardu et mystérieux qu'une vie humaine.

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Un bouddha dans le jardin

Publié le par Carole

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Pour F., si par hasard elle lit ce texte, avec toute mon admiration pour la tranquille audace qui la caractérise 
 
 
En passant devant cette sombre statue de soldat chinois, réplique agrandie de l'une des figurines de la fameuse "armée d'argile" trouvée dans le tombeau d'un empereur, triste planton qui garde, non le royaume des morts, mais la grille inamicalement hérissée d'une maison de ma ville, je me suis souvenue d'une histoire charmante que m'a racontée l'une de mes amies. Une des plus adorables histoires que j'aie entendues depuis longtemps.
 
Mon amie venait de se fâcher avec son mari, quand elle avait eu l'idée, soudain, d'acheter un bouddha de pierre, pour le placer dans le jardin de leur petit pavillon. Elle se le représentait si bien... ce serait un bouddha de modestes proportions, à la mesure de l'étroit terrain, pas un bouddha de Bâmiyân, évidemment, mais tout de même un bouddha d'une certaine taille, un bouddha de pierre blonde, qui éclairerait la pelouse, et qu'on verrait très nettement depuis le salon, les jours tristes.   
Naturellement, ce désir brusque et mal expliqué de bouddha n'avait pas contribué, une fois exprimé à haute voix,  à pacifier la vie du couple. Et, comme il arrive souvent, contrarié, le désir de bouddha avait irrésistiblement grandi, était finalement devenu si impérieux, qu'après maintes paroles un peu aigres, maintes petites bouderies de part et d'autre, il n'y avait plus eu d'autre choix que d'obéir à ce mystique appel.
Ils s'étaient donc rendus ensemble à la jardinerie pour choisir la statue qui convenait le mieux, un très beau vikarta mudra, assis, une main levée, dans la position de l'enseignement.
On avait passé le bouddha à la caisse, payé le bouddha par carte bancaire, emballé le bouddha dans une bonne épaisseur de polystyrène, couché le bouddha bien à plat dans le coffre de la voiture.
Ensuite, avec beaucoup de peine, le mari de mon amie avait transporté en bougonnant ces trente-cinq kilos de sagesse jusqu'au fond du jardin, les avait calés, pour qu'ils ne s'effondrent pas, dans la petite fosse creusée exprès sur la pelouse, avait retiré la gangue de polystyrène, tassé la terre, et essuyé la transpiration qui lui couvrait le front.
Puis il s'était un peu reculé, et il avait regardé le bouddha, dont la douce pierre blonde se détachait lumineuse, comme une mandorle sur le mur de parpaings.
Il l'avait regardé un moment, un bon moment. Peu à peu il s'était mis à sourire, et même presque à rire, car le bouddha était très beau, et si paisible, si serein au milieu des narcisses et des crocus du premier printemps, qu'il se sentait tout à fait heureux. Alors il avait regardé mon amie, s'était souvenu qu'elle était belle et délicieuse et qu'il l'aimait depuis toujours, l'avait prise par la taille, et l'avait longuement embrassée, mettant ainsi fin, sous les yeux clos mais approbateurs de la statue, à la brouille qui les avait absurdement séparés.
 
Un bouddha dans le jardin, voilà de quoi être heureux en effet.
Trente-cinq kilos d'impermanence. Et l'infinie légèreté du nirvana.
Et toute la force de la bienveillance et de l'amour pour garder la maison.

Publié dans Fables

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Questions

Publié le par Carole

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 "La terre est bleue comme une orange" (Paul Eluard)
 
Aux Ateliers du Carnaval, je suis restée un moment à observer ces grandes figures encore inachevées. Entreposées côte à côte par hasard, elles avaient pourtant l'air, ainsi rapprochées, de raconter quelque chose comme une histoire. Mais quelle histoire ? Et peut-être après tout n'avaient-elles pas été entassées ainsi par hasard, peut-être étaient-elles au contraire, ensemble, actrices et figurantes d'une grande scène mythologique, d'un mystère qu'on montrerait bientôt dans les rues, sur un chariot solennel fendant lentement la foule. On dit justement que le thème retenu cette année est celui des "Contes et Légendes". Seulement voilà :  comment savoir ? A qui demander, puisqu'en ce dimanche après-midi les carnavaliers s'étaient absentés ?
Voyons, ai-je d'abord pensé, si quelque chose ici nous est dit - et, oui, oui, finalement, je le crois - on ne peut le comprendre qu'ainsi, en forme d'avertissement :
"Des géants fous, grotesques mais terribles, s'amusent avec notre petite planète en déroute, fragile et bleue comme une orange meurtrie par le néant. La chute est pour bientôt, la terreur a saisi les vivants. Et la mort en ricane déjà dans son coin sombre d'apocalypse."
Puis j'ai eu peur, j'ai douté. Et je me suis dit que non, qu'il n'était pas possible, dans cette atmosphère de fête, dans la bruyante et vulgaire insouciance du carnaval, de croire à tant de malheurs, que c'était assurément le contraire qu'il fallait lire :
"Un bon et solide gardien veille sur notre terre. Menacée, blessée déjà peut-être, il saura l'abriter dans sa large main, lui évitera la chute, l'aidera doucement à guérir. Ainsi gardés de tant de monstres que nous avons fait naître, nous poursuivrons, sur cette bulle légère et colorée, notre chemin dans l'univers. Tout au fond du tableau, dans son coin sombre, la mort à tête d'os n'est rien, que le masque dérisoire de nos craintes, qui déjà sort de scène."
Mais maintenant que je suis rentrée, que tout se brouille dans mon esprit, après cette traversée du grand désordre criard et moqueur des Ateliers, je ne sais plus, plus du tout quoi penser.

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Les idéogrammes du balcon

Publié le par Carole

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J'ai aimé cette fenêtre d'occident où s'affichait un message d'orient.
Ces traits jaillis d'un pinceau souple, entremêlés à la métallique calligraphie du balcon.
Ces fleurs vives des lettres écloses sur la soie, près de ces feuilles aiguës qu'un forgeron tressa au feu.
Ce gris tendre de l'encre, semblable au gris pâli du fer.
Ce fragile tissu, qu'effaceront les soleils de demain, derrière la vieille grille, venue d'un autre siècle.
Ce vertical appel à s'élever plus haut, à côté de la chute embrouillée de l'ombre.
 
J'ai aimé que quelqu'un de là-bas écrive pour ceux qui passent ici, avec ces mots qu'ils ne savent pas lire, ce mot unique et aussitôt compris : accord.

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Uniques

Publié le par Carole

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Nantes - papier collé sur un mur, rue de l'Ecluse 
 
Uniquement des enfants uniques, uniquement des humains uniques
 
 
J'ai connu une mère qui disait sans cesse : "mon fils...", allongeant l'adjectif possessif, comme d'une caresse, d'un sourire, peut-être même d'un léger reproche, adressés à l'enfant unique qu'elle aimait tant, et qu'elle semblait, dans ce mot, faire venir tout entier à elle, comme au jour lointain de sa naissance.
"Mon fils..." Elle le disait à tout propos, elle ne semblait pas pouvoir se lasser de parler de cet enfant. Elle n'en avait qu'un et il était le sien.
Mon fils - Et l'enfant ne se perdrait pas dans la forêt ombreuse qui menace, loin des mères, tous les enfants de ce monde incertain. Souriante elle veillait.
"Mon fils...", et elle le mettait de nouveau au monde, parlant de lui à tant d'inconnus qui auraient pu, ignorant tout de lui, lui dénier ce miracle qu'était son existence.
"Mon fils..."
 
Et, c'était extraordinaire, en une même journée son fils trouvait le moyen de se marier, de divorcer, de perdre un emploi, d'obtenir une promotion, de tomber malade, de s'inscrire à un club de judo, et, pourvu d'un don d'ubiquité véritablement unique en effet, de se rendre à Paris, à Lyon, à Singapour, à Nantes, à la crèche, chez le dentiste, en voyage d'affaires, ou à l'université.
J'ai fini par comprendre qu'elle avait sept enfants - sept garçons, dont deux qu'elle avait adoptés - tous siens, et, surtout, tous uniques.
 
Je n'ai que trois enfants, mais je lui ressemble beaucoup. Moi, bien d'autres, toutes peut-être... comme nous lui ressemblons...
Car il n'y a que des enfants uniques.

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