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Au passage

Publié le par Carole

passage pommeraye bois vermoulu
    Nantes - Passage Pommeraye en travaux
 
 
Vous savez qu'on restaure le Passage. On le nettoie, on le dépouille, on le désosse et on l'abrase. Il se tient devant nous, nu comme jamais il ne l'a été, rouillé et vermoulu, aussi décrépit et flétri qu'un vieux beau sur une table d'opération.
Bientôt il n'y paraîtra plus : peintures fraîches, replâtrages et dorures auront relancé le commerce et refardé ses rides de dandy aux miroirs. Dans l'escalier du fondeur Voruz, près des enfants de plâtre badigeonnés de frais, on pourra de nouveau faire rêver Lola, et photographier sous leurs voiles les belles mariées de Nantes. 
Il est comme ça, notre Passage, un peu facile un peu vénal, capricorne et caméléon, toujours à changer de visage à se remaquiller.
 
En attendant, c'est bouleversant d'avancer sur les poutres amincies et rongées, comme sur la corde usée du temps, parmi tant de lézards grisâtres qu'on n'avait jamais remarqués, aussi longs et pointus que ces aiguilles aiguës qu'on plante au coeur lourd et battant des horloges.

 

Publié dans Nantes

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Pêcheurs du soir

Publié le par Carole

canne-a-peche---nuages.jpg
 
    J'ai toujours soupçonné que ces pêcheurs qu'on voit, le soir, immobiles et patients, sur la rive des vieux étangs, ne viennent pas vraiment capturer les poissons que le couchant appâte. 
 
    Mais qu'ils viennent pêcher
 
    les nuages qui rôdent 
    dans leurs bancs de silence
 
    le ventre bleu du ciel
    grandi comme un têtard
    dans l'étang qui infuse
 
    la nageoire roussie
    du crépuscule glissant 
    sur le dos gris des vagues
 
    le saut de carpe vive
    du soleil qui retombe
    dans le filet des nuits
 
    et cette ombre du temps mordillant l'hameçon
    comme un frisson d'oiseau sur la peau de l'eau grise.

 

Publié dans Fables

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Le chat dans l'arbre

Publié le par Carole

    Ce chien, ce chien... Il l'avait réveillée bien avant l'aube, ce matin. Et il continuait... il continuait... C'était exaspérant. Elle ouvrit les volets, se pencha un instant à la fenêtre... Qu'est-ce qu'il avait donc, ce chien ? Pourquoi les gens avaient-ils des chiens ? Etait-ce vraiment pour exaspérer leurs voisins ?  Et brusquement elle entendit : derrière l'appel du chien, il y avait un autre appel... un miaulement de terreur... Et un autre appel encore, celui d'une vieille voix, une voix de femme, qui répétait doucement : "Eléonore, descends !  descends, Eléonore..."[...]
 
Suite du récit à lire sur mon blog de nouvelles cheminderonde.wordpress.com

Publié dans Récits et nouvelles

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Un monde si pâle

Publié le par Carole

libellule-bleue.jpg
 
On dit que les papillons et les libellules perdent peu à peu leurs couleurs, dans nos contrées qui se réchauffent. (link)
En regardant cette petite libellule qui s'était revêtue de bleu comme on se vêtirait d'éden, de ciel pur et d'eau fraîche, j'ai essayé d'imaginer les prés pâlis de l'avenir, recouverts de poussière et de cendres, peuplés d'ailes blanchâtres et d'insectes invisibles.
Il nous avait peint le monde en couleurs, le vieux peintre, et nous, nous l'avons laissé s'éteindre et s'effacer, comme une toile méprisée qu'on aurait oubliée trop longtemps derrière la vitre.
Peut-être qu'en effet nous avons depuis longtemps cessé de regarder le monde autrement que derrière la vitrine de nos boutiques et de nos écrans. Peut-être que nous l'avons oublié, derrière son verre trop sale, le chef-d'oeuvre sans âge, comme un objet de peu de prix dans un magasin démodé promis à la liquidation. 
 

Publié dans Fables

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Les chaises

Publié le par Carole

chaises-1.jpg
 
Sur l'île Beaulieu j'ai rencontré deux chaises qui paraissaient bien tourmentées. 
— Hélas, se plaignait l'une, qu'il est donc difficile de trouver sa place en ce monde. On veut aller de l'avant, on s'élance, et on peine à ne pas s'écrouler...
— D'autant que chacun s'ingénie à vous savonner la planche... Vous avez manqué de prudence, soupirait l'autre, pourquoi vous précipiter ? vous ne pouviez que chuter... Mais vous avez raison, qu'il est donc difficile de trouver sa place en ce monde ! On voudrait rester en arrière, et voilà qu'on se retrouve étouffé et coincé, effondré sous son propre poids.
— Il y aurait bien le juste milieu, l'entre-deux ?
— Ah, ma chère, mais on n'y tiendrait pas... s'asseoir entre deux chaises, c'est toujours si fâcheux. Il faut choisir son camp, pencher d'un côté ou de l'autre... mais qu'il est donc difficile de trouver en ce monde à se placer comme il faut... !
— Et qu'il est donc difficile de la garder, cette place, une fois qu'on l'a enfin trouvée... avec toutes ces agitées, vous savez bien, ces chaises musicales qui vous bousculent au passage... on ne sait plus sur quel pied danser... il faut craindre sans cesse le retour du bâton... 
— Qu'il est donc difficile de s'asseoir à son aise...
Et elles ont ainsi continué à se plaindre. C'est qu'elles étaient, ces chaises, du bois dont on fait les humains.

 

Publié dans Fables

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Les heures

Publié le par Carole

  Je m'étais un peu égaré... Le lieu était si inhospitalier, vertigineux, confus... sentiers tournoyants et rivages en méandres, marécages exhalant leurs brouillards... Et personne pour vous indiquer le chemin, rien que des ombres s'esquivant, de vagues silhouettes qui paraissaient ne rien entendre... Pas un panneau, pas un hameau, pas une guérite, pas une sentinelle...
    J'ai tout de même fini par tomber sur un bâtiment presque en ruines qui émergeait des brumes entassées. Une porte vitrée indiquait : " Bureau des entrées"...
    J'ai poussé la porte [...]
 
 
Suite du récit à lire sur mon blog de récits et nouvelles cheminderonde.wordpress.com
 
 

Publié dans Récits et nouvelles

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La coccinelle

Publié le par Carole

coccinelle-supermarche.jpg
 
J'attendais à la caisse de l'hypermarché. Patience et longueur de file... j'avais enfin disposé mes articles sur le tapis roulant, attendant l'encaissement, quand j'ai aperçu une petite coccinelle égarée dans mes légumes qui cherchait le soleil. Coccinelle, aie confiance, nous sortirons d'ici, je te ramènerai vers le printemps.
Devant moi il y avait deux femmes, de celles qu'on appelle "du voyage" – pour exprimer sans doute cette étrange méfiance qui sépare des vieux peuples errants les frileux sédentaires que nous sommes devenus. Elles réglaient leurs achats. 
—Tiens, a dit l'une en tendant un petit sac de parfumerie à la caissière, la dame d'avant a oublié son paquet.
Et la caissière aussitôt de remercier, de mettre de côté le petit sac parfumé, de prévenir la caisse centrale.
Voilà. Rien que de très banal. Rien que de très aimable. Rien que de très serviable.
J'ai "passé" mes articles. La caissière a bien pris soin de ne pas effaroucher ma coccinelle qui, ayant descendu sans encombre le tapis roulant, s'était perchée, pleine d'espoir, sur un pot de miel blond. Bientôt, je la libèrerais dans le soleil du soir. Coccinelle, douce bête à bon Dieu, prends patience, aie confiance...
J'étais en train de payer quand la "dame d'avant" est revenue, affolée, un peu essoufflée.
—Vous venez pour le paquet ? a demandé la caissière, il est à la caisse centrale...
—Ah ! ouf !.. j'avais tellement peur... vous comprenez, avec ces gens qu'il y avait derrière moi...!
Elle était si émue, la dame aux parfums, d'avoir échappé aux méfaits de ces gens, qu'elle oubliait de remercier...
En courant vers la caisse centrale, elle a heurté mon chariot. La coccinelle a pris peur. C'était fini. Elle s'était envolée d'un coup d'aile, la confiance, la douceur du printemps, dans les allées sans vie de mon hypermarché. Je ne la mènerais plus vers les jardins du jour, la douce bête du bon Dieu, elle mourrait assoiffée, piétinée, oubliée.
Il y a des gens comme ça. 

 

Publié dans Fables

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Scotch encore

Publié le par Carole

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Ils sont là de nouveau, les bonshommes "scotch", ces épouvantails de carton ficelés d'adhésifs qui viennent aux beaux jours rhabiller bornes, poubelles ou boîtes aux lettres, prêtant aux objets les plus ternes leurs grandes silhouettes dégingandées, pour nous inviter à jeter dans la ronde des métamorphoses et des rêves enfantins nos regards qui s'éteignent, mouchés par l'habitude.
Celui-ci avait des mains brunes et ridées de paysan, accrochées à la pierre. Des mains nues sous la pluie, crevées d'ampoules et de plis. De larges mains de bûcheron, des mains de forgeron. Des mains de mousse et de carton, pianotant leur grand air sur les tambours du monde. Des mains de trois fois rien, qui faisaient illusion. Des mains de géant vacillant, qui se tenaient aux murs. Des mains de conquérant, des mains de mendiant. Des mains pour se serrer, des mains pour caresser. Des mains comme des troncs, pour franchir les ravins. Des mains de pauvre gars, à prendre par la main. Des mains pour les fardeaux, à ouvrir patiemment. Des mains pour les prières, à déplier dans l'ombre. Des mains comme des poings, des mains comme des coups. Des mains de bandelettes à tomber en poussière, des mains de sciure blonde à disperser au vent. Des mains aux lignes entremêlées qu'on ne savait plus lire, brouillées comme des cartes qu'on aurait trop battues. 
Des mains vraiment humaines.
 
Scotch en 2012, c'est ici : http://carole.chollet.over-blog.com/article-scotch-106684512.html

 

 

 

 

Publié dans Nantes

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Un oiseau dans la ville

Publié le par Carole

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... un peu plus loin, dans le jardin du Lait de Mai, j'ai rencontré un oiseau squatter, un oiseau sans papiers, un oiseau apatride, un oiseau dans la ville.
Quelqu'un l'avait posé sur son manchon de fleurs comme un printemps sur sa branche. Léger et sautillant, il s'envolait déjà. J'ai cru l'entendre siffloter dans le gris un petit air de joie qu'on n'entend plus chez nous.
Tant qu'il y aura des fous pour ouvrir dans nos rues leurs mains pleines d'oiseaux, et d'autres fous pour leur tendre en passant la brindille d'enfance, elle pépiera, l'espérance follette, sa chanson obstinée.
Mais... si on allait me l'effacer, mon oiseau dans la ville, si on allait le trouver un peu sale ? Si on allait la jeter à la benne, la branche clandestine de son printemps trop rose ?
 

 

Publié dans Nantes

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Pas de photos !

Publié le par Carole

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Je passais dans la rue tout à fait par hasard. On était justement en train de jeter dans des bennes les derniers vestiges du "squat" de sans-papiers qui s'était tenu longtemps dans l'immeuble aux fenêtres murées. 
Des hommes s'activaient, se dépêchant de tout verser dans les bennes énormes. L'un d'eux m'a crié d'une voix forte, qu'il aurait voulue menaçante, mais qui n'était qu'angoissée : "Pas de photos, madame !"
Pas de photos ? C'est justement quand on vous crie cela qu'il faut en prendre, non ?
Pas de photos ? Il y a dans nos villes des étrangers misérables et venus de loin qui n'ont pas de visages. Ils dorment dans les rues, ils trouvent parfois refuge dans des immeubles sans chauffage aux fenêtres murées. On les expulse, on les rejette au trottoir. Puis on déverse dans des bennes, le plus rapidement possible, les nattes et les cartons, les planches et les sacs de plastique, tous les modestes objets qui faisaient leur logis. Et on nous crie : "Pas de photos !"
Je n'ai pas d'opinion précise à ce sujet, je n'ai pas de solution simple à ces problèmes. J'ai juste une certitude : celui qui passe par hasard, muni d'un appareil-photo, et qui voit cela se faire, celui-là n'a pas le choix : il doit prendre des photos. Pas le choix. C'est tout.
 

Publié dans Nantes

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