La coccinelle
J'attendais à la caisse de l'hypermarché. Patience et longueur de file... j'avais enfin disposé mes articles sur le tapis roulant, attendant l'encaissement, quand j'ai aperçu une petite coccinelle égarée dans mes légumes qui cherchait le soleil. Coccinelle, aie confiance, nous sortirons d'ici, je te ramènerai vers le printemps.
Devant moi il y avait deux femmes, de celles qu'on appelle "du voyage" – pour exprimer sans doute cette étrange méfiance qui sépare des vieux peuples errants les frileux sédentaires que nous sommes devenus. Elles réglaient leurs achats.
—Tiens, a dit l'une en tendant un petit sac de parfumerie à la caissière, la dame d'avant a oublié son paquet.
Et la caissière aussitôt de remercier, de mettre de côté le petit sac parfumé, de prévenir la caisse centrale.
Voilà. Rien que de très banal. Rien que de très aimable. Rien que de très serviable.
J'ai "passé" mes articles. La caissière a bien pris soin de ne pas effaroucher ma coccinelle qui, ayant descendu sans encombre le tapis roulant, s'était perchée, pleine d'espoir, sur un pot de miel blond. Bientôt, je la libèrerais dans le soleil du soir. Coccinelle, douce bête à bon Dieu, prends patience, aie confiance...
J'étais en train de payer quand la "dame d'avant" est revenue, affolée, un peu essoufflée.
—Vous venez pour le paquet ? a demandé la caissière, il est à la caisse centrale...
—Ah ! ouf !.. j'avais tellement peur... vous comprenez, avec ces gens qu'il y avait derrière moi...!
Elle était si émue, la dame aux parfums, d'avoir échappé aux méfaits de ces gens, qu'elle oubliait de remercier...
En courant vers la caisse centrale, elle a heurté mon chariot. La coccinelle a pris peur. C'était fini. Elle s'était envolée d'un coup d'aile, la confiance, la douceur du printemps, dans les allées sans vie de mon hypermarché. Je ne la mènerais plus vers les jardins du jour, la douce bête du bon Dieu, elle mourrait assoiffée, piétinée, oubliée.
Il y a des gens comme ça.