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L'Empire du jeu

Publié le par Carole

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La foire est revenue cours Saint-Pierre, et avec elle l'Empire du jeu, petit Las Vegas en camion qui ce soir ouvrira ses portes de tôle à ceux qui croient pouvoir se fier aux hasards bien calculés du 261 et des machines à sous.
Mais toi, petit enfant, souverain secret du véritable empire du jeu, ce n'est pas là qu'est ton royaume. Tu cours tout près de nous très loin, sur des routes inconnues qui commencent dans l'ombre et finissent  en songe. Nul ne le sait, mais devant toi la ville se transforme. Il y fait bleu, il y fait blanc, il y fait rouge, il y fait clair, et si sombre pourtant, comme au fond de tes rêves. Tu cours sur des chemins qui s'en vont vers toi-même, en avant de toi-même. Des forêts de ténèbres s'égarent aux cailloux que tu sèmes. Des monstres te saluent, se courbant jusqu'à toi, pliant leurs longues jambes comme des branches pâles que tu froisses en passant. Des soleils et des mers se suspendent au ciel, pour tendre à tes côtés la toile des décors dont tu écris la pièce. Et des chiffres magiques te disent les secrets qui ne calculent pas.
Tu es le maître du monde qui ne vit que pour toi. Tu cours de toute la force de tes petites jambes. Pourtant, de ton empire tu ne feras jamais le tour. Car ton pays est vaste comme l'enfance, lointain comme l'espoir, profond comme le jeu, précaire et hasardeux comme la vie.

Publié dans Nantes

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L'incendie

Publié le par Carole

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 Carnaval de Nantes - 1er avril 2012 
 
 
Le carnaval venait de commencer, et les chars s'apprêtaient à partir, quand l'incendie s'est déclaré soudain. C'était tout près, du côté de la rue Crébillon, ou de la place Royale. Un vent rageur, sans doute envoyé par Neptune en personne, rabattait sur la foule de grands nuages âcres et sombres.
J'ai aperçu la fumée alors que je longeais le char d'Ulysse, certainement le plus beau de tous, et le plus impressionnant, avec son armée d'hoplites casqués d'or. Une immense queue de sirène terminait le cortège, battant l'air lourd et agité comme la houle. Mordant le ciel, elle avait l'air d'appeler sur la ville la tempête et la mort. Les hoplites armés de carton l'entouraient de leurs lances hérissées, tandis qu'Ulysse la défiait bravement sur son navire arrêté.
C'était étrange, au milieu de la fête un instant suspendue, de voir l'angoisse, l'incendie, le chaos et  les monstres venir du fond des âges nous rappeler que toute insouciance se conquiert sur la menace, que la joie est précaire, et qu'elle n'en est que plus précieuse.
Il y a eu un moment d'hésitation. Puis le Roi a donné, de son sceptre de plastique doré, l'ordre de continuer. Ulysse et ses amis se sont lentement mis en route, et, tous, sagement, suivant la vieille loi de Carnaval, ont détourné les yeux de cette fumée noire qui piquait nos narines, pour avancer résolument vers la part de bonheur qui leur était promise, en ce jour de soleil, de musique, de folie et de danse.
 
 
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Une clef

Publié le par Carole

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Cette clef tout là-haut, si clinquante, éclatante, quelle porte immense au ciel pourrait-elle nous ouvrir ?
Est-ce la clef des songes, dessinée au clair de la lune par quelques jeunes gens qui avaient pris la clef des champs ?  Est-ce la clef du paradis, la blanche clef des coeurs naïfs, négligemment jetée sur les toits de la ville ?  Est-ce la clef de voûte du château en Espagne où l'on aimerait vivre et dont on a depuis longtemps laissé rouiller la clef de fer sous la porte écroulée ? Ou bien est-ce la clef de la portée céleste dont l'armature de nuages et d'étoiles règle tout notre effort vers l'harmonie ?
 
Cela pourrait bien n'être que la clef-fée toute sanglante de Barbe-bleue, ou même une simple clef de pendule, ou encore une clef anglaise très ordinaire, une clef plate toute bête, ou - pourquoi pas ? - une de ces modernes clefs USB, qui ne font plus rêver.
 
De toute façon, chacun peut voir que cette clef du royaume des toits n'est en réalité qu'un tag, anonyme et laid peut-être, encerclé par la ville et bientôt effacé. Une fresque clandestine et rebelle qui n'implorera pas la clémence.
 
Qui sait pourtant si ce n'est pas la clef de tout ?
Cet effort clairvoyant pour poser très haut une énigme dont la clef échappera toujours, au risque de se rompre le cou,
ce désir de poser sur les murs quelque chose de soi, qui claque, éclate et brille de couleurs, quand tout est gris et qu'on marche inconnu dans les rues, 
cette passion des mots à écrire de nouveau et à recolorier, à recercler de frais, dans un monde très vieux,
cet élan vers le ciel, qui s'arrête aux gouttières, et qui voudrait aller plus loin,
qui sait si ce n'est pas, tout simplement, la clef de toutes les oeuvres humaines, des grandes oeuvres, et des petites aussi ?
Le mot-clef, en somme, ou, pour le dire autrement, puisqu'il est de toutes les langues comme il est de tous les coeurs humains, la clef universelle, the key.

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Hanami île de Versailles

Publié le par Carole

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Quelques pas japonais
 
L'île de Versailles dort en rond dans la dernière courbe de l'Erdre.
Franchissez la passerelle tremblante, vous entrez dans son rêve.
Des pas de pierre dans des jardins de rochers, des bosquets de bambous et des temples de bois aux portes coulissantes, des érables aux feuillages étagés, découpés comme des chemins de montagne,  des néfliers du Japon, et des pins sylvestres taillés en nuages.
Au printemps une pluie de pétales. A l'automne des feuillages qui flambent.
Le Japon de Loti et de Hearn, factice et raffiné.
Le rêve au loin d'une île à l'ancre, d'une rivière entravée, d'une ville-navire retenue à l'amarre.

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Confiance

Publié le par Carole

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On imagine un ancien café, un bistrot de quartier où se réunissaient de vieux amis, pour jouer à la belote en buvant du pastis, et puis parler presque sans mots.
 
Ou alors le petit bureau sombre d'un infime courtier d'assurances, l'écroulement des dossiers fatigués et des toiles d'araignées, autour d'un vieux bavard prêt à tout arranger.
 
Ou bien encore une boutique pour dames, où on aurait vendu du fil et des boutons, en bourdonnant dans l'ombre de pâles médisances, de lourds secrets d'alcôve, d'étroits soucis brodés et rebrodés, sur des canevas fleuris et des chemises à smocks, par d'humbles Pénélopes.
 
Mais qu'importe d'où elle nous vient, cette confiance, puisqu'elle nous vient de très loin, de bien plus loin que ces boutiques oubliées. L'essentiel est qu'elle rayonne encore dans la rue, soleil des bons matins.
 
On l'a repeinte et carrelée de frais, même on a soigneusement rebouché ses lézardes, et on les a décorées de faïence, pour qu'elle luise plus vive et se dresse plus ferme. On a frotté bien fort les étoiles de ses lettres, afin qu'elles brillent clair au grand ciel de nos vies.
Et la voilà, là-haut, qui proclame la foi, d'une belle avancée naïve, ronde et droite à la fois.
 
Confiance, tu ordonnes le monde, 
Tu es de toutes les promesses et de tous les espoirs.
On ne bâtit rien que sur toi.
Tu es le grain de sable dont on cimente les murailles et les ponts,
la mousse douce dont on tresse le nid aux branches de demain.
 
Mais c'est en toi aussi que s'enracinent toute douleur et toute erreur.
Tu fais saigner les coeurs que tu trahis.
Et toi, méfiance, tu rampes alors sur les murs qui s'effritent,
Et toi, défiance, tu craches ton venin sur ce qui disait oui.
 
Sur ce mur tendre et jaune comme du beurre, confiance, reste ainsi, je t'en prie, toute claire toute bonne,
comme au premier instant d'Eden, comme au premier mot échangé, comme à la première main serrée.
Confiance, je t'aime et veux toujours t'aimer.

Publié dans Nantes

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Un pont de drapeaux

Publié le par Carole

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 Nantes - pont de la rue de Feltre au-dessus de la rue de l'Arche Sèche
 
"And the walls came tumbling down" (Gospel)
 
 
Un peu partout, ici, dans les rues du centre, des Sénégalais vendent, sur des étals de plein air, de modestes objets de cuir, de métal, ou de tissu - des porte-monnaies, des sacs à main, des ceintures, des bijoux, des vêtements colorés. La pacotille, en somme, que l'on troquait jadis pour de la chair humaine, maintenant venue d'Afrique et proposée à vil prix, par un de ces étranges va-et-vient de l'histoire, dans les rues de cette même ville qui la fabriquait à profusion pour ses armateurs.
Or ces Sénégalais vendent aussi, depuis peu, des drapeaux, longues bannières de tous les pays, qui pendent en lés colorés et flottants aux hampes de métal de leurs petits chapiteaux. Je ne sais pas à quoi peuvent servir de tels drapeaux - peut-être les agite-t-on lors des matchs de football, ou bien peut-être des immigrés, qui se souviennent surtout d'être des émigrés, les accrochent-ils, en souvenir du pays, dans le séjour de leur petit appartement HLM, dans un coin resté libre de leur étroit meublé, au mur indifférent d'une chambre d'hôtel.
Quoi qu'il en soit, c'est très beau, ces drapeaux, dans la grisaille ambiante, beau comme le linge claquant de toutes les couleurs du monde sur les hauts fils qu'on tend, l'été, dans les jardins ensoleillés.
J'aime tout particulièrement, surtout l'après-midi, quand le soleil donne, cet étal du pont de la rue de Feltre, posé, comme le wagon oublié d'un jeu d'enfant, au-dessus de la triste rue de l'Arche Sèche où se trouvaient jadis les fossés de la ville, au pied des murailles.
Souvent, en franchissant le second pont, en face, - ce pont Sauvetout au nom plein d'espérance -, on tourne un peu la tête, on regarde les pans soyeux qui flottent, mêlant leurs couleurs et leurs lignes en des plis fraternels, et on a l'impression de voir remuer, dans le vent de demain, oublieux des orgueils, dédaigneux des frontières, un grand mur de tissu dont les portes légères s'ouvrent et battent sans cesse. Parfois même on croit voir là un autre pont - un pont joyeux de tuniques bigarrées allant dans la lumière - le grand pont, jeté par-dessus les fossés sur les ruines oubliées des vieux remparts, de la joie et de l'harmonie des hommes.
 
Bien sûr, l'illusion ne dure que quelques instants, juste le temps d'atteindre l'autre bord, celui où le soleil n'entre pas, où l'ombre éployée sous la Tour, la Babel d'ici, est le seul étendard.

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Quatre notes

Publié le par Carole

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Rue de Feltre à Nantes - 8 mars 2012 
 
 
En remontant cet après-midi la rue de Feltre, j'avais le coeur léger. J'ai vu ces quatre notes ailées.
 
Vertes comme le mois de mars que célébraient les vitrines, ondulant sous le vent comme des voiles au loin, quatre doubles croches avaient posé soudain, dans le vacarme de la ville, la légère harmonie de leur rythme rapide, quatre petits drapeaux avaient planté, dans le fracas d'une rue commerçante, leur fragile désir de beauté.
 
Quatre coups de timbales au sacre du printemps.
Quatre coups de baguettes sur le tambour d'un dieu.
Quatre brins de fougères dans la forêt qui grandit.
Quatre graines germées dans le champ de l'espoir.
Quatre petites caravelles avançant de conserve en quête d'un nouveau monde.
Quatre notes échappées des grilles de la portée, qui avaient décidé d'aller dans l'autre sens.
 
On nettoiera bientôt ces graffitis, ou bien la pluie les lavera, le soleil les éteindra : c'est dans l'ordre et beaucoup s'en réjouiront.
 
Pourtant, il est bon de sentir qu'il suffit de si peu...
Qu'un enfant malicieux, qu'un étudiant rieur, chef à l'orchestre fantaisie, s'amuse à dessiner, avec un pochoir de carton, sur un mur terne, quelques notes colorées,
et aussitôt quelque chose en nous se met à chanter.

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Les lavandières -

Publié le par Carole

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Port des roquios sur l'Erdre, dans le bassin où s'interrompt le cours dévié et canalisé de la rivière - février 2012
 
En ce temps-là, l'Erdre était encore toute bruissante de laveuses.
Les chemises claquaient au vent et les draps dormaient sur le pré, ventres luisants sous le soleil.
C'était le temps des lavandières, qui blanchissaient le monde, chantant et bavardant avec les reflets argentés du courant.
La nuit elles revenaient, silencieuses et ombreuses, changeaient les draps blancs en linceuls, et les eaux vives en marais oublieux.
Des cadavres passaient en rêvant, couchés au lit des vagues, sous la lune traîtresse qui fait brunir le linge.
De petits roquios cinglant à toute vapeur les bousculaient un peu, mêlant leur ombre jaune aux blêmissures de l'eau.
C'était ainsi.

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Janvier Février

Publié le par Carole

janvier février version du 19-12
 
    Je te connais depuis longtemps. Ton nom est inscrit sur les murs du parloir au lycée Clemenceau. Sur les parois peintes à fresque ornées de longues frises, on peut le lire, soigneusement inscrit en lourdes lettres noires sur fond d'ocre, bien à sa place dans l'ordre alphabétique, entre FAUCHEREAU Gaston et FITAU Pierre - comme jadis lorsqu'on faisait l'appel - sur les listes si longues des élèves morts pour la France.
    Je t'ai distraitement salué au cours de ternes réunions, quand l'ennui me faisait lever la tête vers toi, dont le nom se remarque tant au milieu de tous les autres. Je t'ai parfois croisé, fantôme errant sans foi, dans les couloirs de cloître du lycée, flâneur navré sous les belles paroles de marbre de notre Tigre : "Retroussez résolument vos manches et faites votre destinée."
    Parmi tant d'enfants gais qui croyaient au printemps, je t'ai vu tristement frissonner, FÉVRIER Janvier, toi qui n'as connu de la vie que l'hiver.
    Raidi dès le baptême d'un nom qui faisait rire tes camarades, tu appris tout d'abord la solitude - étais-tu un enfant abandonné ? Je t'ai imaginé, laissé dans une salle d'hôpital une nuit de 31 janvier, et baptisé Janvier Février vers minuit par un médecin un peu pris de boisson... - J'ai su plus tard qu'en fait, tu étais né à Josselin, dans le Morbihan - Pierre, François, Janvier FÉVRIER - c'était un 4 décembre.
    A vingt ans, on t'envoya bien loin de ta Bretagne, au Nord, dans la boue glacée de la Somme, là, on te fit sergent, puis un obus se chargea de retrousser à jamais tes manches trempées de sang. Ta destinée repose aujourd'hui, squelette frêle et diaphane de tes résolutions, dans un de ces cimetières à croix de bois blanches que le givre repeint chaque hiver.
 
    Janvier Février, enfant de décembre et mort de la Somme, tu n'as connu de ce monde que le froid.
 

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Tous ceux qui pleurent

Publié le par Carole

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Voici les corps usés, voici les coeurs fendus,       
Voici les coeurs lamentables des veuves
En qui les larmes pleuvent,
Continûment, depuis des ans.
 
- O ces foules, ces foules,
Et la misère, et la détresse qui les foulent !
Emile Verhaeren, "les cathédrales"
 
    Au bas du merveilleux tombeau que Michel Colombe a sculpté pour les ducs de Bretagne, sous les gisants princiers aux beaux visages lisses, veillés par les anges et les vertus cardinales, veille la frise hideuse de pleureuses, naines, noires, anonymes, encapuchonnées dans leur douleur affreuse. Elles ont des visages d'os à demi-mangés sous la mante sombre, des visages têtes de mort, des visages de rien. Ce sont, je crois, les endeuillées, les douloureuses, les sans espoir, celles de tout en bas, qui n'ont pour porter leur mal et marcher devant elles ni lion ni lévrier, ni prudence ni tempérance. Les misérables qui n'ont, comme on dit, comme on a toujours dit, que leurs yeux pour pleurer.
    Vieux et près de mourir lui-même, le sculpteur a voulu qu'elles soient là, humbles et petites et soutenant pourtant de leurs silhouettes minuscules et rongées le grand charroi des princes. Comment les aurait-il oublié, lui qui avait un coeur de pitié, celles qui dorment au coin des portes, celles qui veillent au creux des porches, aux niches des rues grises, les femmes noires, effacées, renfoncées comme misère et tristesse ? Il a sculpté chacune d'elles aussi patiemment qu'il a sculpté le duc et la duchesse, les anges et les vertus, et il les a soigneusement, affectueusement recouvertes de chapelets de nacre et de mantes sombres, pour qu'elles n'avancent pas sans couvert sur leur rude chemin, pour qu'il leur reste un bout d'étoffe où habiller leurs os, où essuyer leurs larmes. 
    Je vous ai dit les pleureuses ? Mais ce sont peut-être des pleureurs, après tout. 
    Qui peut savoir ? il y a si longtemps qu'ils n'ont plus de visage, tous ceux qui pleurent.

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