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fables

La queue pour le loto

Publié le par Carole

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J'ai pris la photo en passant, le soleil dans les yeux, sans même pouvoir viser. Bien sûr, elle est ratée, et pourtant tout y est : les voitures hâtivement garées sur le trottoir, les costumes un peu fripés du vendredi soir, les silhouettes patientes cernées de hauts murs sombres, la poubelle, et le grand ciel brûlé d'un soir de juin brûlant. La queue pour le loto.
C'est qu'on était vendredi 13, et qu'il y avait un gros tirage à espérer. C'est qu'il était presque sept heures, et qu'il fallait se hâter de jouer. Tenter de battre ou de rebattre les cartes du destin mal distribuées par des croupiers obtus. Se dépêcher d'aller changer pour les bons numéros la monnaie sans valeur d'une vie de numéro. 
Loto. Un impôt sur l'espoir. Le seul dont on s'acquitte sans sommations. 
Faire payer les rêveurs, les rameurs, les chômeurs pour le lendemain qui déchantera, au grand soir du tirage : il suffisait d'y penser.
On se presse à la porte des châteaux en Espagne. Qu'importe si le ticket n'est valable que jusqu'à ce rempart où on lit sans comprendre : "Laissez toute espérance".
 
J'ai bien l'impression que, d'année de crise en budget d'austérité, elles sont de plus en plus longues, ces queues pour le loto.
Comme la fin des mois.
 

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Les colombes

Publié le par Carole

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C'était grand branle-bas au Jardin : quelqu'un avait jeté aux oiseaux tout un sachet de croûtons et de miettes, avant de s'en aller comme un dieu, indifférent au résultat de l'expérience.
On se pressait, on se battait, on se poussait, on jouait de la plume et du bec, pour attraper sa part et bien plus que sa part.
Et les blanches colombes n'étaient pas les moins âpres.
Et les blanches colombes n'étaient pas les moins avides.
Pourquoi en ai-je été surprise ?

 

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Juin

Publié le par Carole

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M. Chat - Trentemoult
 
 
Comme un chat qui s'étire
l'après-midi s'allonge
à l'ombre des vieux murs.
L'été dort au jardin
bourdonnant de chaleur
sous la touffeur d'orage.
 
De son oeil fixe et blanc
sans paupière et sans rêve
le temps ce vieux cyclope
le regarde dormir.
 
Bientôt le soir qui rentre
mènera vers l'anneau
son grand chien d'ombre bleue.
Le temps face de lune
froidira ces pierres mornes
qui lézardent au soleil.
 
Mais l'été sur son mur
somnole comme un chat
dans la torpeur de juin
qui ronronne au jardin.
 

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Pêcheurs du soir

Publié le par Carole

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    J'ai toujours soupçonné que ces pêcheurs qu'on voit, le soir, immobiles et patients, sur la rive des vieux étangs, ne viennent pas vraiment capturer les poissons que le couchant appâte. 
 
    Mais qu'ils viennent pêcher
 
    les nuages qui rôdent 
    dans leurs bancs de silence
 
    le ventre bleu du ciel
    grandi comme un têtard
    dans l'étang qui infuse
 
    la nageoire roussie
    du crépuscule glissant 
    sur le dos gris des vagues
 
    le saut de carpe vive
    du soleil qui retombe
    dans le filet des nuits
 
    et cette ombre du temps mordillant l'hameçon
    comme un frisson d'oiseau sur la peau de l'eau grise.

 

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Un monde si pâle

Publié le par Carole

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On dit que les papillons et les libellules perdent peu à peu leurs couleurs, dans nos contrées qui se réchauffent. (link)
En regardant cette petite libellule qui s'était revêtue de bleu comme on se vêtirait d'éden, de ciel pur et d'eau fraîche, j'ai essayé d'imaginer les prés pâlis de l'avenir, recouverts de poussière et de cendres, peuplés d'ailes blanchâtres et d'insectes invisibles.
Il nous avait peint le monde en couleurs, le vieux peintre, et nous, nous l'avons laissé s'éteindre et s'effacer, comme une toile méprisée qu'on aurait oubliée trop longtemps derrière la vitre.
Peut-être qu'en effet nous avons depuis longtemps cessé de regarder le monde autrement que derrière la vitrine de nos boutiques et de nos écrans. Peut-être que nous l'avons oublié, derrière son verre trop sale, le chef-d'oeuvre sans âge, comme un objet de peu de prix dans un magasin démodé promis à la liquidation. 
 

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Les chaises

Publié le par Carole

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Sur l'île Beaulieu j'ai rencontré deux chaises qui paraissaient bien tourmentées. 
— Hélas, se plaignait l'une, qu'il est donc difficile de trouver sa place en ce monde. On veut aller de l'avant, on s'élance, et on peine à ne pas s'écrouler...
— D'autant que chacun s'ingénie à vous savonner la planche... Vous avez manqué de prudence, soupirait l'autre, pourquoi vous précipiter ? vous ne pouviez que chuter... Mais vous avez raison, qu'il est donc difficile de trouver sa place en ce monde ! On voudrait rester en arrière, et voilà qu'on se retrouve étouffé et coincé, effondré sous son propre poids.
— Il y aurait bien le juste milieu, l'entre-deux ?
— Ah, ma chère, mais on n'y tiendrait pas... s'asseoir entre deux chaises, c'est toujours si fâcheux. Il faut choisir son camp, pencher d'un côté ou de l'autre... mais qu'il est donc difficile de trouver en ce monde à se placer comme il faut... !
— Et qu'il est donc difficile de la garder, cette place, une fois qu'on l'a enfin trouvée... avec toutes ces agitées, vous savez bien, ces chaises musicales qui vous bousculent au passage... on ne sait plus sur quel pied danser... il faut craindre sans cesse le retour du bâton... 
— Qu'il est donc difficile de s'asseoir à son aise...
Et elles ont ainsi continué à se plaindre. C'est qu'elles étaient, ces chaises, du bois dont on fait les humains.

 

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La coccinelle

Publié le par Carole

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J'attendais à la caisse de l'hypermarché. Patience et longueur de file... j'avais enfin disposé mes articles sur le tapis roulant, attendant l'encaissement, quand j'ai aperçu une petite coccinelle égarée dans mes légumes qui cherchait le soleil. Coccinelle, aie confiance, nous sortirons d'ici, je te ramènerai vers le printemps.
Devant moi il y avait deux femmes, de celles qu'on appelle "du voyage" – pour exprimer sans doute cette étrange méfiance qui sépare des vieux peuples errants les frileux sédentaires que nous sommes devenus. Elles réglaient leurs achats. 
—Tiens, a dit l'une en tendant un petit sac de parfumerie à la caissière, la dame d'avant a oublié son paquet.
Et la caissière aussitôt de remercier, de mettre de côté le petit sac parfumé, de prévenir la caisse centrale.
Voilà. Rien que de très banal. Rien que de très aimable. Rien que de très serviable.
J'ai "passé" mes articles. La caissière a bien pris soin de ne pas effaroucher ma coccinelle qui, ayant descendu sans encombre le tapis roulant, s'était perchée, pleine d'espoir, sur un pot de miel blond. Bientôt, je la libèrerais dans le soleil du soir. Coccinelle, douce bête à bon Dieu, prends patience, aie confiance...
J'étais en train de payer quand la "dame d'avant" est revenue, affolée, un peu essoufflée.
—Vous venez pour le paquet ? a demandé la caissière, il est à la caisse centrale...
—Ah ! ouf !.. j'avais tellement peur... vous comprenez, avec ces gens qu'il y avait derrière moi...!
Elle était si émue, la dame aux parfums, d'avoir échappé aux méfaits de ces gens, qu'elle oubliait de remercier...
En courant vers la caisse centrale, elle a heurté mon chariot. La coccinelle a pris peur. C'était fini. Elle s'était envolée d'un coup d'aile, la confiance, la douceur du printemps, dans les allées sans vie de mon hypermarché. Je ne la mènerais plus vers les jardins du jour, la douce bête du bon Dieu, elle mourrait assoiffée, piétinée, oubliée.
Il y a des gens comme ça. 

 

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Un rameur

Publié le par Carole

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Je l'ai d'abord entendu sans le voir. Enfin j'ai distingué le petit animal. Un campagnol aquatique, je crois. Mouillé de bleu, griffé de vagues, il se confondait presque avec l'eau. Mais comme il y allait, comme il ramait, comme il luttait, comme il fonçait contre le flot.
Il faut tant d'énergie pour se labourer un chemin dans les rivières de ce monde. 
Bientôt je l'ai perdu de vue. Je l'entendais encore de loin, pourtant, s'efforcer et ramer. J'ai eu l'impression d'avoir rencontré bien plus qu'un petit rat jeté dans le courant : l'élan même de la vie, absurde et bouleversant.

 

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Les fleurs du miel

Publié le par Carole

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Je l'ai saisie tout au bord de la Sèvre, à Rezé près de Nantes.
J'ai d'abord cru que c'était une angélique, étoile de la terre, fleur de doux confiseur et d'herboriste sage, et je l'ai admirée.
Puis je me suis demandé si ce n'était pas plutôt une grande ciguë, scorpion dressé dans l'herbe, âpre fleur de la mort, triste bourreau du sage - elle m'a fait un peu peur.
Si bien que je me suis arrêtée, hésitante. Comment savoir ?
Mais à l'abeille, qui fait butin de tout, active et bourdonnante comme l'avenir, il importait bien peu que la fleur soit un ange, ou qu'elle soit un démon. Indifférente, elle travaillait, et de tout faisait sa pelote, vendangeuse obstinée écrasant les poisons sous le poids des parfums.
 
Il faut aux ruchers de ce monde autant de ciguë que d'angélique pour faire couler le miel.

 

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L'arbre creux

Publié le par Carole

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C'était un très bel arbre, un arbre immense, un arbre creux
Lové dans son vieux corps, niché dans ses secrets.
Je me suis penchée sur sa nuit comme sur un terrier
Pour voir un peu en lui et regarder en moi.
Dans le tronc du vieil arbre, j'ai trouvé sans surprise :
 
Un champignon moqueur qui me tirait la langue.
Un coin de mousse bleue et d'espérance verte.
Des feuilles mortes au vent et de la boue du temps.
Une bouteille vide, vestige de la soif.
De la poussière d'écorce, de la sève encore vive.
De la lumière grandie et des ombres enfouies.
Des brindilles de nuit tressées comme des nids.
L'entrée d'un souterrain qui remontait les heures
Comme une horloge en rêve qui déplierait son coeur.
 
C'était un très vieil arbre, lentement creusé par la vie.

 

Publié dans Fables

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