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fables

Le distributeur

Publié le par Carole

distributeur.jpg
 
Un distributeur de billets transformé en téléphone portable - à moins que ce ne soit en arme. Une main géante qui ne donne qu'à ceux qui ont déjà...
Elles sont si souvent primitives, inquiétantes, insolentes, les images aberrantes qui rhabillent nos murs aux couleurs du factice.
 
L'étrange  décor a fait remonter tout à l'heure à ma mémoire un souvenir depuis longtemps oublié.
C'était à la gare, il y a des années. Un groupe de jeunes Africains.
L'un après l'autre ils se photographiaient, souriant comme à Hollywood, devant le distributeur de billets.
On aurait cru qu'ils se tenaient devant la Tour Eiffel ou au mont Saint-Michel. Ou bien à Hollywood boulevard sur le pavé des stars. 
Ils n'avaient pas de carte, bien sûr, aucun billet à espérer. Mais, pas rancuniers, et tout à fait joyeux, ils se prenaient en photo devant le distributeur. Exactement comme font les touristes. Pour ramener un "souvenir" des splendeurs qu'ils visitent sans y participer.
 
Le distributeur, ce dieu qui se tient bouche close à l'entrée de ses temples, et qui ne tend ses billets doux, toujours un peu froissés, qu'au petit nombre des élus qui savent écarter ses mâchoires, est-il vraiment devenu le Monument de notre monde ? 
 

Publié dans Fables

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Neptune dans la ville

Publié le par Carole

Neptune
Vitrine d'un magasin d'antiquités - Paris
 
 
Quelquefois, ils reviennent.
 
Dans les rues de la ville ils se fraient un chemin.
Ils avancent égarés, marchent entre les immeubles, les camions, les vitrines. Sur les trottoirs d'asphalte ils cherchent les rivières, les soleils et les prés, et les nymphes aux yeux d'eau tout éclairés d'échos.
Ils voudraient nous parler des peuples d'animaux roulant comme des vagues dans les forêts vivantes, des ruisseaux qui riaient sous les doigts bleus du vent.
Ils pourraient raconter cette époque bruissante où chaque coquillage était, tout grelottant de perles et tout barbu d'écume, une Aphrodite nue, un Neptune en haillons. Où chaque île abritait de grands bouquets de dieux chantant comme des nids.
Quand les humains sentaient, dans les troncs qu'ils taillaient pour s'en faire des navires, cogner à bec d'oiseau leur propre coeur d'écorce. Quand les rocs médusés s'habillaient en sirènes avec des yeux de femmes et des corps de troupeaux.
Quand frissonnait encore sous les cordes des lyres le ventre des tortues, quand chaque nuit le ciel étendait en pêcheur les grands filets d'étoiles qui attachaient le monde.
Quand tout était en ordre et en métamorphose et qu'ils étaient les dieux.
 
Mais le bruit les journaux 
Les nuages boueux
Sur les trottoirs gluants
Les autos recrachant 
La fumée de nos vies
Et les foules hâtives
Au tourniquet des heures
Se pressent et les bousculent
Comme de vieux mendiants.
 
De leurs yeux un peu tristes
De loin ils nous regardent
Avant de disparaître
Dans un reflet qui passe.
 

Publié dans Fables

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Immobilité

Publié le par Carole

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    Quand j'ai pris hier cette photo, j'ai d'abord eu un doute : étions-nous bien en 2014 ? Et si le temps s'était immobilisé en 2004 ? Et si cette affichette avait été clouée sur l'aiguille rouillée des années arrêtées ?
    Un doute, léger frisson... J'ai relu le papier oublié sur la porte bien close :
    "Fermeture définitive de la boutique le 31 décembre 2004".
    C'était donc ainsi... il y avait dix ans que la boutique dormait là, figée dans son linceul de poussière... En vain la rue vivante reflétait sur la vitre ses lumières et ses séductions toujours renouvelées : le vieil étal endormi refusait de rouvrir ses yeux las. Et les trésors pâlis d'un passé mort attendaient dans le gris, spectres poudreux s'effaçant peu à peu.
 
    N'en va-t-il pas de même de nos mémoires ? On voudrait arrêter le temps, en figer l'éclat bref derrière une vitre éternelle, mais la poussière des heures tombe lentement sur la vie comme une neige grise, recouvrant le passé qui s'éteint, tout doucement, tandis que l'ombre vient.

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Intuition

Publié le par Carole

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C'est un mot vide et plein comme un grand parapet.
Un mot vide de mots, tout baigné de promesses.
C'est un pont qui s'en va vers là-bas comme l'eau.
Un reflet qui murmure sous l'esprit qui ricoche.
Un sillon à semer qu'a tracé chaque vague.
  
Elle pourrait obstinée nous conduire à l'erreur.
Jamais elle n'a montré toute la vérité.
Mais elle est sur le flot la lumière tenace
qui nous donne la force de savoir, de créer,
d'être au bord du présent comme sur un rivage.
 
Intuition,
qui a posé là-haut tout au-dessus du fleuve,
comme un miroir tranquille où recueillir la pluie,
le soleil et la nuit, et chaque mélodie,
ce nom qui nous regarde avec les yeux de l'âme ?
 
 
 

 

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Défense de

Publié le par Carole

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Partout où l'on écrit
Défense de
Défense d'afficher
Défense de passer
Défense de danser
Défense de penser
Défense de.
Partout où s'est rouillé dans le béton armé,
le clou rongé d'ennui de la réalité,
comme ici je voudrais qu'un artiste s'en vienne,
tirant à petits traits son fil de funambule,
recoudre sur les murs les chemins étoilés
qui s'en vont 
qui s'en vont.
 
 
Rue de l'île Mabon, 26 novembre 2014

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Béances

Publié le par Carole

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Nantes - La Fabrique, 26 novembre 2014
 
 
De loin, c'était une si vaste fresque. Si compliquée. Un grand pan d'univers, un monde entier de villes en délire et de créatures incertaines, chimères prisonnières, hideuses et naïves.
Le rêve d'un Jérôme Bosch d'aujourd'hui, grandi dans les cartoons et les jeux vidéo, parqué dans les volières d'une ville en grisaille.
 
En m'approchant j'ai remarqué les deux trous profonds dans le mur.
Une commande, sans doute, cette fresque.
 
Mur disgracié
déshabillé
peau de béton
tuyaux profonds
comme canons
à recouvrir
à recrépir
de fantaisie
de couleurs vives.
 
Mais l'artiste n'avait pas voulu tricher. Il avait dédaigné de masquer les trous et d'embrouiller en trompe-l'oeil nos regards complaisants.
Tant d'autres, à sa place, n'auraient pas résisté.
 
 
Beaucoup plus que la fresque, c'est le peintre que j'ai admiré. Le cran qu'il avait eu de travailler si longtemps à son mur, d'en faire un univers complet - d'en faire son univers grouillant et saturé. Et pendant tout ce temps, ces béances, de les savoir là-dedans, et de les y laisser toutes nues toutes brutes et brutales - comme si le vide et le noir avaient été jusqu'au bout nécessaires à la plénitude de son oeuvre.
 
Parce que, voyez-vous, ce n'est pas seulement une histoire de mur et de béton troué.
Non. C'est toujours comme cela. Il faut, pour qu'une oeuvre, quelle qu'elle soit, prenne son vol, qu'il y ait quelque part une béance, un trou noir, qui à la fois l'attire et la repousse, et qui l'oblige à concentrer ses forces - comme une étoile qui tenterait de fuir - comme un oiseau en cage qui ouvrirait enfin la porte de sa vie.
 
trou fresque
 

 

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Dans la nuit

Publié le par Carole

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Dans la nuit, c'est comme ça. 
Il y a ceux qui veillent. Il y a ceux qui guettent.
Ceux qui vous donnent la lumière. Ceux qui la font payer.
 
Vous qui marchez sans rien y voir, au plus sombre au plus noir,
Sachez-le, c'est comme ça,
Dans la nuit. Les veilleurs. Et puis tant d'araignées.
 

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Jadis

Publié le par Carole

Jadis.jpg
 
Le chemin était bordé de ces énormes pierres qu'on traîne maintenant dans les terrains vagues de nos villes, pour empêcher l'accès. Bornes et remparts à la fois.
 
"Jadis", disait la pierre la plus grosse au Sisyphe de passage qui la heurtait du pied.
"Jadis".
C'est toujours curieux de rencontrer une pierre qui parle. Celle-ci philosophait dans les herbes d'automne.
"Jadis", sentier qui nous conduit où nous devons aller.
"Jadis", rocher qui nous entrave et bloque les issues.
"Jadis, disait la pierre à son Sisyphe, Jadis, on a tracé pour toi les chemins de mémoire, Jadis, on a planté pour toi les bornes de pensée. Jadis a allégé pour toi le fardeau de la vie. Charge à toi maintenant de rouler bien plus loin le grand rocher Demain..."
 

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Brèves d'automne

Publié le par Carole

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  Jardin de la médiathèque J. Demy, 12-11-2014
 
 
Dans le jardin rouillé, elles étaient si jolies, elles semblaient si pulpeuses, ces deux framboises posant sur le ciel gris leurs lèvres amoureuses. Je me suis arrêtée, séduite. J'aurais pu les croquer en novembre comme pommes en Eden...
 
J'ai préféré cueillir ces fleurs de cerisier. Vaincues par une averse et tombées sur le sol près de l'aile brisée du grand érable chauve.
 
fleurs cerisier faines
 
Fleur d'avril en novembre, fruit d'été en automne. Cela devrait être beau comme miracle. Mais nous voilà marchant seuls et sans but dans ce monde qui s'épuise, tandis que les saisons vacillent sur leur axe.

 

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Fleurs

Publié le par Carole

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Cela m'a d'abord fait sourire... Semer des fleurs, et égarer leur nom. Planter quand même son petit panonceau dans le jardin des mots. Écrire "Fleurs"  et "Blumen", en deux langues, pour semer plus profond. Y perdre son latin, et rateler l'espoir. Désherber les heures noires, éclaircir l'illusion. Puis ne rien récolter. Et ressemer encore.

Mais au fond, n'est-ce pas toujours cela, un jardin ? On y sème des graines qui sont aussi des rêves, que l'on cultivera, ou que l'on oubliera, que demain flétrira ou bien épanouira. Tout jardinier est un rêveur. Tout rêveur est un jardinier.

Je dis "fleurs", je sème le mot "fleurs". Et des bouquets s'éveillent derrière mes paupières closes, tous les parfums m'appellent, des arbres de printemps s'égouttent dans le bleu.

Je sème. Et puis... tant pis, c'est en moi que je sème, cela devient ou bien cela revient. Grain de folie qui infuse ou pourrit. Graine de ciel qui s'enterre ou ricoche. Aux averses jetée, au grand vent replantée. Il n'y a de jardin qu'incertain. Il n'y a de moisson que peut-être.


Publié dans Fables

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