Voyager
Un commandant à casquette, une belle voyageuse... A la fenêtre de la péniche depuis si longtemps immobilisée à quai, on avait malicieusement exposé ces deux visages inattendus, plus évocateurs des circuits en avion ou des croisières de luxe que d'une simple promenade sur la modeste barge qui vieillissait là.
Dans le décalage calculé de la dérision, sous l'ironique antiphrase, il y avait, comme bien souvent, beaucoup de profondeur, et de quoi méditer.
Pour voyager luxueusement, somptueusement, pour voyager vraiment, on n'a besoin ni d'aller loin, ni d'aller vite, ni d'aller cher, ni de voler dans les airs, ni de manger à la table d'un capitaine engalonné, ni d'avoir un destin de star.
On n'a besoin de presque rien.
Une simple péniche, un vieux bateau de bois que lestent de gros pneus, c'est bien assez, pour s'en aller rêver sur les eaux lentes et vertes qui innervent la terre, et pour glisser, tout près de soi, entre les rives herbeuses plantées d'arbres pensifs.
Jeter son ancre au fond des roselières, s'agripper à ce qui fléchit.
Entendre dans le soir le froissement des vagues, quand les troupeaux de cygnes remontent vers les sources.
Suivre là-haut le grand remuement des étoiles qui bâtissent les mondes.
S'endormir à la voix du rossignol, se réveiller au chant des oiseaux nouveau-nés.
Fouler dans l'herbe la rosée qui fume et le parfum des fleurs qui s'ouvrent.
Sur les chemins de halage marcher sans hâte en tirant le temps par sa longe.
Glisser d'une écluse à l'autre, grimper sur ces escaliers d'eau comme on irait, par des lacets, aux collines du ciel.
Partir pour arriver juste un peu plus loin que son point de départ, mais s'y rendre en passant par les reflets, par les errances et par les ombres, et surtout par soi-même.
On n'a besoin de presque rien pour ce voyage-là.
On n'a pas même besoin d'une péniche.
Une simple barque nous suffirait. On pourrait tout à fait ne pas partir du tout. Rester à quai sur la péniche arrêtée au soleil, ou sur la barque immobile qui tangue un peu, trouver le ciel et les nuages dans leurs reflets qui passent. Rester assis sur un banc du rivage, regarder danser sous le vent une petite vague traçant en cercle son long chemin toujours le même. Et ainsi s'en aller loin, très loin, si loin que, là où l'on va, bien peu de ceux qui vont partout en avion, en train, en paquebot pourraient nous suivre.
On n'a pas même besoin d'une péniche.
Une simple barque nous suffirait. On pourrait tout à fait ne pas partir du tout. Rester à quai sur la péniche arrêtée au soleil, ou sur la barque immobile qui tangue un peu, trouver le ciel et les nuages dans leurs reflets qui passent. Rester assis sur un banc du rivage, regarder danser sous le vent une petite vague traçant en cercle son long chemin toujours le même. Et ainsi s'en aller loin, très loin, si loin que, là où l'on va, bien peu de ceux qui vont partout en avion, en train, en paquebot pourraient nous suivre.