Saint-Nazaire - Blockhaus de la base sous-marine
Je l'avais si souvent rêvé, enfant, ce vol de ballons colorés qui m'aurait emmenée au loin, dans un souffle de fleurs et d'ailes, par dessus les rivières et les mers, comme Nils Holgersson.
C'était un de ces rêves délicats et naïfs qu'on jette, une fois grandi, comme un bouquet flétri, au grand tombereau des songes creux, des doux délires et des lunaisons vagues.
Et voilà que quelqu'un l'avait retrouvé, et l'avait déposé, toujours vivant, toujours enfant, là où jamais je n'aurais cru le rencontrer : sur le mur salpêtré et rouillé du blockhaus.
Prendre la réalité pour son désir, passer le béton des forteresses par les armes du rêve, semer sur les bastions l'esprit léger d'enfance, jeter sur les remparts l'ombre frêle du bonheur : je crois que c'est de bonne guerre. Ou de bonne paix. De bon espoir peut-être. Ou de belle utopie. Comme on voudra.
Jardin des Plantes - Nantes
En ce premier novembre où nous nous tournons vers les morts en leur offrant des fleurs vivantes, j'ai repensé au Promeneur. C'est l'un des personnages les plus curieux et les moins connus de ce jardin d'Eden qu'on a planté, pour que l'allégorie soit complète, sans doute, tout près d'un cimetière.
Le Promeneur, dans sa vie antérieure, s'appelait Camille Mellinet. Il avait le désagrément d'être le frère du général de la place Mellinet - celui qui fait sans fin la circulation avec son sabre -, et le bonheur d'être l'ami d'Elisa Mercoeur. C'était un éditeur avisé, un auteur délicat, un journaliste habile, un savant historien, un notable des lettres, un gros propriétaire. Après une vie de gloire locale et acharnée, ses concitoyens reconnaissants lui ont élevé ce buste juché sur un immense piédestal pour qu'il l'emporte à jamais sur le commun troupeau de ces mortels couchés tout près de lui.
De pluies de Toussaint en froidures de novembre, il s'est un peu noirci. L'impitoyable nécrophage qu'on nomme Postérité a balayé son nom avec les feuilles mortes. Les fleurs de rhétorique ont séché sur sa tombe, l'orgueil peu à peu l'a quitté. Il a si longtemps regardé le jardin : je crois qu'il n'est plus que sagesse. Près de cet arbre ouvrant ses bras en oiseau-lyre, voyez comme il se redresse pour mieux voir, comme il voudrait humer tous les parfums, comme il rêve de suivre le vol blanc des colombes et l'élan du héron, comme il s'en va déjà sur les chemins qui tournent, parmi les arbres et les bourgeons patients. Qu'importent les hauts murs et qu'importe la mort à celui qui sait vivre ? Il est là, bien là, au milieu des enfants et des canards, en costume clair, un camélia d'automne à la boutonnière, les cheveux dans le vent, sur les pas du bonheur promeneur.
Il est le "carpe diem" indulgent d'ici, celui qui nous dit que toute joie est ici-bas, simple et légère comme une fleur qui passe, mais que si nous l'avons oublié en vivant, nous aurons encore toute la mort pour trouver le Jardin.
Et après tout, qui sait ?
Sur le bitume ce fut d'abord une trace modeste. Quelques brins d'herbe tendant le cou, hésitants, un souffle de désir qui dansait sous la pluie, une tête pointue qui grignotait le gris, et la lente poussée d'un dos qui voulait se faire place, déroulant ses anneaux.
Peu à peu on l'a vu sortir, et puis bientôt ramper, avancer en bête obstinée, serpent de pissenlits tordant sa queue semée de touffes ailées, dragon vainqueur et zigzagant envolé dans la ville.
Et c'était sous nos pas délivrés une longue traînée de vie, verte comme une flamme.
Car on l'a retrouvée, cette porte qui mène
de l'autre côté
du miroir
du jardin
du chemin
de la ville
ou du ciel.
On l'avait toujours su, qu'elle attendait quelque part
que nous passions près d'elle.
Un peu usée
un peu vieillie
un peu ternie
ensommeillée
avec sa poignée grise
comme une aile d'oiseau
toute prête à céder
à la paume légère
d'un rêve promeneur.
Il m'avait dit, le jardinier du jardin des Plantes, que les vendanges seraient bonnes. C'était au printemps.
Mais à l'automne j'ai trouvé les raisins noirs et desséchés. Personne n'était venu les cueillir, et ils étaient morts, là, d'infructueux oubli.
Quoi de plus triste qu'une promesse qu'on dédaigne ?
Et puis il y a eu cette tempête, ce vent qui les a secoués comme grelots,
cette pluie qui les a couchés sur le sol comme en prière,
cette boue qui les a accueillis et pétris.
Ils se sont ressemés, les raisins qu'on avait dédaignés.
Quoi de plus obstiné qu'une âme qui espère ?
Amour en cage
Amour en larmes
Petite flamme
Qui se fane
Et coeur éteint
Dans son jardin
Est-ce bien d'une fleur
Que je parle d'une fleur
Sur sa tige tremblant
Comme un sanglot du temps
La vie se glace
Au froid des âmes
Et la pluie lasse
se plaint tout bas
Amour en larmes
Amour en cage
"Le désespoir est assis sur un banc" - Jacques Prévert
Par ces jours bruineux d'automne, on ne vient plus guère au jardin, qui lentement se dévêt, tournoyant dans ses feuilles et se poudrant d'or mat.
Et plus personne ne s'assied sur les bancs humides et noircis.
Sauf eux.
Des hommes, des femmes aussi, âgés, pauvrement vêtus, solitaires.
Ils attendent. Ils restent là longtemps, à regarder sans rien dire les oiseaux et les arbres, les fleurs aux yeux mouillés et les étangs troués de pluie, à suivre du regard les feuilles qui dansent lentes avec le vent, puis tombent épuisées sur les chemins déserts qui ne vont qu'en tournant.
Pourtant, ce n'est pas le désespoir qui les assied sur leur banc, dans la pluie et le froid - car il y a dans le désespoir encore toute l'ardente énergie de l'espoir, se renversant vers le néant.
C'est bien plutôt la résignation. Et cette solitude, si vaste, si lourde sur leurs épaules, qu'elle les oblige à venir s'asseoir là, et à attendre, quand le jardin fait route vers l'hiver.
Comme si l'attente était la dernière promesse de la vie.
Une façon d'aller encore, quand on ne sait plus où.
Jardin des Plantes de Nantes, 12 octobre 2012
L'oiseau était posé parmi les fleurs. Oiseau d'automne à tête rouge de bruyère, à gorge de feuille brune, à dos de champ fraîchement labouré. Faisan peut-être, ou bien tétras, je ne saurais le dire.
Il était de l'exacte couleur des fleurs et des feuilles, on l'aurait cru brodé à fil de soie sur la grande tapisserie des Métamorphoses. Il marchait à pas lents dans son parterre d'Eden, semblant rêveusement y suivre son reflet, se balançant sur ses pattes comme sur une tige. Et je ne savais plus si l'oiseau était fleur, ou si les fleurs étaient oiseaux. Non, vraiment je ne savais si le jardinier avait semé sur la terre comme une fleur ce bel oiseau d'automne, ou si le vent, d'une caresse colorée, avait offert aux fleurs un plumage d'oiseau, pour les mêler au ciel.
Il arrive parfois, au Jardin ou ailleurs, que l'harmonie triomphe de toutes différences, que l'unité l'emporte, comme une promesse d'éternité.
Et c'est beau comme le monde à son tout premier jour, avant que les noms ne le partagent.
Mains brunes perles et pluie qui pleure
L’automne bat sur cette vitre
La mesure simple de la vie
Un arbre jaune au vent se donne
Dans l’herbier gris des jours passés
Qui a jeté les feuilles mortes
Au grand hasard des pages enfuies
De nos mémoires éparpillées
L’hiver qui vient serre l'espoir
Dans ses rangées de branches noires
Printemps pépiant chaque bourgeon
comme un oiseau replie ses ailes
Araignée calme le soir se berce
De froid de brume et de pluie lente
L’automne cogne au carreau bleu
Le monde attend comme un jardin
Le petit homme qui venait de sonner à la porte avait un air si terne... C'était une silhouette tellement... – Comment dire ? – Transparente ? – Oui, transparente était sans doute le mot approprié. Christian Delmas eut un moment de surprise : jamais il n'avait eu face à lui quelqu'un d'aussi infime, d'aussi... inexistant. Quelqu'un ? Était-ce même quelqu'un, cet être à demi effacé ? [...]
Suite du récit à lire sur mon blog cheminderonde.wordpress.com