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Le piano

Publié le par Carole

ladmirault-2.jpg
 
    Dans la petite rue étroite et sombre où vécut Paul Ladmirault, Vinteuil nantais, compositeur délicat et modeste, trop rarement joué, il y a une heure, le soir, où le soleil s'en vient rôder sur le bronze, une heure où les ombres qui passent découpent un long rayon dans la lumière dorée, pour le poser au front du musicien défunt.
    Une heure où l'on entend, dans la maison fermée, résonner un piano.
  Dans la vieille demeure du compositeur presque oublié, quelqu'un est là, qui continue.

Publié dans Nantes

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Chevaux de bois

Publié le par Carole

cheval-de-bois.jpg
      "Throw that junk", Orson Welles, Citizen Kane
 
Petit cheval de la brocante, petit cheval de bois, fatigué, presque chauve et la queue arrachée, tu avais l'air si courageux sur tes roulettes usées, tu avais l'air si obstiné parmi le bric-à-brac et les cartons sans gloire, près de la vieille malle aux partitions jaunies, tu avais tellement l'air de fixer ton chemin pour ne jamais perdre la trace...
 
Je l'ai toujours su, que les chevaux de bois ne veulent pas céder. Que, bien après que les enfants qu'ils portaient soient retombés sur terre dans la vie telle qu'elle va, ils continuent la route, afin que le souvenir des grands pays qu'elle traversait ne se perde pas tout à fait dans nos mémoires vacillantes.
Et quand, plus tard, las de nos vies étranges, nous refermons les yeux, ce sont eux, les vieux chevaux fourbus, qui viennent nous chercher, pour une chevauchée dernière, dans le soleil d'avant, et les neiges d'antan.
Et loin de nous qui voyageons là-bas, revenus à nous-mêmes, qu'importe si le temps, d'un coup de vent furieux, claque le grand couvercle de la malle aux chansons, tandis qu'on jette au feu la carcasse de bois de nos rêves d'enfants ?

Publié dans Enfance

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L'appareil-photo

Publié le par Carole

photo carrés collés
 
    Un étrange photographe affiche en ce moment ses images dans la ville. Il semble se faire appeler monsieur O.
    Il découpe en petits carrés et en petits rectangles des reproductions de ses photos, et il les scotche sur les grillages. Un morceau de papier par maille comme en son petit cadre, et, bientôt, l'image entière apparaît, à la façon d'un puzzle, un peu tremblante, légèrement irrégulière, approximative, avec l'air de vouloir bientôt se défaire, au vent et à la pluie, pour redevenir le petit tas d'énigmes qu'elle était avant qu'on en assemble les fragments.
    Je n'ose imaginer le temps passé à ce bizarre travail... Sur l'un de ses chevalets de fil de fer, au fond d'un square obscur, le photographe aux carrés de papier a même accroché son appareil photo - de papier lui aussi : trois morceaux scotchés du dessin stylisé d'un vieux compact argentique - un ancien Kodak, par exemple, ou bien un antique Contax, un Fujica gainé de simili-cuir...
 
 appareil-photo-monsieur-O.jpg
 
    J'ai regardé cela d'abord avec un peu de dédain. Et puis je me suis dit qu'il n'avait pas tort, ce curieux monsieur O. Car la photographie, finalement, n'est rien d'autre : l'art minutieux de découper le monde immense, le monde entier, en une multitude de petits carrés ou de petits rectangles.
    Afin, sans doute, que chaque petit carré, chaque petit rectangle, détaché, solitaire, humble fragment du tout, se révèle être lui-même un monde.
   En tout cas le monde - le monde immense, le monde entier -, ainsi découpé, encadré, recadré, se révèle très différent de ce que l'on croyait. Alors, étonné, on s'approche : "Tiens, mais qu'est-ce que c'est donc ? " On regarde, on se demande... ah ça mais ça alors c'est bien beau que c'est laid c'est bizarre que c'est drôle je n'aurais jamais cru ah vraiment c'est si... Peu importe : on regarde, on ne passe pas tout de suite son chemin, comme on le faisait jusque là.
    Et c'est bien l'essentiel. 

Publié dans Fables

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Soldes

Publié le par Carole

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    Il faisait aujourd'hui, après tant de jours noirs et glacés, un temps délicieux, printanier. Je marchais dans la rue, le pas dansant, l'esprit léger, comme j'aurais marché vers moi-même, quand j'ai été arrêtée par ces soldes :
 
    "-50 % sur tout l'hiver"
 
    Comme elle y allait, la vitrine emplie de ciel et de lumière, avec ses affichettes vertes bondissant sur le verre en longues sauterelles, comme elle chantait, comme elle stridulait pour attirer les passants : "Allons, venez et achetez, liquidons-le, le sombre hiver, finissons-en avec les pluies en stocks, les nuages de bure noire et les brouillards de laine grise, faites-en provision à bon compte pour vos vieux jours, emplissez vos placards à naphtaline et vos malles au grenier, et puis n'en parlons plus ! Bazardons-le, le vieil hiver, des hiers dépassés faisons table rase, pour enfin faire entrer à l'étalage les ciels tremblants de soie, les délicats nuages de fine mousseline, les doux matins de gaze rose, les forêts bleues de velours tendre, les grands jardins de liberty, les caracos de lamé flambant, les moires flottantes des écharpes, et les décolletés de soleil... tout le printemps des étoffes et des colifichets !" Je me serais laissée séduire, peut-être, si je n'avais été hélée, un peu plus loin, par une autre vitrine criaillante qui affichait déjà, en couleurs bien plus vives, sa première collection de printemps.
    C'est si curieux, ce langage impérieux de la mode, qui nous vend l'hiver, le printemps, l'été, l'automne, au mètre et dans toutes les tailles, et toujours en avance, comme des objets de désir aussitôt obsolètes - alors que les saisons qui vont en cercle autour de nous battent si calmement, si sûrement, pour nos coeurs de vivants, la grande pulsation d'éternité - ce rythme heureux de valse qui toujours recommence.

Publié dans Fables

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Sous le pont

Publié le par Carole

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Il ne s'en doutait pas, ce passant qui consultait son Iphone, qu'il était menacé par un tank. Et pas seulement. Par un bombardier aussi. Et par un tsunami. Par ses paroles, et par ses silences. Par les papiers qu'il avait, et par ceux qu'il n'avait pas. Parce qu'il pensait jaune dans un monde trop noir, ou parce qu'il pensait noir dans un monde trop jaune.
Il ne s'en doutait pas, qu'il était anonyme, une vague silhouette dans une foule de silhouettes, un pictogramme dans un décor de pictogrammes. 
Ou bien peut-être au contraire qu'il s'en doutait. Et que c'était pour cela qu'il ne regardait pas autour de lui. Et qu'il consultait ses messages. Et qu'il en envoyait. Obstinément.

Publié dans Fables

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Encore un fait divers

Publié le par Carole

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    Aujourd'hui, un chômeur s'est immolé devant l'agence Pôle Emploi de la zone industrielle qui jouxte mon quartier. Vous en avez sans doute entendu parler ce soir, vous n'en entendrez plus parler demain, c'est un de ces faits divers qui "passent" à la télé, à la radio, en boucle, avant de disparaître à jamais. Mais c'était tout à côté de chez moi et l'histoire m'a frappée.
    A l'heure où le malheureux flambait, là-bas, devant l'intraitable Paul, j'étais encore en ville, et je cherchais à gagner la poste de la place Bretagne, depuis le cours des Cinquante-otages. Après avoir pris un de ces raccourcis étranges et sordides qui fendent les beaux quartiers comme des blessures de guerre, et où l'on n'invite guère les photographes, j'étais parvenue, par un long escalier raide, à une petite terrasse où j'avais l'intention de me reposer un instant. Tout au bout d'un plancher de bois moussu et menacé par les herbes hautes d'un jardin en friche, j'ai aperçu cette porte. Elle était si lourdement taguée, si extraordinairement inhospitalière que, par un de ces paradoxes que je ne cherche plus à expliquer, je me suis approchée pour l'admirer... et là, à ma grande surprise, j'ai découvert que j'étais devant une agence d'emploi, dédiée à ceux qu'on appelle "handicapés" - qui sont sans doute, de tous les "demandeurs d'emploi", les plus déshérités - mais pourquoi donc, au fait, dit-on "demandeurs d'emploi", en est-on donc vraiment arrivé à mendier les emplois et à les implorer comme des aumônes ?
   Une ampoule brillait faiblement à l'intérieur... on voyait se mouvoir quelques vagues silhouettes, le lieu n'était pas fermé, il était juste... ainsi... !
 
    Voilà. Il était environ 13 heures. Pendant qu'un homme flambait ou se préparait à flamber près de chez moi parce qu'il était sans travail, je regardais, oisive et stupéfaite, cette porte hideusement ornée de noms entremêlés et illisibles, qui se pressaient en couches épaisses et de dates diverses, accumulées depuis des mois, des années peut-être, aussi nombreuses et débordantes que les cohortes de chômeurs qui envahissent peu à peu le pays, et bientôt toutes nos pensées. Et pendant que brûlait là-bas ce martyr dont j'ignorais tout, devant ce monument d'une lourde éloquence où le mot accueil ne se donnait plus à lire que par quelques syllabes incertaines, je prenais peu à peu conscience du désastre. Comme si, soudain, on l'avait écrit devant moi, non plus à l'encre fade des journaux et des experts économiques, avec leurs mots si raisonnables et si savants, nous expliquant sans fin ce que jamais nous ne devrions pouvoir comprendre - mais en lettres brutes et rageuses de sang, de folie, de feu et de misère.

Publié dans Fables

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Passage de toucan

Publié le par Carole

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Parfois, en ville, sur un mur terne, sur l'ennui d'un parking, se pose un grand toucan comme une fleur.
Il vient de loin. Il voyage avec tout le pays qui l'a vu naître. Dans son plumage il traîne les vieilles forêts ivres où rôdent les longs fleuves semés de feuilles vives. Son gros bec de balsa épingle à nos yeux morts des fleurs aux lèvres rouges, et ses serres d'obsidienne accrochent à nos épaules la laine des buissons, les ailes de l'oiseau.
Et tout, dans la ville étonnée, s'en trouve renversé.
Tout chavire et vacille et oscille et ondoie. Tous les reflets des songes glissent en serpentant à l'assaut des rues froides, et de leurs anneaux verts s'enroulent aux serrures de la réalité. Les banques et les voitures, les instituts, les ambitions, les murs de ciment âpre, la tôle des capots, submergés par l'Eden, cèdent sans rémission, s'effacent sans lutter, et bientôt disparaissent, avalés de feuillages et rongés d'orchidées.
Il est grand, le pouvoir du toucan.
Mais peu le savent.
 
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Publié dans Nantes

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Le parapluie

Publié le par Carole

parapluie SOS
 
    Il avait l'air si triste et solitaire, contre le bord de l'abri d'autobus. La vitre se couvrait de tant de larmes de pluie. 
    A le voir, lui, sec, raide et bien refermé, j'ai pensé que c'était une femme âgée qui l'avait laissé là - une de ces vieilles femmes un peu coquettes encore qui ne veulent pas prendre de canne, et s'aident pour marcher d'un parapluie qu'elles ne peuvent jamais ouvrir quand il pleut, mais qu'elles protègent de tout leur corps, puisqu'il leur sert à s'appuyer. Ma grand-mère était de celles-là. J'ai encore à la maison son grand parapluie gris à poignée de bois, son dernier parapluie, son parapluie de veuve.
    Donc elle était venue, seule, bravement, au marché certainement, puisque c'était ce matin jour de marché. Fatiguée, boitant un peu, elle s'était assise sous l'abri, pour se reposer un instant, puis, au moment de monter dans le bus, encombrée de ses courses, elle avait laissé derrière elle le parapluie - cela va si vite, n'est-ce pas, et on a toujours peur d'être bousculée, de ne pas monter, de trébucher, de ne pas retrouver son ticket, d'on ne sait quoi encore.
    Le parapluie était resté là tout seul.
   Et elle... elle... il lui avait été si difficile de rentrer sans lui. Le chemin avait été bien dur et le cabas bien lourd, jusqu'à sa porte. 
 
    Je me suis approchée. J'ai vu le mot, sur la patte de fixation : SOS...
 
    Les choses, voyez-vous, qui vivent près de nous, souvent parlent pour nous.

Publié dans Fables

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Liberté

Publié le par Carole

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    Penser en cercle quand on te parle de carré, suivre la ligne aiguë des pierres quand on t'invite à te courber. Aller à l'est, quand le vent pousse à l'ouest, et pencher vers l'orient, quand le couchant t'entraîne. Sur le chemin qu'on te traça bien droit, poser ton petit labyrinthe, puis, inlassablement, sur toutes certitudes, laisser pousser très drue l'herbe vive du doute. 
    Toujours te tenir de côté - là où commence l'infini.
 
    Tu n'auras jamais d'autre liberté en ce monde.

Publié dans Fables

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Musique

Publié le par Carole

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    Que la musique soit la clé, je n'en ai jamais douté.
    Clé d'ut, clé de sol, clé de fa, clé de nos existences et clé de nos désirs, la musique est la clé de tout, la clé toute ourlée d'ombre et de lumière vermeille de cette porte étrange qui nous attend là-bas, de l'autre côté du miroir, pour nous conduire sur les marches du monde.
    Le coeur qu'elle a ouvert comme un quartier d'orange ne se referme plus. Et jamais cette clé ne se dérobe à celui qui un jour l'a saisie pour bâton, au pélerinage de la vie.
    Que cela soit inscrit dans un coin gris et laid de la ville, c'est ce qu'il faut. Que la clé tout là-haut reste accrochée vibrante comme un battant de cloche, piquée comme un insecte bourdonnant au coin des mots qui grimpent vers ce qu'on ne sait dire, c'est bien ce qui doit être.

Publié dans Nantes

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