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Mère et fille (réédition revue)

Publié le par Carole

 
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Quand je les ai aperçues, toutes les deux, assises dans ce fast-food qui jouxte, si bizarrement, une église, je tenais mon appareil-photo que je ne quitte plus guère. J'ai immédiatement appuyé sur le déclencheur. C'était tellement cela.
Cela - Je veux dire l'un de ces tableaux brusquement découpés dans le réel où tant, de l'humanité, nous est donné, d'un coup, à voir et à réfléchir.
Ici, oui, tant de choses étaient réunies : les personnages dans le cadre que leur faisait la baie vitrée, comme enfermés sur une scène, sous les spots ; les vivants de passage aux corps tronqués, sur le reflet étincelant de la vieille église récemment restaurée ; les gargouilles de pierre qui se penchaient pour écouter les mots de ceux qui sont de chair ; la femme mûre qui voulait être jeune, et celle qui, déjà si vieille, ne s'en souciait plus ; la blonde aux cheveux de platine, la grise à la terne permanente maison ; les gobelets de plastique rapidement vidés, et la conversation continuant comme une guerre sans trève ; et cet escalier entrevu, qui aurait pu conduire un peu plus haut, mais qu'on n'emprunterait pas.
Ces mots  enfin - café cappucino - absurdes et vides, barrant et recouvrant les vies comme les réalités sans grâce et jamais oubliées du commerce, chez ceux qui n'ont pour festoyer que les salles encombrées des fastfoods.
 
Mère et fille, ai-je pensé.
Mère et fille, ce ne peut pas être autre chose.
Elles sont venues en ville, et, comme il fallait rester ensemble un peu, qu'il faisait froid, qu'elles n'étaient pas bien riches ni l'une ni l'autre, et pas bien difficiles, évidemment, elles sont entrées dans ce local vulgaire et bon marché, elles ont pris des gobelets de plastique et des pailles au comptoir, elles se sont assises contre la baie vitrée, à la table de plastique mal nettoyée, pour avoir un peu de lumière.
Et tout a commencé, recommencé. La fille qui pérorait, la mère qui écoutait. La fille qui savait, la mère qui se taisait. La fille qui avait sa vie à faire, la mère qui l'avait ratée. La fille qui ne se laisserait pas faire, la mère qui réprouvait. La fille qui voulait marcher dans la lumière et dans l'amour, la mère qui depuis si longtemps avançait dans le gris et l'obscur.
L'éternelle histoire des mères et des filles, dans les familles qu'on appelle modestes, où l'on n'a pas grand chose à espérer. Dans toutes les familles, peut-être.
 
Et puis il y avait tous ces reflets si clairs, qui se penchaient sur elles pour les avertir, et qu'elles ne semblaient pas apercevoir. Ces doux reflets d'un autre monde, qui parlaient d'harmonie, qui murmuraient qu'il fallait se parler, s'approcher, se tendre enfin la main. Qui leur confiaient tout bas, si bas qu'elles ne pouvaient l'entendre, qu'un jour, bientôt peut-être, il n'y aurait que le regret, et l'immense mélancolie désespérée qui étreint, après, quand on comprend, enfin, si bien, tout ce qu'on n'a pas su se dire - quand on retrouve, au fond de sa mémoire, tous les mots jamais prononcés, qui ne le seront plus, et qu'on voudrait crier.
 

Publié dans Fables

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La fête sur le talus

Publié le par Carole

    Quand ça a commencé ? Je peux pas vous dire exactement.
    Au début de l'après-midi, je pense. Après le repas, je m'en suis aperçu, vers une heure et demie-deux heures, quand je suis sorti, avec ma femme, prendre le café sur la terrasse. Il faut dire que c'était un dimanche après-midi superbe, doux et ensoleillé, venté juste ce qu'il fallait. A passer au jardin, sans montre, en sirotant quelque chose, en lézardant au soleil bien tranquille, dans le parfum des lilas. Le premier jour de beau temps en mai, après des mois et des mois de pluie battante et de temps frisquet.
    Donc, avec ma femme, on est sortis sur la terrasse, prendre le café, se reposer au soleil.
    On a tout de suite entendu.
   C'était comme une sono qu'on aurait poussée à fond, mais le son devait venir d'assez loin, parce qu'il nous arrivait par vagues, avec le vent, des bouffées d'une espèce de musique, qui roulaient vers le lotissement, et qui repartaient plus loin, puis qui revenaient encore [...].

Suite du récit sur mon blog de récits et nouvelles cheminderonde.wordpress.com

 

Publié dans Récits et nouvelles

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Faux

Publié le par Carole

Faux
Depuis quelque temps on le voit partout dans la ville.
 
En noir en couleur et en gris. En majuscules en minuscules, en lisible et en illisible. Sur les poubelles les murs sales et les palissades. A la va-vite en barbouillis, parfois en calligraphe. Il s'affiche partout, partout il se décline - comme une identité.
 
Faux.
 
C'est un faux tout à fait, un surnom de graffeur, un alias, un pseudo. 
 
Mais il me plaît, ce mot, en ces temps où la communication est devenue une science raffinée, où on mobilise tant d'efforts et d'argent et de réflexion stratégique pour gagner la grande guerre de l'opinion, et nous convaincre de croire à tant de mensonges - publicités, fake news, propagande et propaganda.
 
Faux, dit-il. Penchez-vous sur les ombres, touchez du doigt les failles.
Faux. Vérifiez les couleurs, ne croyez pas au bleu, ne croyez pas au rouge, mais remarquez les taches.
Faux. Voyez comme ça penche, voyez comme ça tremble, voyez comme ça cloche, voyez comme c'est toc.
Faux c'est faux : prenez garde au défaut. Faux c'est faux : qu'on ne vous prenne plus par défaut. Faut savoir dire non pour pouvoir dire oui.
Car il n'y a que le non qui puisse vous creuser, lentement, âprement, au flanc de ces parois du faux qu'il réduit en morceaux, un lacet de chemin vers le
 
Vrai.
 
 

Publié dans Fables

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A mon idée

Publié le par Carole

A mon idée

Ah, mon idée ! L'Idée - si longtemps attendue, si tendrement nourrie, si longuement guettée, si patiemment hameçonnée...

La voilà qui s'approche, qui mordille si vive, qui frétille si fine.

Je me penche, je m'élance, je tends tous mes filets ! comme elle luit, comme elle brille !

 

La voilà qui se prend, sirène ligotée, tournant et scintillant dans toutes ses écailles... oh, je la tiens déjà, je la veux, la harponne et la croche... c'est fait, elle est à moi ! Ah, mon idée, l'Idée !

 

Mais quel reflet m'a distraite, m'amusant de son rien ?

N'est-ce pas plutôt ce froid, soudain, qui fait trembler ma gaule, cette ombre sur l'eau noire des arbres qui grimacent ?

J'hésite, je procrastine - et elle, oh, mon idée, l'Idée, déjà elle crache l'hameçon, se dégage en riant, se disperse en déesse dans tous les plis de l'eau...

 

Je croyais la tenir, j'étais si sûre de moi, j'étais si sûre d'elle, et voilà qu'elle m'échappe, qu'elle a fui, qu'elle a tout à fait disparu.

Ah, mon idée ! L'Idée - C'était au bond qu'il fallait la saisir ! L'enlacer ligotée. La jeter toute vive dans mon seau à projets. Ne jamais la lâcher, plus jamais, la garder bien serrée dans son eau de lumière.

Au bout de mon hésitation, belle indocile elle a pris son élan, pour s'en aller rêver plus loin, toujours plus loin, vers cet horizon vague où les pensées qui se défilent croient se recoudre au ciel.

 

Je l'ai laissé passer, l'instant qui s'en venait à moi,

je l'ai laissée me laisser, l'Idée qui était mienne et qui sera néant.

 

Ah, mon idée ! l'Idée ! Enfuie, perdue, paillette d'or fondue dans le flot des possibles, écume des étoiles qui miroitent là-bas... Et moi qui ne sais plus où la pleurer, moi qui n'ai jamais su où la chercher...  

Ah, mon idée ! l'Idée ! cadavre absent sans visage et sans nom dont je mène le deuil sans savoir qui tu fus...

...je t'ai gravé

cette épitaphe :

 

A MON IDEE

in memoria

reveniat

 

 

 

Publié dans Fables

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Le cadre

Publié le par Carole

     Depuis combien de temps était-il ainsi, de travers, sur le mur d'en face ?
    Il devait bien y avoir plusieurs jours. Des mois même. Des années peut-être. Qui pouvait savoir ? Il avait dû glisser, peu à peu, glisser... très lentement, poussé par un déséquilibre infime du mince cordon qui le retenait, et, peu à peu, lentement, très lentement, fléchir, s'incliner... Jusqu'à ce qu'enfin il devienne impossible de ne pas le remarquer. C'est toujours de cette façon que les choses évoluent... se mettent à devenir insupportables... Presque rien tout d'abord, un léger détail, qui, sans qu'on y prenne garde, insensiblement, s'accentue, s'alourdit. Il y faut des jours, des mois et des années, souvent, mais,inéluctablement, cela suit sa pente, jusqu'à ce que ni le regard ni la pensée ne puissent plus s'en détourner. Jusqu'à l'inacceptable.
    Oui, c'était ce qui s'était produit, de toute évidence, avec ce... ce... disons ce... tableau... Que représentait-il, au fait ? On aurait dit... hum... un portrait... une sorte de visage... déformé par l'absurde prétention cubiste du peintre [...]
 
Suite du récit à lire sur mon blog de récits et nouvelles cheminderonde.wordpress.com

 

Publié dans Récits et nouvelles

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La question à la réponse

Publié le par Carole

La question à la réponse
LA REPONSE 
est EN TOI
 
Sans doute.
 
Mais la question ? La question, d'où te vient-elle ?
 
...si souvent tu ne t'es posé d'autres questions que celles que tous se posent,
d'autres questions que celles qu'on te pose,
d'autres questions que celles qui se posent,
d'autres questions que celles qui reposent,
d'autres questions que celles qui vous posent.
 
Si souvent, si souvent, tu n'as répondu qu'à des questions qui n'étaient pas en toi, qui n'étaient pas de toi.
Si souvent, si souvent, tu t'es muré dans ces questions des autres qui ne sont à personne, oubliant d'y percer cette ouverture étroite qui aurait pu encore te mener à toi-même.
 
Alors, maintenant, souviens-toi :
la question,
la question aussi,
la question, cette lézarde obscure
sur le rempart des certitudes,
c'est en toi qu'il te faut la chercher,
l'élargir et l'ouvrir,
avec tes mains qui tremblent
de fouiller dans ton coeur.

Car la question,
ta question,
c'est en toi
et c'est toi
qu'elle attend.
 

Publié dans Fables

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Il est retrouvé !

Publié le par Carole

Je vous transmets l'article paru ce soir à 21h dans Ouest-France :
 
"Le reliquaire du cœur d’Anne de Bretagne volé dans la nuit de vendredi 13 à samedi 14 avril au musée Dobrée à Nantes vient d’être retrouvé dans la région de Saint-Nazaire, vers 20 h ce samedi soir. La police judiciaire est sur les lieux. « Les objets sont en bon état », indique le procureur de la République de Nantes, Pierre Sennès. Ils sont entre les mains des enquêteurs pour les besoins d’analyses.
Pour Philippe Grosvalet, président du conseil départemental propriétaire du musée, c’est « un grand soulagement. Je suis extrêmement ému car on craignait le pire. »
 
 
https://www.ouest-france.fr/pays-de-la-loire/nantes-44000/le-reliquaire-retrouve-dans-la-region-de-saint-nazaire-5713261

Publié dans Nantes

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Coeur volé

Publié le par Carole

On a peine à y croire...  mais c'est dans tous les journaux aujourd'hui... Volé ! on nous l'a volé, le reliquaire de la reine Anne !
 
Coeur-reliquaire d'Anne de Bretagne - Musée Dobrée, Nantes - Photo Presse-Océan

 

Son coeur n'y était plus, le nôtre ne battait plus vraiment pour lui.

Pourtant c'était si bon de le savoir bien là, brûlant pour nous dans l'ombre, semblable à ce noyau embrasé du monde sur lequel nous marchons plus légers de le savoir si lourd.
 
Que je vous raconte un peu ce que c'était chez nous que ce coeur...
 
...ça remontait à loin, très loin, au temps où les rois de ce monde, comme les saints de l'autre, dispersaient leurs cadavres, pour s'offrir en tout lieu à l'amour des sujets.
Et c'est ainsi qu'après sa mort, son corps ayant été enseveli à Saint-Denis, le coeur d'Anne de Bretagne, parfumé d'aromates et noué de bandelettes, s'en vint tout seul à Nantes, sa ville ducale, orner l'église des Carmes, enchâssé dans un splendide reliquaire d'or portant couronne à neuf trèfles et neuf lys.
Il y resta longtemps, tranquille, se flétrissant comme un vieux parchemin dans sa reliure dorée.
Quand la révolution survint, qu'elle vida les églises, arracha les rois de leurs châsses, poussa leurs derniers restes aux fossés et aux écuries, le vieux viscère desséché disparut. Nul n'a jamais vraiment su s'il servit, comme la poussière d'Alexandre, de bonde à un tonneau, ou de festin à un chien fou ; s'il devint le foyer d'une horde de vers nomades, ou la mumie d'un peintre friand de pigments rares...
On avait réussi pieusement à sauver la précieuse enveloppe, on l'avait enterrée avec pompe, au grand manoir de monsieur Dobrée, et, ma foi, on n'en demandait pas davantage.
 
Après tant de siècles et de vicissitudes, ce grand coeur au musée, ce n'était plus vraiment son coeur, ce n'était plus vraiment le nôtre.
 
Et puis les jours passaient, les esprits s'échauffaient, on avait autre chose à penser, vous comprenez, des Zad par ci et des Zad partout... D'ailleurs on avait fermé le musée pendant de si longs mois. Qui donc se souvenait encore de lui, si fragile rayon de l'amour d'une reine, se balançant doré dans son palais Dobrée ?
 
Mais aujourd'hui
qu'on nous l'a volé
volé perdu fondu peut-être
 
Nous voilà solitaires
nous voilà orphelins
nous voilà sans chemin
boiteux et trébuchants 
sur nos rues dépavées
 
c'est un peu comme si
s'était dérobé sous nos pieds
ce core ardent du Temps,
qui fait tourner la Terre,
et donne à chaque ville
sa place dans la ronde
des siècles.
 

Publié dans Nantes

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Le placard

Publié le par Carole

    Un courant d'air, probablement. Certainement. Un simple courant d'air. Cela arrive, les courants d'air. Même dans les couloirs sans fenêtre, cela peut arriver... à la faveur de certaines circonstances, certes assez rares, mais tout à fait envisageables, un courant d'air peut se produire à des endroits où le vent ne semble pas devoir s'introduire.
    Bref, ce n'était qu'un de ces petits accidents de la vie quotidienne qu'il faut bien accepter. Un accident... tout au plus un incident. Qui aurait pu avoir des conséquences dramatiques, il est vrai.
    Car la porte, brutalement, s'était refermée sur lui [...]
 
Suite du récit sur mon blog de récits et nouvelles cheminderonde.wordpress.com

 

Publié dans Récits et nouvelles

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Un petit air de fête

Publié le par Carole

Un petit air de fête
Ce soir, c'est jeudi, et je rentre un peu tard. A mesure que nous traversons les quartiers, la rame se remplit de femmes en costumes africains somptueux, des femmes de tous les âges, qui bavardent, et paradent, se saluent et s'embrassent, et bavardent, et paradent, toutes fières et joyeuses.
Des femmes, rien que des femmes, sans cabas, sans enfants.
Toutes seules. Et ensemble. 
 
Je descends avant elles, c'est dommage. Je serais bien restée. Je serais bien allée - mais où donc ? - avec elles... Peut-être que mes habits noirs et gris se seraient retrempés de couleurs, au contact des leurs ? Peut-être que mes rides se seraient évanouies en fous rires, dans le frou-frou des boubous ? Peut-être que j'aurais réappris à danser, à papoter, à m'amuser ?
 
Mais j'ai un bus à prendre.
De la rame suivante, je vois descendre deux autres femmes en costumes richement colorés. C'est nouveau, sans doute, pour ces deux là, ce voyage, elles sont un peu tendues, elles n'étaient pas dans la bonne rame, et elles se sont trompées d'arrêt. Elles voudraient remonter - non, c'est trop tard. Tant pis, elles attendront le tram d'après. Mais pourquoi donc est-il si long à venir ? Elles regardent leur montre, elles ont peur d'arriver en retard, on dirait, les nouvelles, elles ne bavardent pas comme les autres.
 
La joie de se retrouver, l'anxiété de la première fois. Il y a vraiment ce soir sur la ligne 1 du tram un petit air de fête.

La fête des femmes en boubous chics qui sortent tard le soir. Un soir
Dans les quartiers.
Rien qu'entre femmes.
Ensemble. Toutes seules.
 
 

Publié dans Nantes

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