Au jardin
Dans le journal local, on apprenait récemment que le Jardin reçoit tant de visiteurs qu'il est désormais "saturé".
"Saturé", le Jardin ? livré aux foules, aux badauds en troupeaux et aux enfants en joie ?
Peut-être.
Mais moi, ce qui toujours m'émeut, quand j'y passe, c'est la solitude.
Solitude des passants. Solitude sur les bancs. Solitude en rouge et solitude en gris. Solitude d'ici, solitude de là-bas. Solitude est partout.
Le Jardin est saturé, c'est vrai. Saturé de solitude. Si lourdement chargé de solitude qu'il tanguerait et tournoierait comme un radeau perdu, si les arbres et les fleurs, et les oiseaux tranquilles et les vieux bancs Centaure, ne l'amarraient, de toutes leurs ailes et de toutes leurs racines, de toute leur éternité vivante, à l'immobile Eden.
Au Jardin ils s'en viennent tous, les silencieux, les oubliés, poser leur grand fardeau de solitude. Dans la douceur des ombres et l'appel des colombes, elle ne fait presque plus mal, la misère Solitude. Dans la paix du Jardin, bon cimetière des coeurs, elle est le vieux chien qui attend patiemment, sans tirer sur sa laisse.