Vente aux enchères
Rue Sainte-Catherine il y avait un petit attroupement. Des jeunes femmes, sorties pour fumer d'une boutique voisine. Des camionnettes garées serrées. Des gens qui ralentissaient le pas pour regarder.
Quelqu'un a dit : "C'est aujourd'hui, alors ?". Et quelqu'un d'autre a dit : "C'est triste, quand même".
J'avais compris enfin : le vieux magasin de jouets, installé là depuis bien avant la naissance de mes enfants, le vieux magasin de jouets dont la vitrine débordante pâlissait depuis tant d'années, le vieux magasin de jouets où on avait oublié de décrocher une petite étoile de Noël, le vieux magasin de jouets se vidait aux enchères.
La porte était ouverte. Il y avait du monde. Je suis entrée.
Une dame à talons hauts, en robe blanche et courte, était en train d'adjuger des numéros.
"Lot 129, c'est Sophie la girafe... un lot de jouets pour bébé... on va commencer à 300. Qui met vingt ? 320. Qui met vingt ? 340..."
Sophie la girafe... elle avait des yeux si doux, quand les petites mains la pressaient...
"440 une fois, 440 deux fois..."

Elle est partie à 440, pour finir, la girafe aux yeux étonnés.
"Lot 130... on va commencer à 400... Qui met 20 ?..."
J'ai préféré sortir.
Toute la rue au soleil se mirait derrière moi, sur la vitrine morte où frissonnait l'étoile. Les jeunes vendeuses étaient toujours là, silencieuses, à regarder de loin, à laisser la fumée dessiner dans l'air bleu des volutes fugitives.
Quand je suis repassée, au retour de ma course, on s'affairait à entasser dans les camionnettes de grands sacs de plastique transparents tout remplis de jouets.
J'ai cherché le numéro 129...
Les grands yeux de Sophie se sont tournés vers moi.
Qu'ils étaient gris, sous le plastique épais.
Qu'elle était donc passée, la vitrine aux jouets.
Qu'il était donc pâli, le monde ce matin.
Un instant j'ai cru que c'était mon regard qui se troublait et s'emplissait de brume.
Un peu comme quand on est tout au bord de pleurer et que la vue commence à se brouiller.
Qu'elle était donc passée, la vitrine aux jouets.
Qu'il était donc pâli, le monde ce matin.
Un instant j'ai cru que c'était mon regard qui se troublait et s'emplissait de brume.
Un peu comme quand on est tout au bord de pleurer et que la vue commence à se brouiller.
Mais non, c'était seulement le temps, laborieuse araignée, qui avait tout repeint de poussière. Et de petites mains d'enfants, dès le prochain Noël, reteindraient couleur joie les jouets revendus pour pas cher - sur internet, où tout est toujours neuf.
"Il va falloir y aller", a dit l'une des jeunes femmes en soupirant. Mais elle est restée immobile, à écraser rêveusement son mégot entre ses doigts bagués.