Eté sur les joues rouges des doux coquelicots.
Eté au duvet blond des avoines mûries.
Eté dans le grand ciel lavé des sources bleues.
Eté dans le vent fou habillant les draps blancs.
Eté sur le clocher frappant d’or le vieux coq.
Eté sur l’épi jaune qu’on fauchera demain.
Eté dans les pluies noires s’en allant vers l’automne.
Eté froissant d'orages les drapeaux bleu blanc rouge.
Eté dans les glycines pleurant des larmes roses.
Eté dans l’appel gris des tourterelles au soir.
Le château
Quand j’étais enfant, c’était un tas de pierres où l’herbe poussait dru. On y menait paître les bêtes, et les poules y couraient. La Houzée toute verte se coulait dans ses ruines comme une couleuvre longue.
On l’appelait alors le château de Puitfonds. Il était plein de lézards et de salamandres, et de mystères profonds que ruminaient les vaches.
Plus tard on a reconstruit une tour et un bout de donjon avec les pierres moussues. On a planté des saules et posé tout autour un long filet de barbelé pour éloigner les bêtes. Entre ses rives bien fauchées fleuries de grands bouquets de marguerites, la Houzée a reflété très pure sa silhouette de conte. On y a organisé des fêtes comme au château du bois dormant, et on s’est mis à l’appeler le château de Pointfonds.
Il paraît que c’était écrit ainsi dans les livres qui conservent intacte la mémoire des vieux noms.
Je ne sais pas. Moi, je sais seulement qu’au profond du village, au confluent de tous les ruisseaux qui tissent ensemble le cours tranquille de la douce Houzée, le vieux château est comme un puits plein d’échos. Qu'il est comme un puits de lumière où l’aurore vient se prendre. Qu' il est comme le jour qui point dans la soie des matins. Qu'il est comme le point nodal où le village se coud au monde.
Il faut, pour qu’un village rêve, une rivière aux longs yeux d’herbe, un vieux château dormant entre des prés à vaches, une petite église, et des noms incertains, miroitant comme des reflets sur les lieux du passé.
L'accent
"Et pis voyons, si je m'souviens,
Voyons dans c'coin d'Beauce.
Y avait dans l'temps un bieau grand ch'min
- Cheminot, cheminot, chemine ! -
A c't'heur' n'est pas pus grand qu'ma main...
Par où donc que j'chemin'rai d'main?" (Gaston Coûté, "Les Mangeux d'terre") L'accent, c'était le bien de tous ici autrefois. Rocailleux comme un caillou de la Houzée. Tendre et moussu comme un calcaire usé. Patient et roucoulant comme une tourterelle au donjon. Large et pansu comme la vieille église fortifiée. Lourd et gras comme la terre de Beauce. Sec et dur comme le vent du nord par-dessus les plateaux amputés de leurs arbres. Il obéissait à des rythmes et des lois antiques - longues brèves dactyles et spondées - : on traînait sur la "gââââpette", on faisait crisser gaiement la "bééérouette", mais on disait très vite, en vrai "pésan bénaise", d'un seul claquement de langue : "S'lommes !". L'accent s'épanouissait encore dans la voix tranquille de mes grands-parents ; déjà il avait disparu de celle de leurs enfants ; il faisait rire leurs petits-enfants. Quelques vieux, dans des salles de ferme un peu sombres, s'arcboutent encore en vain sur ce trésor qu'ils ne légueront pas. L'accent, le vieil accent, le bel accent n'est plus, ne reviendra jamais. Détruit par quoi ? par l'école et la télévision, par tous les fils électriques qui relient cet ancien monde au nouveau ? Peut-être. Mais, plus sûrement encore, par la honte sourde d'être d'ici, de ce petit village, de cette Beauce mal aimée. L'accent, je l'entends encore parfois en rêve quand je marche sous les hauts murs où rampe depuis des siècles un même lichen rouillé de pluies, ou quand là-haut je vois, dans ce ciel ondoyant dont le clocher est l'axe, le vent, comme un berger fou, pousser ses nuages égarés vers des mondes engloutis.
Le photographe et la roue du temps
Au Clos-Lucé qui fut la dernière demeure de Léonard de Vinci, tentant de photographier derrière sa vitre cette lourde roue en mouvement, immense et lente, et pourtant semblable aux roues de ces engrenages minuscules qui font marcher sans répit les montres et les pendules, j’ai fait apparaître ce trouble fantôme dont on ne distingue guère que les mains, posées sur un appareil-photo devenu ombre.
Une erreur de jugement, bien sûr : est-ce que je ne devrais pas le savoir, que face à une vitre on ne photographie rien ni personne, que soi-même en train de photographier ? Est-ce que je ne le savais pas quand j’ai absurdement déclenché l’appareil ? …
... Et puis, finalement j’ai décidé de ne pas détruire cette image manquée. Car, se saisir soi-même face à la roue du temps, et ne saisir qu’une ombre, il m’a semblé que c’était tout de même bien cela, photographier.
Saisir le regard d’un instant, le regard déjà enfui au moment où l’on appuie sur le déclencheur, qu’on a porté sur ce qui passe. Et, ce regard même, savoir qu’on ne le saisit qu'en train de passer, dans l’instant même où il se défait, car il n’est que de devenir et de disparaître…
A la roue du temps arracher comme un fantôme, comme un lambeau misérable et précieux, l’image que cette roue déjà a emportée plus loin.
Une entreprise impossible, évidemment. Et pourtant tellement nécessaire. Car, si nous ne sommes que de devenir et de disparaître, nous ne sommes également que de nous souvenir et de nous retourner.
J’en viens à croire qu’en ce sens, aucune photographie n’est jamais manquée : aussi maladroite, aussi banale qu’on puisse la juger, toujours elle a écrit quelque chose de la fugitive lumière des instants qui passent.
Photo / graphie, écriture de la lumière… je crois que les hommes qui ont inventé la roue, les engrenages et la mesure du temps, ne pouvaient pas ne pas t’inventer aussi.
Je crois que Léonard a rêvé de toi.
Le fou
Nantes - Château des ducs
Petit Triboulet rêveur, posé dans la lumière sur la grande ombre en forme de croix qui s'allonge sur le toit, au-dessus du chemin de ronde, que peut-il bien penser, là-haut ?
Peut-être simplement qu'il suffit d'un peu de soleil pour faire surgir des vérités troublantes, par exemple la proximité de l'angoisse et du rire, de la mort et de la frénésie, de la méditation et de la dérision, des ombres lourdes et des fines dentelles de pierre...
Nous le savons et l'acceptons nonchalamment, fous que nous sommes. A moins que nous n'endossions l'habit de fou justement parce que, au grand soleil de la lucidité, l'ombre qui s'étend derrière nous se fait si haute, si menaçante.
Mais que j'en ai eu, du mal, à le distinguer, ce fou, dans la végétation de pierre qui court au coin de chacun des hauts murs. Il m'a fallu, pour le saisir au zoom, me plaquer contre le rempart, en bas, me pencher vers le vide, m'écorcher sur l'angle dur d'un créneau.
Le passant qui parcourt le chemin de ronde, au château, ne remarque pas tout d'abord les sculptures extraordinaires qui ornent les sommets, et, s'il a enfin reconnu leur présence, il ne peut pas, de ses seuls yeux, les distinguer clairement. Il lui faut lever la tête et se tordre le cou, puis se servir, comme d'un télescope, du zoom de l'appareil-photo : alors seulement se découvre un vaste recueil de fables et d'allégories, inscrit tout en haut des vieux murs, tout près du ciel.
Ceux qui ont posé là leurs chefs-d'oeuvre, si longtemps condamnés à rester invisibles, et qui le seraient restés sans l'invention d'appareils d'optique compliqués dont ils ne pouvaient avoir l'idée, en ont pourtant réfléchi et ciselé chaque détail à la perfection. Sachant bien qu'en art - autre folie - c'est d'abord pour le Spectateur inconnu - ou pour soi-même - que l'on travaille.
Près d'un vieux château
Place Marc Elder - Nantes
On m'avait dit : "'histoire de France... vois ça pendant l'été : c'est le prochain thème pour l'expo du club, à la rentrée..."
- Histoire de France ? Il me semblait n'avoir rien à dire, rien à montrer... alors je suis allée faire un tour au Château des ducs, à tout hasard - sachant bien que, si le hasard peut tout en effet, il ne sert vraiment que ceux qui savent le surprendre, et le forcer à révéler ces étranges secrets que tous connaissent au fond...
Près de l'entrée, alors que je me dirigeais vers le pont-levis, j'ai croisé cet homme. Je ne sais pas vraiment pourquoi je l'ai remarqué, sans doute parce qu'il était assis bizarrement tout au bout du banc, ou bien à cause de son costume venu d'Afrique, qui attirait le regard, face à ce vieux château qui se souvient d'avoir vu en habits de cour ou de prisonniers (et si c'étaient les mêmes habits ? ) Fouquet, le cardinal de Retz... et bien sûr la duchesse Anne. Mais on m'avait dit "histoire de France", alors j'ai poursuivi mon chemin, sans m'arrêter, vers le château empli de touristes.
Quand je suis sortie, avec mes photos, une bonne heure plus tard, l'homme était toujours là, dans la même position, exactement.
J'ai été alors frappée par sa ressemblance inattendue avec la statue de bronze de la duchesse Anne qui orne la petite place Marc Elder où se trouve le banc. Oui, ils se ressemblaient énormément, tous les deux...
Qu'est-ce qui les rendait si proches, ce voyageur venu de loin et cette duchesse d'ici, cette deux fois reine de France et ce migrant sans doute pauvre d'argent, cette femme debout, forte et marchant vers la gloire, et cet homme assis, un peu voûté, près de son sac à dos, au bout d'un banc "tagué"? Les teintes de bronze verdi de leurs vêtements ? Le beau drapé des tissus ? L'impassible immobilité de leurs deux corps arrêtés statufiés dans ce qui semblait avoir été un élan ?
En y réfléchissant maintenant, je crois que c'était plutôt par le regard qu'ils se ressemblaient, par cette façon à la fois ardente et incertaine qu'ils avaient, chacun, de regarder, devant eux, quelque chose qui paraissait être le pont-levis du château, et qui était peut-être l'avenir - ou le passé, ou bien encore les deux ensemble...
La pluie
La pluie de ses doigts gris
tambourine une valse
mélancolique et lente,
la valse de l'été
qui ne viendra jamais.
Et dans ses mains légères,
elle enferme le jour
qui se prend à pleurer
comme un poisson captif,
comme un oiseau en cage.
Patiente elle bat
le pouls lent de nos heures,
murmure une chanson
qu'égrène chaque goutte,
que berce chaque feuille.
Tant pis, dit-elle au jour
de sa voix d'ombre fraîche,
Tant pis, dit-elle au merle,
cherche en toi la lumière,
et vole un peu plus haut.
Douce pluie, sage pluie,
Source calme du ciel,
Ecris-le sur les vitres
et sur toutes les toiles :
le bonheur est en nous.
Et de tes ongles fins,
de tes pinceaux de soie,
fouille au fond de nos âmes
pour trouver le soleil
- et la joie qui s'y cache.
Sur le bord
S'extraire du noir et s'arracher au gris,
quitter la chambre étroite,
Sur la corde de fer
du balcon qui s'étire,
poser sa patte rousse
comme soleil et joie,
puis traverser en funambule
toute l'eau claire du ciel.
S'en aller...
S'avancer sur les toits,
courir sur les vagues du vent,
s'alléger s'envoler
se faire oiseau ou feuille,
rouler sur les nuages,
accrocher un rayon
aux branches bleues des astres.
S'évader...
Mais le mur est bien haut,
et le vent est bien froid.
Mais le sol est si sombre,
et là-bas tout en bas : cette flaque de sang...
c'est qu'on pourrait mourir...
Partir pourtant, partir,
tout élan le demande,
on sait qu'il le faudrait.
Mais le poids, le vertige
de la vie derrière nous
comment les oublier ?
Alors on reste un instant
sur le bord,
à fermer les yeux, à attendre
à rêver que l'on marche
bien au-delà de soi,
aux plages sans rivage
où les chemins s'effacent
et où les rêves battent,
comme des coeurs qui aiment,
la valse du bonheur.
Entre vouloir et être,
entre ciel et fenêtre,
entre force et tiédeur,
entre espoir et raison,
il est comme nous tous,
sur le bord,
immobile,
ce chat qui rêve d'un envol.
Dire qu'on l'a peint sur une fenêtre murée !
Prélude
Quelqu'un avait sorti un piano sur le trottoir. Un de ces vieux pianos droits dont d'habitude on joue solitaire, dans une pièce close et un peu sombre, face à une tapisserie fanée. "Jouez !" disait une affichette posée sur le couvercle.
C'était un accordéoniste tzigane qui m'avait guidée jusque là. Il jouait une valse en marchant, m'entraînant de son pas dansant, guidé lui-même par les notes du piano. Puis il a bifurqué dans une autre rue, et j'ai entendu nettement le pianiste.
Vêtu de sombre et voûté, il paraissait absorbé dans son jeu.
Il s'était lancé dans une sorte d'improvisation hachée. Il commençait un morceau. En commençait un autre. Un autre encore. Ils se ressemblaient tous un peu, sans jamais être tout à fait le même. Dans ce flux surgissaient parfois des bribes de mélodies si neuves qu'on en frissonnait d'émotion, avant que ne reprennent les premières mesures déjà connues d'un morceau précédent, pour une variation nouvelle.
Une phrase de Jankélévitch sur les Préludes de Chopin m'est revenue tout à coup en mémoire : "Prélude? Prélude à quoi ? prélude à rien... 24 Préludes, préludes à rien, préludes, et voilà tout... "
En effet, il préludait, ce pianiste solitaire au milieu des passants.
Comme tout créateur il en était toujours au commencement. A l'instant où tout est beau parce que tout démarre. Et où l'on sait déjà qu'il faudra tout recommencer. Parce que l'élan qui a voulu le commencement ne pourra jamais accepter la fin. Une petite pluie fine commençait à tomber. Et c'était comme une autre mélodie qui serait née ailleurs, un peu plus haut, un peu plus loin, comme un autre prélude. Un couple est passé, se tenant la main - des enfants presque tant ils étaient jeunes. Ils se sont arrêtés un peu pour écouter.
Puis l'accordéoniste tzigane est revenu, jouant une autre valse, tout près du pianiste qui l'a un instant accompagné. Le magasin, derrière le piano, s'appelait "A plein rêves". Sur l'enseigne il manquait un s - il manque toujours quelque chose à notre plénitude. "Prélude ? Prélude à quoi ? prélude à rien... prélude, et voilà tout..."
Comme tout créateur il en était toujours au commencement. A l'instant où tout est beau parce que tout démarre. Et où l'on sait déjà qu'il faudra tout recommencer. Parce que l'élan qui a voulu le commencement ne pourra jamais accepter la fin. Une petite pluie fine commençait à tomber. Et c'était comme une autre mélodie qui serait née ailleurs, un peu plus haut, un peu plus loin, comme un autre prélude. Un couple est passé, se tenant la main - des enfants presque tant ils étaient jeunes. Ils se sont arrêtés un peu pour écouter.
Puis l'accordéoniste tzigane est revenu, jouant une autre valse, tout près du pianiste qui l'a un instant accompagné. Le magasin, derrière le piano, s'appelait "A plein rêves". Sur l'enseigne il manquait un s - il manque toujours quelque chose à notre plénitude. "Prélude ? Prélude à quoi ? prélude à rien... prélude, et voilà tout..."
Avec dix secondes de retard
Give me back the world I remember,
One more ride on the merry-go-round, Neil Sidaka
Dès trois heures de l'après-midi on a vu la foule avancer dans les rues, vers le stade de la Beaujoire où il devait chanter le soir - des parents avec leurs enfants sur le dos et de grands sacs de victuailles, des retraités avec leur tabouret pliant et leur parapluie à carreaux, des gens de tous les âges, venus de partout.
A la sortie du parking du supermarché où je m'étais imprudemment garée, ils avançaient en longues rangées calmes. Comme je n'allais pas dans la bonne direction, on m'interpellait - "C'est par là... Faut aller voir Johnny, on vend des places à vingt euros..."
Sur la route, j'ai rencontré ces jeunes, avec leurs tatouages et leur longue écharpe "Johnny", qui attendaient en buvant des bières. Voyant que je m'arrêtais pour le photographier, le plus petit s'est avancé vers moi. J'ai eu peur pour mon appareil-photo... mais il a passé autour de mes épaules l'écharpe "Johnny", et il m'a embrassée sur les deux joues. Il était content. Tout était si léger, si facile.
Un vieux monsieur s'avançait avec son déambulateur, soutenu par sa fille, très grand, très blanc, et on s'écartait doucement devant lui. Il pleuvait, il faisait presque froid, mais Johnny allait mettre le feu, tout à l'heure, et ces gens qui avaient travaillé toute la semaine, ou toute la vie, ces gens qui avaient encore devant eux des heures d'attente avant le début du concert, ces gens qui étaient venus de loin, étaient heureux.
Maintenant, la nuit va tomber, et dans toute la ville on l'entend.
On dit que c'est sa dernière tournée. On l'a déjà dit plusieurs fois. On le dit maintenant à chaque fois.
Renvoyée par les amplis dans tous les jardins, toutes les cours d'immeubles, rentrant par toutes les fenêtres entrouvertes, la voix n'a pas vraiment vieilli, très bien timbrée encore, elle reprend inlassablement les tubes du passé. Cette chanson, par exemple, que mon voisin de Châtellerault mettait chaque soir sur son pick up en rentrant de l'usine, toujours la même - cette chanson que chaque soir, pendant un an, j'ai entendue, cette chanson que je ne pouvais plus supporter - je ne sais pas comment elle s'appelle, mais je l'entends très distinctement ce soir dans mon jardin dont le sol vibre.
Plus fort encore, ensuite, j'entends résonner l'immense clameur et les applaudissements des spectateurs.
Ce qu'ils applaudissent, si ardemment, dans la nuit qui tombe tout à fait maintenant, c'est peut-être, c'est forcément autre chose que cet homme déjà âgé et teint, en costume pailleté, qui hurle devant eux dans son micro, sous la lumière factice des stroboscopes, entouré d'un orchestre démesuré. Oui, c'est sûrement autre chose, voilà ce que je me dis, dans la nuit qui s'épaissit, tandis que reprend la voix lointaine. Qu'est-ce donc ? - peut-être leur jeunesse, ou celle de leurs parents, l'illusion d'un monde resté intact, celui des années soixante, des déesses, des quatre-ailes et des ami 6, du général de Gaulle, de tante Yvonne, des pop-stars, de l'ORTF et du train Interlude avec sa petite gare de La Solution où tous les problèmes trouvaient une fin paisible. L'angoisse un moment suspendue de ce qui passe et ne revient pas. Le désir simple de vivre heureux, d'être ensemble, de ne plus se quitter.
Dans la nuit tout à fait tombée maintenant, j'ai presque peur qu'elle cesse, cette voix qui m'assommait autrefois, qui m'exaspérait, il y a si longtemps, quand chaque soir je subissais le vieux pick-up de mon voisin.
C'est curieux, je viens seulement d'y penser : si le stade est à trois kilomètres de chez moi, comme je le crois, j'entends la voix de Johnny avec dix secondes de retard. Dix secondes, le temps que cette vibration met à courir en tremblant, du sol du stade au sol de mon jardin. Dix secondes où déjà s'est logée l'inexorable loi du temps.