Sur le quai de l'île de Versailles, ce graffiti était laid et poignant comme un visage barbouillé de larmes et trempé de nuit.
Dans l'ombre du pont humide, ce tag maladroit était lumineux et plein d'espoir, comme une ligne d'écriture grimpant la page sur un cahier d'enfant.
Une nuit, quelqu'un qui vivait là, un des abandonnés du quai, au lieu de se coucher tout de suite dans sa vieille couverture sur le petit banc de pierre froid et moussu comme une pierre tombale, s'est muni d'un gros feutre noir et d'une bombe à peinture blanche, et il s'est mis à écrire aux bateaux s'en allant vers le tunnel, à crier aux passants traversant le pont suspendu pour se rendre au jardin japonais, à dire à tous les habitants de ce monde flottant, qu'il était seul. Lui, Sy. Sy seul. Si seul - tout seul.
Et s'il est si facile de l'imaginer écrivant dans le froid à la lumière d'un réverbère, se reculant jusqu'à l'eau noire pour admirer son oeuvre, puis se recouchant, apaisé, jusqu'au retour de l'aube, sur le petit banc, c'est peut-être, voyez-vous, c'est sans doute, que c'est cela, toujours cela, écrire.
Nous, nous tous qui écrivons, sur des papiers sur des claviers sur des idées ou sur des rêves - ne le sentons-nous pas sans cesse, sous le papier sous le clavier sous les idées et sous les rêves, ce grand mur froid dans la nuit humide, où nos doigts gourds tracent sans fin - quoi que nous écrivions, quoi que nous cherchions à écrire - ces mots qui sont ceux de tous les humains : suis seul - si seul - tout seul ?
Et puis, quand les lettres se sont posées tout claires parmi les ombres, cette paix tout à coup, ce bon repos de l'âme, en attendant que vienne l'aube.