Tournesols
A ma mère, Paule Buisson, peintre et rêveuse.
Je pense que vous l'avez bien souvent observé : dans un champ de tournesols, il y a toujours une fleur pour se tourner du côté où les autres ne penchent pas.
Elle ne cherche pas à se faire remarquer, elle fait simplement ce qu'elle croit devoir faire. Elle incline la tête comme les autres, mais elle va seule son chemin de tournesol.
Pourquoi la fleur rebelle échappe-t-elle au tropisme qui domine toutes les autres ? D'où tire-t-elle la calme capacité de faire face à ce coin de l'horizon, trop éclairé ou trop sombre, trop brûlant ou trop froid, qui inquiète ses soeurs ? Est-ce force ou faiblesse ?
Je ne saurais le dire. Mais j'ai une tendresse singulière pour cette fleur unique, pour sa tranquille obstination à aller seule, à ne pas céder aux injonctions du bon sens, à décider elle-même de sa route.
Et puis, de temps à autre, quand finit la saison, sur l'une des fleurs soumises qui bordent le chemin, un passant rêveur, un enfant, parfois même une vieille dame, sans rime ni raison, juste comme ça lui chante, dessine des yeux qui s'ouvrent, une bouche qui rit, sur la face brusquement éclairée d'un grand tourteau de graines qui s'échevèle au vent des étés mûrs. Et c'est très beau aussi.
Tant qu'il y aura, dans les champs bien rangés que les hommes ont semés, des fleurs de tournesols pour aller dans l'autre sens, tant qu'il y aura, sur les chemins qui traversent les champs, des passants rêveurs pour dessiner des visages inutiles et des sourires malicieux sur les galettes de grains lourds promis à la moisson, je crois qu'il y aura sur cette terre encore beaucoup à récolter.