"Vous semblez les anguilles de Melun : vous criez davant qu'on vous escorche".
(Rabelais, Gargantua)
Je suis allée, comme beaucoup de Nantais, visiter au château l'exposition "Samouraïs".
L'art flottant de l'estampe (ukiyo-e) y était solidement représenté. J'ai été heureuse de revoir là quelques-unes des quarante-trois "Stations" d'Hiroshige que j'avais déjà admirées au musée Guimet. Mais ce qui m'a paru le plus remarquable, c'est ce triptyque d'Hirokage daté de 1859 et représentant "La grande bataille des fruits, des légumes et des poissons", vision comique et parodique des guerres et soubresauts qui marquèrent la fin du Japon féodal.
C'était si touffu et drolatique que je me suis souvenue de Rabelais, et de la façon dont frère Jean, enfant du nouveau monde, découpe comme des poulets ses adversaires, derniers débris en armure du vieil univers féodal, qui fuient comme des ânes et crient comme des anguilles.
Et je me suis dit que, d'un bout de la Terre à l'autre, les mondes anciens finissent toujours par s'écraser comme citrouilles mûres, poires blettes et poissons pourris, tandis que volent en ricanant les coquecigrues. Et aussi que, de même qu'un fruit exquis ressemble à un légume succulent, les esprits libres partout se ressemblent, et nagent de conserve, souples et légers, dans ces eaux troubles mais fécondes où infuse l'humanité.