Yozakura
Au Japon, le cerisier en fleur, sakura, est une sorte de passion nationale. Le symbole de la vie, dans sa splendeur fragile et fugace, se dispersant comme la pluie dans l'envol des pétales.
On donne congé à tous lorsque les cerisiers fleurissent, pour que tous puissent aller en famille faire "hanami", ce qui signifie "voir les fleurs". Car c'est un spectacle nécessaire à l'accord sacré de l'homme et du monde, qu'on ne saurait manquer qu'au péril de son âme.
Mais le plus beau des hanamis, la quintessence de toutes les harmonies de tous les sakuras, c'est le spectacle incomparable du cerisier de la nuit, yozakura, celui qui éclaire tout l'obscur du bouquet tournoyant de ses fleurs blanches ou roses.
Alors, hier soir, je suis sortie dans mon jardin dans la nuit noire, voir comment mes petits cerisiers s'acquittaient de leur tâche, eux, pauvres arbres aux bras maigres et mangés de lichens, humbles créatures aux fleurs pâles et rares, que personne ne songerait à venir visiter en procession.
J'étais, je vous l'avoue, partagée entre doute et espoir.
Cependant au jardin les arbres se tenaient droits et majestueux. Ils avaient accroché sur leurs branches comme de longs rouleaux le tissu trempé d'encre d'une nuit de soie pure. Et leurs fleurs dessinaient en silence, minuscules et modestes, sur cette sombre page, un poème très blanc qui éclairait le ciel et s'ouvrait sur le monde comme une haute estampe.
Mes cerisiers étiques étaient bel et bien devant moi devenus yozakuras, les merveilleux sakuras de la nuit dont chaque pétale niche comme une étoile sur les branches du ciel.
夜桜
Et je me suis souvenue que c'est notre regard qui fait fleurir le monde, et nous accorde à lui d'un seul trait de pinceau.