Fleurs et seppuku
Le Château de Nantes présente en ce moment une série de très belles estampes illustrant l'histoire des Quarante-sept Rônins, les quarante-sept guerriers vengeurs. L'histoire est connue jusqu'en Occident : un grand seigneur, se sentant insulté, s'était jeté sur son offenseur et l'avait blessé. Pour cette violence commise dans le palais même du Shôgun, il fut condamné au "seppuku" - c'est-à-dire à s'ouvrir rituellement le ventre.
Alors quarante-sept de ses guerriers orphelins se liguèrent pour le venger et trancher la tête de l'offenseur - quarante-sept "rônins" rebelles qui furent bien sûr condamnés à la même mort par "seppuku" que leur maître. Car il fallait, n'est-ce pas, pour que l'ordre règne, et que le pouvoir incontesté du Shôgun l'emporte enfin sur le désordre féodal, planter dans le sang la paix et l'obéissance aux lois.
Violente et frappante histoire, demi-légende issue d'un fait-divers authentique, qui fut maintes fois représentée au théâtre et dans ces estampes si étroitement liées au "monde flottant" des quartiers de plaisir.
Je suis restée un moment en arrêt devant cette image.
Un petit cartel d'anodine apparence en précisait le sens : un serviteur vient annoncer à Asano, le maître des Quarante-sept, qu'il est condamné au "seppuku", tandis que les femmes de la cour, à l'arrière-plan, élaborent un bouquet immense et vaporeux - un de ces merveilleux ikebanas qui sont chacun une image parfaite et méditative de la terre, du ciel, et de ces êtres, arbres, fleurs, ou humains qui les relient d'une brume de vie incertaine et fragile.
Quarante-huit ventres ouverts comme grands pétales rouges. Des femmes en kimono appliquées à choisir les tiges qu'elles disposeront comme des nuages. Et une tête humaine comme un chrysanthème pâle pour achever leur bouquet.
Meurtres en série et douceur délicate.
Perfection de l'estampe et jaillissement du sang.
Horreur en poésie - poésie de l'horreur.
Raffinement de la violence - violence du raffinement.
Fleurs et seppuku, c'est, je crois, partout en ce monde, ce qu'on appelle
civilisation.