Ce que lisent les statues
Nantes - Passage Pommeraye - juillet 2013
On associe souvent le livre à l'immortalité. Pourtant, l'un des plus mystérieux pouvoirs du livre - je veux dire le livre de papier - est de donner au temps qui passe la forme de ses pages, qu'on ouvre et qu'on referme, de faire prendre aux heures lentes le visage un peu las du volume écorné qu'on repose en rêvant, fermé comme un secret sur le pétale de camélia ou le brin de bruyère mis à sécher dans les feuillets rendus à l'ombre.
Aussi, face à ces créatures de pierre qu'on rencontre un peu partout dans la ville, absorbées dans la lecture de leurs livres immobiles, souvent je m'interroge : que peuvent bien lire les statues ? Le temps passe sur elles, comme il passe sur nous, recouvrant de poussière, de toiles d'araignée, de mousses ou de feuilles mortes le volume qu'elles tiennent, imperturbables, entre leurs doigts rigides. Elles lisent immobiles toujours la même page qui ne se tourne pas.
Et parfois je me dis que ce qu'elles tentent ainsi de déchiffrer, dans leurs livres figés, ce n'est pas la pierre grise, c'est l'énigme sans fin de notre coeur humain, que chaque instant fait battre dans le grand vent du temps, mais qui voudrait toujours ne pas tourner la page.
Nantes - Jardin des Plantes - avril 2013