Le luxe... Certains croient que c'est de rouler en Porsche et de faire des chasses en Sologne, d'avoir un yacht à Cannes et une villa au cap Nègre.
Le luxe... Certains prétendent qu'il s'achète et ne se partage pas. Qu'il se bâtit sur la peine des hommes, et qu'il se crache comme un fouet au visage de tous ceux qui n'ont rien.
Pourtant le luxe, le véritable luxe, c'est bien autre chose. Le luxe, en fait, c'est cela même : prendre un instant pour écrire sans raison sur un vieux transformateur recouvert d'affiches anciennes et déchirées un mot qui ne sert à rien, un mot de ronde, léger comme l'enfance, et richement orné de pleins et de déliés. Mettre sa foi dans l'inutile. Affirmer que le bonheur modeste et déjà révolu du samedi 17 novembre vaut, à jamais, toutes les fêtes et tous les champagnes. Penser que l'art peut nicher partout comme un oiseau misérable et splendide. Donner sa chance au gamin fou qui veut signer Loko. Offrir un peu de soi au passant qui viendra après soi.
Le luxe, c'est de prendre le temps de lire sur les murs de la ville, sur les pages des livres, ou sur les coeurs qu'écrivent les battements du temps, les mots absurdes qui se sèment et éclosent. De consentir à musarder, sur le chemin qui ne mène pas à Rome et qui va vers les hommes.
Le luxe, c'est d'accepter que la beauté, la joie, l'illusion, l'espérance, ou même la laideur - et l'art qui contient tout - nous soient offerts pour rien. Absolument pour rien, comme un luxe insensé, sur cette terre où nos vies inutiles et si généreusement superflues n'ont d'autre sens que de réfléchir sans fin ce luxe-là, si simple, et infini.
On va trop vite en Porsche, en yacht, en Sologne, au cap Nègre, pour penser à tout cela.
Si bien que le luxe est comme l'amour : ceux qui croient le posséder sont ceux qui l'ont déjà perdu.